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Le label de la discorde

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 09.09.2014 | EMMANUEL FRANCK

Obtenu en mars 2014, le label Diversité de France Télévisions certifie que l’entreprise a engagé des moyens dans la lutte contre les discriminations. Des détracteurs internes reprochent au groupe d’audiovisuel de ne pas obtenir suffisamment de résultats.

Le label Diversité est normalement une récompense source de fierté et de concorde dans une entreprise. Pas à France Télévisions. Comme 300 autres entreprises, le groupe d’audiovisuel public a obtenu le label certifié par l’Afnor le 18 mars 2014. Mais, à l’inverse des autres labélisés, la période qui a entouré cette distinction n’a pas été le moment de cohésion que pouvait espérer la direction. Elle a au contraire été émaillée de critiques de la part de certains représentants du personnel.

Cette opposition est peu partagée : elle émane d’un syndicat – le SNJ-CGT – dont la position est minoritaire au sein de la CGT de France Télévisions, de la commission diversité du comité d’entreprise, et d’une injoignable association, France Télés Diversités, présidée par la même personne que la commission diversité. Il n’empêche, cette fronde contredit la promesse de l’Afnor selon laquelle le label permet de « faciliter et d’accompagner le dialogue social dans l’entreprise grâce à un projet partagé par tous et apprécié des partenaires sociaux ».

Le 28 janvier, en plein processus de labélisation, la commission diversité du CE considère que « France Télévisions ne mérite pas [le] label ». Et au moment où celui-ci est finalement attribué, le syndicat national des journalistes SNJ-CGT estime que la « certification [est] non méritée ».

Manque de résultats

Qu’est-il reproché à France Télévisions ? Un manque de transparence dans la lutte contre les discriminations et en faveur de la diversité, un problème de gouvernance et, surtout, un manque de résultats. La commission diversité du CE souhaite notamment que « des sanctions internes soient mises en place afin que les managers et les salariés coupables de discrimination soient sanctionnés ». En outre, elle s’« inquiète que la diversité soit si peu présente à l’antenne ».

Le SNJ-CGT se plaint également d’« antennes désespérément sans couleurs » et où prédominent des experts masculins, du faible nombre de femmes en haut de l’organigramme, de l’absence de salariés d’origine modeste sauf à la sécurité et au ménage, de la mise à l’écart des seniors, mais aussi d’une « multiplication des plaintes pour discrimination ». Le syndicat rappelle enfin les dérives de langage, à l’antenne, des commentateurs Nelson Monfort et Philippe Candeloro pendant les Jeux olympiques de Sotchi, dont les propos ont été jugés « graveleux » par le CSA.

« J’entends les remarques de la CGT et du comité d’entreprise, déclare Patrice Papet, directeur général en charge de l’organisation, des RH et du projet d’entreprise. Mais le label sanctionne une démarche et non pas le résultat d’une démarche. D’ailleurs, sur les 27 points contrôlés par l’Afnor, nous avons été jugés performants sur 17 et conformes sur 10. » L’instance qui évalue cette conformité est une commission dans laquelle siègent notamment des représentants des confédérations de salariés, mais ses délibérations sont secrètes au point qu’il n’est même pas possible de savoir si elles ont voté pour ou contre l’attribution du label.

Patrice Papet fait en outre remar­quer qu’« aucune entreprise ne peut prétendre être parfaite ». De fait, la délivrance du label Diversité « ne signifie pas que l’organisme a respecté, respecte ou respectera la législation et/ou la réglementation nationale ou internationale », prévient l’Afnor. Véronique Marchand, du SNJ-CGT, en convient, mais elle estime que « la direction n’a pas suffisamment montré qu’elle était prête et volontaire pour engager la démarche ». Elle reconnaît que les signatures récentes d’un accord égalité et d’un accord sur les contrats de génération sont deux points positifs, mais elle ajoute qu’ils ne suffisent pas à justifier cette distinction. À noter que l’État réfléchit à un nouveau cahier des charges du label, davantage orienté vers l’« effectivité de la législation » (lire Entreprise & Carrières n° 1188).

Enfin, dernière objection aux critiques, le label s’intéresse aux procédures de gestion des ressources humaines, pas à la production de l’entreprise et donc pas à la diversité des personnes qui passent à l’antenne. « Nous avons néanmoins intégré cette démarche, car elle fait partie des engagements pris par notre Pdg », rappelle Patrice Papet. Afin de faire intervenir davantage de femmes à l’antenne, le groupe s’est par exemple constitué un répertoire d’expertes.

Certification des moyens engagés

La direction peut donc légitimement arguer que le label certifie seulement que des moyens ont été engagés dans le domaine de la gestion des RH. Mais Véronique Marchand peut tout aussi légitimement souligner qu’« il y a un gouffre entre, d’une part, la communication de la direction [sur la diversité] et, d’autre part, ce que vivent les salariés et ce que voient les téléspectateurs ».

Dans un autre contexte, ce conflit de légitimité ne serait peut-être pas apparu. Mais France Télévisions est en pleine restructuration : tous les accords ont été dénoncés, et un nouvel accord d’entreprise a été renégocié l’année dernière ; par ailleurs, un plan de départs volontaires est en cours. « Ce n’est pas la période la plus sereine pour une démarche de labélisation », reconnaît Patrice Papet.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK