logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chronique

LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Chronique | publié le : 14.10.2014 | JACQUES BROUILLET

Image

LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Crédit photo JACQUES BROUILLET

Modification unilatérale des salaires : étude de cas

Les employeurs ne peuvent toujours pas modifier unilatéralement les salaires ! C’est pourtant le commentaire contraire et hâtif que certains ont cru pouvoir tirer de deux arrêts de la Cour de cassation du 12 juin 2014. Il convient à notre sens cependant d’examiner de plus près les circonstances et la motivation de ces décisions pour tenter d’en tirer le véritable enseignement. En effet :

• Dans le premier cas (Cass soc, 12 juin 2014 n° 12-29063), M.X a été engagé le 21 mai 1986 en qualité de VRP.

L’employeur lui a notifié le 28 octobre 2005 une baisse de son taux de commissionnement. Le 25 mars 2009, le salarié a dénoncé une modification unilatérale de son contrat de travail et a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur. Le salarié a fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Rennes de le débouter de l’ensemble de ses demandes.

La Cour de cassation a rejeté son pourvoi. Selon elle, la cour d’appel de Rennes, qui a constaté que la créance de salaire résultant de la modification unilatérale du contrat de travail « représentait une faible partie de la rémunération, a pu décider que ce manquement de l’employeur n’empêchait pas la poursuite du contrat de travail », elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

• Dans le second cas (Cass soc, 12 juin 2014 n° 13-11448), M.Y a été engagé à compter du 1er juin 2007 en qualité d’attaché commercial sur la base d’un contrat de travail prévoyant le versement d’une rémunération fixe complétée par des commissions calculées à des taux variables par référence à une grille annexée à son contrat de travail.

Un avenant lui a été proposé le 10 mars 2008 à effet rétroactif au 1er janvier précédent en vue de la modification de sa rémunération, que le salarié a refusé. La modification a néanmoins été appliquée par l’employeur. Dénonçant la modification unilatérale de son contrat de travail, l’intéressé a saisi le 15 février 2011 la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur. [À noter qu’il sera licencié pour « insuffisance professionnelle » le 2 mars 2011.] Le salarié fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry de le débouter de sa demande.

La Cour de cassation a également rejeté le pourvoi du salarié. Elle considère que, ayant constaté que « la modification appliquée par l’employeur n’avait pas exercé d’influence défavorable sur le montant de la rémunération perçue par le salarié pendant plusieurs années, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir qu’elle n’était pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, n’encourt pas les griefs du moyen ».

Certes, il n’est pas sans intérêt de relever que, dans les deux cas, le salarié a poursuivi son travail et n’a saisi les tribunaux que plusieurs années après.

– Est-ce à dire que la Cour de cassation a considéré qu’il y aurait eu acceptation de fait? Ceci serait alors une remise en cause de la jurisprudence Raquin du 8 octobre 1987, qui a posé comme principe qu’un salarié peut contester une modification de son contrat de travail, même plusieurs années après (en l’espèce, lors de son départ à la retraite).

– Serait-ce aussi une conséquence de la loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, qui a réduit les délais de prescription pour une demande de rappel de cinq à trois ans? Et ce, pour limiter l’insécurité inhérente à des recours tardifs ?

Mais ces deux types d’arguments ne sont nullement évoqués dans la motivation de ces arrêts.

C’est sans doute parce qu’il convient d’observer que la Cour avait à se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire qui suppose un manquement grave de l’employeur à ses obligations et/ou un préjudice important pour le salarié. C’est sous ce regard qu’il me semble devoir interpréter le rejet du pourvoi des deux salariés.

En revanche, ceux-ci auraient plus sûrement obtenu gain de cause en formulant directement et simplement le paiement des salaires impayés ou une demande en réparation du préjudice subi du fait de la décision unilatérale de leur employeur de modifier un élément de rémunération sans leur accord.

Il aurait été souhaitable que la Cour précise davantage sa motivation. Mais ce n’est pas une raison pour que des employeurs prennent leur rêve pour une réalité: un mode de rémunération ne peut être modifié qu’avec l’accord du salarié.

Auteur

  • JACQUES BROUILLET