logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chronique

DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE

Chronique | publié le : 21.10.2014 | DENIS MONNEUSE

Image

DU CÔTÉ DE LA RECHERCHE

Crédit photo DENIS MONNEUSE

Quand le harcèlement s’avère payant

Depuis la médiatisation de la notion de harcèlement moral, à travers le livre éponyme de Marie-France Hirigoyen* ce concept a été largement dévoyé. Il devient presque impossible aujourd’hui de rencontrer un salarié qui ne se déclare pas harcelé par son chef ou bien un de ses collègues ! On connaît pourtant le conte musical de Pierre et le Loup : à force de qualifier de harcèlement le moindre dysfonctionnement relationnel, le risque est fort que l’employeur ne prenne qu’à moitié au sérieux les cas réels de harcèlement moral.

Face à un cas avéré, l’entreprise est d’ailleurs tentée de se dédouaner en pointant la responsabilité purement personnelle du harceleur : un loup serait entré dans la bergerie. Cette vision manichéenne a le mérite d’être rassurante : il suffirait de chasser le grand méchant loup pour que le troupeau retrouve calme et sérénité.

Deux chercheurs de l’université de York, au Canada, viennent toutefois de mettre à mal cette croyance. Ils montrent au contraire que c’est généralement l’employeur qui pousse (indirectement) des moutons à se transformer en loup ! En effet, le cadre de travail influe sur la prévalence des pratiques de harcèlement moral. Ainsi, les cas de harcèlements sont plus fréquents lorsque le niveau de stress est élevé, l’autonomie faible, la répartition des tâches pas claires, etc.

Al-Karim Samnani et Parbudyal Singh pointent en particulier les effets pervers de certaines politiques de rémunération. Lorsque les récompenses en jeu sont fortes mais rares, que la non-atteinte des objectifs est coûteuse professionnellement et que le système de rémunération est en décalage avec l’organisation du travail, il en résulte un environnement toxique. Le mélange de stress aigu et de compétition individuelle exacerbée génère un cocktail explosif propice au harcèlement.

Pis, nos deux chercheurs montrent que harceler ses collègues s’avère généralement payant. D’une part, en raison de leur malaise, les collègues harcelés voient leur productivité décliner, ce qui augmente mécaniquement la productivité relative des harceleurs. D’autre part, les harceleurs tirent profit de l’affaiblissement des harcelés, notamment de leurs arrêts maladie. Par exemple, le harceleur va s’emparer, pendant l’absence du harcelé, du portefeuille de clients que ce dernier avait mis des années à constituer.

Le comble est que les harceleurs ressentent un faible sentiment de culpabilité, puisque, du fait d’une productivité accrue, ils sont… valorisés par leur hiérarchie ! Celle-ci se fait alors complice de leurs pratiques.

Conclusion : malgré la multiplication des cas présumés de harcèlement, chacun d’entre eux est à prendre au sérieux. Ne serait-ce que pour déceler si certains processus RH ou certaines conditions de travail n’incitent pas les salariés à devenir des loups pour leurs collègues.

* Éditions La Découverte & Syros, 1998.

Auteur

  • DENIS MONNEUSE