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L’interview : Norbert Alter, Professeur de sociologie, codirecteur du master Management, travail et développement social à Paris-Dauphine

L’enquête | L’INTERVIEW | publié le : 30.09.2014 | V. L.

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L’interview : Norbert Alter, Professeur de sociologie, codirecteur du master Management, travail et développement social à Paris-Dauphine

Crédit photo V. L.

« Les entreprises doivent valoriser les ressources, pas les procédures »

Pourquoi le rôle des managers est-il si primordial dans le déploiement des démarches de qualité de vie au travail ?

Les questions de qualité de vie au travail sont des questions d’organisation et non de psychologie personnelle. Les managers définissent et font fonctionner les organisations. Ils ont pour mission d’articuler, de traduire et de réguler les politiques définies par la direction générale. À eux d’interpréter les directives et de les adapter aux circonstances locales. Leur rôle est donc fondamental. Malheureusement, trop souvent, les managers de proximité n’ont pas assez de marges de manœuvre, ce qui les empêche de rendre la QVT « intelligente ».

Que faire pour leur redonner des marges de manœuvre ?

Les directions générales devraient considérer qu’une bonne qualité de vie au travail est plus efficiente que des procédures parfaitement définies mais trop rationnelles. Ce sont les ressources que les entreprises doivent valoriser, pas les procédures. Plutôt que de persister dans une conception du travail excessivement structurée, « processée », elles devraient favoriser le développement de l’esprit de métier et l’expression des savoir-faire. Trop de décisions sont prises sans analyse concrète des tâches effectuées par les salariés. Il faut que la hiérarchie de proximité et les collaborateurs puissent « éclairer » la direction générale par leurs expériences de terrain. Sans cela, les dysfonctionnements se poursuivront. Un exemple : dans le cadre des politiques qualité, le manager est censé respecter des normes bien précises, supposant de disposer de temps or, en même temps, il doit se conformer à une politique du « juste-à-temps » et de l’urgence, ce qui l’oblige à gérer des injonctions contradictoires. À terme, le risque encouru est le désengagement des managers.

Comment éviter ce désengagement ?

La question n’est pas de mobiliser les salariés : ils le sont, et ils font bien plus que ce qui est prévu dans leur contrat de travail. Le problème est de tirer parti de leur volonté de donner et de s’engager. Comme tous les salariés, les managers ont besoin de reconnaissance, d’autonomie et de coopération pour être bien dans leur travail. Plutôt que de constamment trouver des recettes de mobilisation, il serait ainsi sensé de reconnaître, sous toutes les formes possibles, ce qui est donné par les salariés et de célébrer ce don, de manifester la gratitude de l’entreprise. Et, plutôt que de rationaliser tous les jours un peu plus le travail, il serait utile que les salariés puissent « perdre un peu de temps », car ce type de dépense représente le terreau du lien social, du « vivre-ensemble ».

Comment convaincre les entreprises du bien fondé des démarches de QVT quand elles ont les yeux rivés sur les résultats financiers ?

Dans le master Management, travail et développement social de l’université Paris-Dauphine que je codirige avec Laurence Servel, nous insistons sur l’articulation entre les questions de gestion et de sciences humaines. La seule façon de donner du poids aux questions de qualité de vie au travail est de l’associer aux bénéfices économiques que l’entreprise peut en retirer. C’est, par exemple, le plaisir au travail qui favorise l’engagement des salariés, et cet engagement représente une source de qualité et de réactivité de grande valeur. Je suis plutôt optimiste sur la prise de conscience des directions sur le sujet. Mais le problème est que, lors du déploiement des politiques de QVT, on psychologise encore trop les démarches. Dans les séminaires destinés aux cadres, on leur apprend à gérer leur stress et celui de leurs collaborateurs. Or il faut s’interroger pour savoir d’où vient ce stress et avoir le courage de comprendre que les problèmes rencontrés par les individus résultent de causes collectives. Si les cadres sont fragiles, c’est qu’ils sont fragilisés par l’organisation.

Auteur

  • V. L.