Dès 2006, Norsys, la SSII dirigée par Sylvain Breuzard a appliqué la méthode du CV anonyme à tous ses recrutements, sans attendre les décrets d’application de la loi sur l’égalité des chances, votée la même année. « Très rapidement, la proportion de seniors a progressé », témoigne le Pdg, par ailleurs ancien président du Centre des jeunes dirigeants, un mouvement patronal humaniste qui milite pour une entreprise compétitive et humaine.

La part des salariés âgés de plus de 50 ans est passée de 0 % en 2006 à 5,5 % cette année, et celle des salariés de plus de 40 ans de 12 % à 29 % (sur un total de 3 000 salariés). Les recruteurs avaient-ils en tête que l’informatique est une affaire de jeunes ? « Ils se sont rendu compte qu’ils regardaient d’abord l’âge », reconnaît Sylvain Breuzard. Depuis 2006, ce n’est plus possible du fait du CV anonyme. Mais l’action de Norsys ne s’est pas arrêtée au stade de la sélection des curriculum vitae. Les recruteurs ont également été sensibilisés au problème des préjugés. Et, surtout, les décisions de recrutement sont collégiales. C’est la conjonction de ces mesures qui a créé les conditions pour des embauches non discriminantes.

Lorsque les candidats postulent à Norsys ou lorsque le service RH repère un profil sur un site de recrutement ou sur des réseaux sociaux, il efface le haut du CV (nom, date de naissance, adresse…) mais aussi toutes les expériences qui datent de plus de dix ans. « Les dix dernières années d’expérience suffisent largement pour se faire une idée du candidat », explique le Pdg. Ainsi, lorsque le recruteur – le manager en l’espèce – regarde le CV du candidat, ce dernier ne peut jamais paraître plus âgé que 40 ans. « Techniquement, ces deux opérations sont très simples », témoigne Sylvain Breuzard.

Il admet qu’il est plus compliqué de faire disparaître le genre d’un candidat puisqu’il se repère dans la rédaction de la candidature. Malgré cela, le recours au CV anonyme a également eu pour conséquence de féminiser considérablement les effectifs. Jusqu’en 2006, la proportion de femmes plafonnait à 12 %; elle a doublé depuis : 24,6 %. « Le taux de femmes est monté en trois ans de 12 % à 20 % puis, les cinq années suivantes, il a progressé moins vite car nous sommes sans doute dans une limite liée aux caractéristiques de notre secteur d’activité », explique Sylvain Breuzard. Les étudiantes sont en effet minoritaires dans les écoles d’informatique. En revanche, le CV anonyme a eu peu d’effets sur la part des personnes handicapées, passée de 1 % à 2,80 %. « Il n’y a pas de profils qui correspondent à nos attentes car ces personnes ne sont pas assez formées. »

Quant aux salariés venus des minorités visibles, Sylvain Breuzard estime, « rien qu’en regardant, puisqu’il n’est pas possible de compter », qu’ils sont deux ou trois fois plus nombreux qu’avant.

En s’obligeant à se concentrer sur les seules compétences des candidats, Norsys a donc diversifié ses effectifs sans pour autant chercher à obtenir cet effet. Un résultat qui, au premier abord, contredit celui de l’étude menée par Pôle emploi en 2010, mais qui, en fait, va dans le même sens (lire l’encadré p. 21).

Le recours au CV anonyme a également eu d’autres effets, quoique moins quantifiables. Selon Sylvain Breuzard, cet outil a été un « avantage » dans la guerre des talents que se mènent les SSII : « Sans doute cela a-t-il amené d’autres profils vers nous. »

Dès lors, faut-il généraliser le CV anonyme, comme le Conseil d’État a enjoint le gouvernement de le faire ? « Je serais davantage favorable à l’interdiction de faire figurer son état civil et sa photo dans son CV, répond Sylvain Breuzard. Cela n’alourdit pas la charge de travail des entreprises et n’atteint pas la dignité des personnes », qui ne se sont pas anonymisées d’office.

Activité

SSII.

Effectif

3 000 salariés en 2013.

Chiffre d’affaires

26,5 millions d’euros en 2013.