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L’interview

Yves Moulin : « L’EMPLOYEUR VALORISE LE SIGNAL DE COMPÉTENCE QUE REPRÉSENTE L’EXPÉRIENCE DE VAE »

L’interview | publié le : 21.10.2014 | Éric Delon

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Yves Moulin : « L’EMPLOYEUR VALORISE LE SIGNAL DE COMPÉTENCE QUE REPRÉSENTE L’EXPÉRIENCE DE VAE »

Crédit photo Éric Delon

Contrairement à une idée reçue, les entreprises accordent la même importance aux diplômes obtenus par la validation des acquis de l’expérience qu’à ceux obtenus par la formation initiale. La VAE représente même un “plus” pour certains employeurs, qui y voient le cumul avantageux du diplôme et de l’expérience.

E & C : Globalement, peut-on considérer la VAE comme un succès ? Un échec ?

Yves Moulin : Depuis la loi de modernisation sociale de janvier 2002, la validation des acquis de l’expérience (VAE) permet à toute personne d’obtenir la totalité d’un diplôme grâce à son expérience, dès lors qu’elle justifie d’une activité professionnelle – ou bénévole – dépassant trois années. Au moment du vote de la loi, le législateur avait identifié une population cible représentant 6 millions de bénéficiaires potentiels. L’intention affichée était de diplômer par cette voie 60 000 personnes par an(1). Or la réalité est beaucoup plus modeste : après une forte progression entre 2003 et 2006, le nombre de candidats ayant obtenu une certification par la VAE avoisine 30 000 par an depuis 2007. Après dix ans d’existence du dispositif, seules 250 000 personnes ont reçu leur certification(2). Le succès est donc plutôt mitigé.

Comment l’expliquez-vous ?

Les rapports publics d’évaluation pointent deux causes principales. D’une part, le dispositif est rendu peu lisible et complexe par la multiplicité des certificateurs. Autrement dit, il est souvent difficile d’identifier le diplôme correspondant à son expérience, surtout pour les métiers intégrant des compétences transverses. D’autre part, la procédure relève du « parcours du combattant » : un certain nombre de candidats renonce à chaque étape, notamment les salariés peu qualifiés manquant d’aisance à l’écrit.

Votre récente étude montre que, contrairement à vos hypothèses de départ, les services RH considèrent les diplômes acquis en VAE de même valeur que ceux obtenus par la voie classique. N’est-ce pas surprenant dans un pays très attaché à la sélection par le système scolaire ?

Avec mon collègue Antony Kuhn(3), nous avons effectivement rencontré des employeurs afin d’analyser leur représentation des diplômes obtenus par la VAE. Notre hypothèse de départ présumait qu’un diplôme de formation initiale serait perçu comme doté d’une valeur plus forte qu’un titre équivalent obtenu via la VAE. Contrairement à notre supposition, 80 % de nos interlocuteurs ont estimé qu’un diplôme délivré ainsi possédait une valeur équivalente à un diplôme classique. À leurs yeux, la VAE permet un cumul du titre et de l’expérience, qui fait défaut aux jeunes diplômés. La VAE est également perçue comme un indicateur avancé de motivation des personnes qui se prêtent à l’exercice. Autrement dit, face à l’inflation des diplômés, qui conduit à une dévalorisation tendancielle des titres, l’employeur relativise la valeur de la qualification et valorise le signal de compétence que représente l’expérience.

L’obtention d’une VAE entraîne-t-elle un risque accru de turnover ?

Dans cette même étude, nous posions l’hypothèse que les employeurs percevraient la démarche de VAE par un salarié comme un facteur de mobilité externe. Ce présupposé paraissait logique, dans la mesure où l’acquisition du diplôme rend la qualification transférable à une autre entreprise. Là encore, contrairement à nos attentes, 85 % des employeurs ont plutôt appréhendé la VAE comme un facteur de fidélisation. D’après nos interlocuteurs, lorsque l’entreprise a offert une trajectoire professionnelle permettant au salarié d’acquérir une expérience suffisamment riche pour faire l’objet d’une VAE, le salarié préfère attendre les nouvelles opportunités de carrière offertes en interne afin de valoriser son titre, plutôt que d’affronter le marché du travail, avec son lot de coûts associés : effort de recherche d’un nouvel emploi, déménagement éventuel, réalisation d’une formation au nouveau poste, adaptation à une nouvelle culture…

Quelles sont, selon vous, les principales motivations organisationnelles des entreprises pour pousser leurs salariés à réaliser des VAE ?

Nombre d’études sondent les motivations individuelles des salariés à réaliser une VAE. À l’inverse, très peu de travaux s’intéressent aux raisons pour lesquelles des entreprises inciteraient leurs salariés à s’y lancer. Dans le cadre d’une nouvelle recherche(4), nous avons interrogé des employeurs qui avaient mené cette démarche. On peut classer leurs réponses en deux grandes catégories. D’une part, la VAE représente un outil de gestion interne des ressources humaines. D’autre part, la VAE devient un instrument de valorisation externe de la main-d’œuvre. Concernant la gestion interne, quatre types de motivation ont pu être détectés. D’abord, la difficulté d’accès à une main-d’œuvre qualifiée sur le marché externe. C’est l’exemple type du constructeur automobile qui incite ses meilleurs intérimaires non qualifiés à passer un titre de niveau V, qualification minimale pour la signature d’un contrat en CDI. Ensuite, la réponse à un choix stratégique de l’entreprise ; dans le cadre d’une réorganisation, une société change de métier et souhaite valoriser une catégorie – devenue stratégique – par une augmentation de coefficient. Mais aussi l’accompagnement d’une fonction de management ; c’est typiquement le cas d’une entreprise qui intègre de nombreux jeunes diplômés dans une équipe dirigée par un manager d’expérience, mais faiblement qualifié. L’obtention d’une VAE par ce chef d’équipe renforce sa position symbolique et éteint les convoitises des plus jeunes. Enfin, la prise en compte de la pénibilité : certains métiers pénibles sont difficilement compatibles avec l’avancée en âge. La réalisation d’une VAE peut permettre à certains salariés d’être plus facilement repositionnés en interne.

Concernant la valorisation externe, deux types de motivations principales ont été rencontrés. D’une part, l’obtention de certaines certifications nécessite une qualification minimale des salariés. D’autre part, certains donneurs d’ordre imposent à leurs sous-traitants de prouver une qualification minimale de leur personnel. Là encore, la démarche VAE peut se révéler la réponse adéquate pour satisfaire les attentes du donneur d’ordre et obtenir le marché.

(1) “Valoriser l’acquis de l’expérience : une évaluation du dispositif de VAE”, Rapport Besson, rendu au Premier ministre, septembre 2008.

(2) “La VAE en 2012 dans les ministères certificateurs”, Z. Legrand, Dares Analyses, janvier 2014.

(3) Professeur à l’université de Lorraine.

(4) À paraître, A. Kuhn, Y. Moulin.

Yves Moulin PROFESSEUR DE GRH À L’EM STRASBOURG

Parcours

→ Yves Moulin est responsable du master 2 ressources humaines de l’EM Strasbourg. Ses principales recherches au sein du laboratoire Humanis (Strasbourg) portent sur les restructurations d’entreprise, la rémunération des dirigeants et la présence des femmes dans les instances de gouvernance.

→ Il est l’auteur d’une vingtaine d’articles dans des revues scientifiques de référence, de plusieurs chapitres d’ouvrages et de communications dans des colloques nationaux et internationaux.

Lectures

→ DRH : Le Livre noir, Jean-François Amadieu, Points, 2014.

→ Comment la DRH fait sa révolution, Charles-Henri Besseyre des Horts, François Eyssette, Eyrolles, 2014.

→ Les Pratiques de gestion des ressources humaines – Conventions, contextes et jeux d’acteurs, François Pichault, Jean Nizet, Points, 2013.

Auteur

  • Éric Delon