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LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL : Les managers ouvrent des espaces de dialogue

L’enquête | publié le : 30.09.2014 | VIRGINIE LEBLANC

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LA QUALITE DE VIE AU TRAVAIL : Les managers ouvrent des espaces de dialogue

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Pour promouvoir leurs démarches de qualité de vie au travail, les entreprises doivent s’appuyer sur les managers. À condition de clarifier leur rôle et de leur redonner des marges de manœuvre pour organiser le travail dans leurs équipes. Dans certaines d’entre elles, les salariés et les managers sont même invités à prendre la parole sur le travail, pour mieux appréhender ses conditions réelles d’exercice.

Plus d’un an après la signature de l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 sur l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT), les entreprises s’engagent encore timidement sur ce terrain. Mais toutes s’accordent sur le rôle essentiel joué par les managers dans le déploiement d’une démarche QVT.

À l’instar de La Poste. Ce sont en effet les managers « qui ont la plus forte et la plus régulière proximité avec leurs collaborateurs, la responsabilité d’être attentifs à leurs difficultés, un rôle de soutien et un rôle RH », observe Gérard Bellengier, directeur de la stratégie sociale et de la qualité de vie au travail à La Poste (lire p. 24).

Peut-être trop de rôles à la fois, surtout quand les directions ne leur donnent pas de consignes claires sur leurs missions ni sur les moyens de les réaliser. Et qu’elles contraignent les managers au respect de procédures « parfaitement définies mais trop rationnelles », sans leur laisser de marges de manœuvre, comme le souligne Norbert Alter, professeur de sociologie, codirecteur du master Management, travail et développement social de l’université Paris-Dauphine (lire l’interview p. 25). En outre, « il n’y a plus de différence entre management intermédiaire et management de proximité, remarque Martine Keryer, secrétaire nationale confédérale de la CFE-CGC. Il faut remettre le management intermédiaire dans le processus décisionnel pour une meilleure compréhension des stratégies des entreprises ».

Pourtant, « la grande majorité des managers a le souci du bien-être des équipes. La phase du déni des risques psychosociaux est dépassée aujourd’hui, mais on demande aux managers de s’en occuper sans leur donner les capacités organisationnelles pour le faire », déplore Jean-Pierre Brun, professeur de management à l’université de Laval (Canada), consultant expert au cabinet Empreinte humaine.

UN MANQUE DE SENSIBILISATION

Par ailleurs, ils ne sont pas forcément « prédisposés » à être les meilleurs porteurs des démarches de QVT, faute d’y avoir été à tout le moins sensibilisés. « Souvent, les entreprises nomment les managers sur la foi de leurs qualités d’expert, car elles ont du mal à identifier les compétences nécessaires pour manager, observe Bruno Lefebvre, fondateur d’AlterAlliance, cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux et le développement des compétences managériales. Et, une fois en poste, si un manager obtient de bons résultats en termes de chiffres, on ne sanctionnera pas forcément ses défauts de management. »

Il n’est donc pas étonnant que les premières mesures prises par les entreprises pour accompagner leurs managers sur le sujet de la QVT ciblent les formations. Ainsi, La Poste déploie un programme de formation à leur rôle RH (lire p. 24), et fait accompagner ses nouveaux managers par un collègue plus expérimenté. La SNCF aussi renforce les modules proposés à ses cadres sur le sujet et a créé une agence d’accompagnement managérial (lire p. 23).

FAIRE MIEUX AVEC MOINS

Mais il ne s’agit pas de se contenter de formations à la gestion du stress ; l’objectif est de pouvoir amener les managers à analyser les causes organisationnelles des dysfonctionnements dans les équipes.

Parmi ces causes, depuis plusieurs années de crise : les réorganisations à grande échelle. Elles « ont fait peser sur les managers de proximité la responsabilité de repenser les nouvelles organisations, relate Xavier Alas Luquetas, directeur du cabinet Éléas, spécialisé dans la prévention des RPS. On leur a demandé de faire mieux avec moins. » Et, selon lui, deux sujets sont dès lors récurrents : la charge de travail et la coopération entre les équipes. Il propose aux entreprises des ateliers dédiés à la charge de travail, qui visent à identifier des leviers de productivité au sein d’un groupe. Le processus se déroule pendant trois mois, sur six demi-journées. Un groupe représentant une unité de travail réunit managers et salariés, et parfois seulement des managers. Il est animé par un expert spécialiste de la charge de travail et consultant-coach. Grâce aux différentes méthodes utilisées, le travail de codéveloppement permet de clarifier les rôles et de dégager du temps. Un plan d’actions avec une cartographie des bonnes pratiques est conçu à l’issue des travaux et la démarche est présentée aux partenaires sociaux. Sur le sujet de la coopération, c’est le même type d’approche qui est utilisé pour optimiser les interfaces entre les différents services.

Julien Pelletier, chargé de mission à l’Anact, plaide pour l’évaluation des projets de transformation en amont. « Il n’y a pas de mauvais projets mais des projets mal évalués. Il faut apprécier leurs points positifs et négatifs. Les managers portent souvent des projets technico-organisationnels, et ils doivent pouvoir construire avec les équipes l’évaluation de ces projets à l’aune de ce qui est important pour eux. »

L’Anact, dans les entreprises qu’elle accompagne sur ces sujets, propose la mise en place d’un comité d’évaluation composé d’opérateurs et de managers, qui ensuite remet ses remarques et ses pistes d’actions au CE, au CHSCT et au comité de direction.

Sans être spécifiquement liée aux changements organisationnels ou aux restructurations, l’expression des salariés sur leur travail est une pratique encouragée par l’ANI. « Les temps d’échanges et d’explication ne sont pas forcément rentables immédiatement, commente Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT, mais ils sont essentiels au fonctionnement des collectifs de travail. » Au Crédit agricole Loire et Haute-Loire, par exemple, deux agences organisent le dialogue entre managers et salariés sur le travail bien fait, et font remonter des attentes diverses, toujours en lien avec l’amélioration des conditions de travail (lire p. 22).

Les espaces de codéveloppement pour l’encadrement intéressent de plus en plus les entreprises. Les cadres peuvent y exprimer leurs difficultés, et surtout y trouver des réponses pour agir. « Ce dispositif permet de produire des savoir-faire et de l’autonomie, explique Bruno Lefebvre. Au cours de ces réunions, chacun propose un sujet à la réflexion de ses pairs. Un animateur externe ou interne pousse le groupe à être concret et précis. Il se place dans une posture de coach et formalise leurs réflexions et leurs solutions en temps réel. La démarche permet de créer un collectif et de rompre l’isolement du manager. » C’est aussi, selon lui, l’occasion d’adresser un message à l’organisation tout en proposant les ressources identifiées par les managers pour se sortir des difficultés. Un outil utile pour les DRH, qui organisent ces groupes et traitent les remontées.

DIALOGUE AU QUOTIDIEN

Les ateliers ou groupes d’expression ne doivent pas faire oublier la nécessité de réintroduire tout simplement plus de dialogue au quotidien entre salariés et managers. Et Jean-Pierre Brun de citer l’exemple d’une entreprise dans laquelle il est intervenu. Celle-ci était en perte de productivité et les salariés avaient très peu de proximité avec les managers. « Quand le nouveau directeur est arrivé, se rappelle-t-il, il a interdit les réunions pendant la première heure et demie de prise de poste et il a exigé que les managers soient auprès de leurs équipes. »

Attention, souligne Jean-Pierre Brun, pour autant, « les managers ne doivent pas porter à eux seuls toute la responsabilité de la QVT. C’est pourquoi nous travaillons aussi sur les pratiques de gouvernance ». Martine Keryer en est convaincue : « Il faut former les membres des conseils d’administration sur ce qu’est le sens du travail, le concept d’autonomie et la valeur travail. » Et peut-être leur demander de donner l’exemple pour faire notamment appliquer le droit à la déconnexion ?

EXTRAITS DE L’ANI DU 19 JUIN 2013

« Le rôle du management, comme celui de la direction, est primordial dans toute démarche visant à améliorer la qualité de vie au travail. Au quotidien, il organise l’activité, fait face aux difficultés rencontrées par les salariés et est un relais essentiel de la politique de l’entreprise. À cet effet, il est nécessaire que l’employeur précise le rôle du management et les moyens nécessaires mis en œuvre pour qu’il puisse exercer ce rôle. Une meilleure sensibilisation et une formation adéquate des managers en matière de gestion d’équipe et de comportements managériaux sont de nature à favoriser la qualité de vie au travail. L’objectif est d’aider ces managers à mieux appréhender les difficultés en prenant en compte les conditions réelles d’exercice du travail, à favoriser les échanges sur le travail, à savoir mieux identifier les conditions d’une bonne coopération dans leurs équipes. »

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC