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DIVERSITÉ : Qui veut du CV ANONYME ?

L’enquête | publié le : 14.10.2014 | E.F.

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DIVERSITÉ : Qui veut du CV ANONYME ?

Crédit photo E.F.

Malgré de nombreux atouts, le CV anonyme ne s’est pas imposé dans les entreprises. Pourtant, l’outil est simple d’utilisation, peu onéreux, et semble efficace pour diversifier les recrutements sans faire de discrimination positive. Le gouvernement réfléchit actuellement à sa généralisation.

Le CV anonyme restera une affaire d’entreprises pionnières et convaincues. C’est l’avenir le plus probable de cet ex-outil vedette de la lutte contre les discriminations, dont le principe est de masquer les informations personnelles sur le candidat (état civil, photo, âge) pour ne laisser apparaître que ses compétences.

Sa généralisation dans les entreprises employant plus de 50 salariés a pourtant été votée en 2006 dans l’émotion des émeutes de l’année précédente, mais les gouvernements qui se sont succédé ces huit dernières années n’ont jamais publié les décrets d’application de la loi.

En juillet dernier, le Conseil d’État a demandé au gouvernement de s’exécuter. Il estimait qu’après huit ans d’atermoiement, le temps était venu. Il est cependant peu probable que le gouvernement obtempère. Le ministère du Travail a constitué un groupe de travail réunissant les partenaires sociaux, des associations et l’État, qui doit se réunir prochainement. La manœuvre a vraisemblablement pour objectif de contourner la décision du Conseil d’État. « Le CV anonyme n’est peut-être pas le moyen optimal pour lutter contre les discriminations », explique-t-on rue de Grenelle. Car le gouvernement sait bien qu’il n’est pas possible d’imposer le CV anonyme dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés.

UNE GÉNÉRALISATION IMPROBABLE

L’erreur originelle du législateur est d’avoir décidé d’un seuil trop bas, estime Jean-François Amadieu, professeur à l’université Paris 1, directeur de l’Observatoire des discriminations et grand défenseur du CV anonyme (lire p. 25). Il plaide pour que le Parlement vote une nouvelle loi en élevant le seuil. Il y a peu de chances : au sein du groupe de travail, un consensus semble en effet s’établir contre la généralisation du CV anonyme.

Le patronat s’est toujours prononcé par principe contre une obligation supplémentaire. Même la CFDT n’est pas très enthousiaste : « La généralisation peut avoir son efficacité, mais gare aux stratégies de contournement », prévient Jean-Louis Malys, secrétaire national. Quant aux associations qui vont participer au groupe de travail, elles sont contre. « Le CV anonyme n’a jamais décollé ni créé de phénomène vertueux », estime Vincent Baholet, délégué général de la Fondation agir contre l’exclusion (Face). Il défend au contraire le CV vidéo.

Inès Dauvergne, responsable diversité à IMS-Entreprendre pour la cité, estime qu’« une généralisation de cette méthode se ferait aux dépens des autres dispositifs »: recrutement par les habiletés, CV vidéo. En outre, selon elle, le CV anonyme n’est efficace que s’il fait partie d’une politique plus globale de l’entreprise. Mais, plus fondamentalement, c’est le principe même de l’outil qu’elle remet en cause : « Pour les entreprises qui veulent diversifier leurs recrutements, le CV anonyme est contre-productif. » Les futures conclusions du groupe de travail font donc peu de doute.

Le CV anonyme, malgré un portage initial fort, notamment de Claude Bébéar en 2004, a été utilisé par peu d’entreprises, mais elles étaient de grande taille. Seules 6 % des entreprises adhérant à la charte de la Diversité, pourtant pionnières, en avaient fait usage en 2013 ; deux fois moins qu’en 2010. Et, sur les 80 accords diversité étudiés par la Dares en 2014, seuls quatre mentionnaient le CV anonyme. Parmi les entreprises et organisations qui l’utilisent actuellement, citons la SSII Norsys ; le groupe Accor pour son site AccorJobs France (un audit est en cours); Bouygues telecom ; Compass ; le gestionnaire d’aéroports ADP ; le conseil général de l’Essonne (qui publiera bientôt les résultats d’un audit); la RATP ; le syndicat patronal des entreprises du médicament (Leem).

DES EXPÉRIENCES PEU CONCLUANTES

D’autres y ont eu recours mais ont cessé depuis. BNP Parisbas l’a testé en 2009 puis abandonné, jugeant l’expérimentation peu concluante. Eurodisney et la Caisse des dépôts, qui s’étaient portés volontaires pour l’expérimenter en 2009, ne l’ont finalement jamais mis en place. Axa l’a utilisé pour tous ses recrutements pendant quatre ans, avant d’arrêter fin 2013.

Il est difficile de tirer un bilan qualitatif du CV anonyme. Une seule évaluation officielle en a été faite en 2010 sous l’égide de Pôle emploi. Peu d’entreprises acceptent de communiquer sur le sujet. Entreprise & Carrières a tout de même pu en rencontrer deux : Norsys et Axa, ainsi que la fédération patronale Leem. Ce que disent ces organisations de leur expérience du CV anonyme corrobore les résultats obtenus par Pôle emploi. Il est ainsi confirmé que le recours au CV anonyme n’entraîne pas de surcoût pour l’entreprise. L’investissement initial n’est pas important, l’anonymisation et la désanonymisation du CV ne sont pas compliquées, les tâches des recruteurs n’en sont pas alourdies, la procédure de recrutement n’est pas plus longue (lire ci-dessous).

Mais, là où Pôle emploi constate que le CV anonyme est « une entrave pour certaines entreprises à la recherche de diversité », les expériences d’Axa et de Norsys montrent l’inverse.

Dans la SSII, la part des salariés seniors dans l’effectif a considérablement progressé, et celle des femmes a doublé depuis la mise en place du CV anonyme (lire ci-après). Celle des salariés issus de minorités visibles aurait également beaucoup progressé « à vue de nez », car Norsys n’a pas compté. Axa a pu le faire. Résultat, ses commerciaux recrutés par CV anonyme étaient davantage issus de la diversité (de nationalité étrangère ou de parents ayant une nationalité étrangère) que ses commerciaux recrutés avec un CV nominal (lire p. 23).

Enfin, notons deux phénomènes trop récents pour qu’ils aient été pris en compte par l’étude de Pôle emploi. D’une part, les pratiques de candidature et de recrutement sont maintenant influencées par l’usage des réseaux sociaux, par essence cooptatifs et individualisants. De crainte de voir des candidats réseauteurs se détourner de son site de recrutement, le Leem envisage sérieusement de ne plus utiliser le CV anonyme (lire p. 24). L’appétence des candidats et des recruteurs pour les réseaux sociaux reste toutefois difficile à évaluer, et Jean-François Amadieu estime pour sa part que les candidats sont toujours à la recherche de méthodes de recrutement impersonnelles.

D’autre part, il peut y avoir une attente, de la part des candidats, de postuler discrètement, notamment lorsqu’ils sont en poste. Le jobboard KeeWork, qui ne met en ligne que des CV anonymes, en fait un argument : « Beaucoup de gens en poste ont besoin de se faire évaluer sur le marché, constate son Pdg et fondateur Thierry Andrieux. Le CV anonyme le permet sans que cela ne revienne aux oreilles de son employeur. » Ironie de l’histoire : l’anonymat au service de ceux qui ont déjà un emploi.

Auteur

  • E.F.