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PREMIERS RETOURS D’EXPÉRIENCE

Enquête | publié le : 09.09.2014 | EMMANUEL FRANCK

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PREMIERS RETOURS D’EXPÉRIENCE

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Quelques entreprises ont mis en place les premières bases de données économiques et sociales (BDES) censées remplacer les informations à fournir au CE. Il s’agit pour le moment d’outils rudimentaires créés sans négociation avec les syndicats. Leur mise en œuvre technique est relativement simple. Mais il est trop tôt pour en mesurer les effets sur le dialogue social.

Les entreprises de 300 salariés et plus avaient jusqu’au 14 juin 2014 pour mettre en place leur base de données économiques et sociales (BDES). Créé par l’accord national sur la sécurisation de l’emploi de janvier 2013 et légalisé par la loi du 14 juin 2013, ce nouvel outil est ambitieux.

Selon les signataires de l’accord, la base doit servir aux salariés à s’approprier la stratégie de l’entreprise afin d’anticiper ses conséquences sur leur emploi. Elle doit notamment comporter des informations ou des tendances sur les trois années à venir et servir de support à une consultation du CE sur les « orientations stratégiques de l’entreprise ». Mais elle est également supposée simplifier la vie des entreprises, selon ses inventeurs, en remplaçant l’ensemble des informations transmises de manière récurrente aux IRP. « La base de données est une avancée significative – sans être majestueuse – pour régler l’antagonisme entre les directions d’entreprise et les représentants des salariés », analyse Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail (IST).

Qu’en est-il trois mois après l’échéance fixée par la loi de sécurisation de l’emploi ? « Bon nombre d’entreprises se sont engagées dans la démarche », déclare Yves Struillou, le nouveau directeur général du Travail (lire son interview p. 26). « Ça patine », estime de son côté Jean-François Poupard, DG de Syndex, cabinet de conseil aux IRP. En l’absence de statistiques, il est impossible d’objectiver le niveau de déploiement de ces bases.

Un délai officieux supplémentaire

Une certitude cependant : les entreprises n’ont pas de raison de se presser, ni pour la BDES, ni pour la consultation stratégie. Le directeur général du Travail assure que, pendant la période de rodage, l’administration ne va pas les « traquer ». Les pouvoirs publics leur octroient donc un délai officieux supplémentaire d’environ un an. Il faut dire que ces derniers ont attendu six mois pour publier le décret d’application de la BDES (27 décembre 2013) et neuf mois pour la circulaire (18 mars 2014). Restaient trois mois aux entreprises pour décoder les textes, monter un projet, rechercher les informations à faire figurer dans la base, distribuer les accès…

Les pouvoirs publics conseillent, en outre, de négocier la mise en œuvre de la base avec les syndicats. Ce qui prend encore du temps. « La date du 14 juin 2014 était trop ambitieuse, estime Jean-François Poupard, et les entreprises qui s’y sont conformées n’ont rien négocié. » Capgemini est tout de même parvenu à faire signer ses syndicats et à respecter l’échéance (lire p. 23). Mais c’est l’exception. Toutes les autres entreprises que nous avons rencontrées et qui ont à peu près tenu les délais ont imposé une BDES sans négociation, quitte à revoir les syndicats plus tard. Aucune n’a encore formellement organisé une négociation sur les orientations stratégiques.

Développement d’une offre

Ces entreprises témoignent que la mise en place de la BDES n’était techniquement pas insurmontable. Quasiment toutes les informations qu’elle doit contenir se trouvent déjà dans des rapports et des bilans existants (lire p. 22). La responsable des relations sociales de Banque populaire Rives de Paris regrette cependant que les intitulés de la base et des rapports ne correspondent pas, ce qui impose un fastidieux travail de recoupement (lire p. 25). Ceci fait, il suffit de verser les informations dans un outil informatique simple, de type SharePoint, et de créer des liens correspondant aux rubriques de la base. Toutes les entreprises ont opté pour une base de données informatique. Certaines ont fait appel à des prestataires. Une offre, couplant en général l’informatique et le conseil, est d’ailleurs en train de se développer. À noter que la confidentialité n’a pas été un point bloquant, mais il est vrai que, dans les entreprises que nous avons contactées, le dialogue social reposait déjà sur la confiance.

Compte tenu des délais et de l’absence de négociation, ces bases de données sont créées a minima, appliquant la loi, sans plus. Seul Capgemini a offert des accès à des représentants qui n’étaient pas visés par les textes et a formalisé un calendrier de consultation sur les orientations stratégiques. Areva termine de négocier un projet très ambitieux sur ce dernier sujet et sur la BDES et la GPEC qui doivent en résulter.

Sur le fond, la BDES va-t-elle améliorer le dialogue social des entreprises qui s’en sont dotées ? Il est encore un peu tôt pour le dire. Mais il ne faut pas attendre de révolution. Les informations contenues dans la base existaient déjà ; elles sont maintenant centralisées et accessibles à un plus grand nombre de personnes. Les DRH affichent néanmoins leur optimisme : « Le dialogue social se nourrit de la transparence de l’information, parce qu’elle contribue à la confiance », déclare Marc Veyron, directeur des affaires sociales de Capgemini. Là où la confiance existait déjà entre partenaires sociaux, la BDES et la consultation seront superflues. Plusieurs entreprises rencontrées avaient même déjà un dialogue stratégique avec les représentants du personnel. Chez Clemessy, « la nouvelle loi ne bouleverse pas la donne », estime par exemple le délégué CFE-CGC (lire p. 24).

Des syndicats pointent déjà quelques difficultés. Le délégué CFDT de Clemessy aurait aimé négocier les indicateurs de la base afin qu’ils décrivent mieux les flux financiers entre les filiales et Eiffage, la maison mère. La CFDT d’Orange estime que la base de données de l’opérateur, mise en place au niveau de l’UES, ne permettra pas aux représentants du personnel de se faire une idée de la stratégie de l’entreprise. Elle réclame une BDES au niveau du groupe. Dans ce cas, il faut un accord d’entreprise, disent les textes.

L’articulation entre les différents niveaux d’information est l’enjeu central de la base de données, selon Jean-François Poupard, de Syndex : « Idéalement, il faudrait une base au niveau du groupe pour traiter de stratégie, et des bases dans les entreprises pour traiter d’emploi et de conditions de travail. »

Enfin, l’objectif de simplification fixé par les signataires de l’accord interprofessionnel n’est clairement pas atteint. Pour le moment, la base ne remplace pas les « informations transmises de façon récurrente aux IRP ». D’une part, parce que seules les informations transmises au CE sont visées par la loi. D’autre part, parce que la BDES doit être complète avant de pouvoir remplacer les rapports et les bilans (lire ci-dessous). En attendant, les entreprises cumulent BDES et envoi d’informations au CE.

L’ESSENTIEL

1 La base de données économiques et sociales doit permettre aux représentants des salariés et à la direction de converger sur la stratégie de l’entreprise. Incidemment, elle doit alléger la charge de travail des directions relative à l’information du CE.

2 Premiers retours : les bases de données ne sont pas très compliquées à mettre en place, mais elles n’allègent pas (encore) la charge des entreprises. Elles ne changeront pas le dialogue social là où il était déjà de qualité.

3 Les pouvoirs publics ont décidé de laisser du temps aux entreprises ayant dépassé le délai légal.

Pour en savoir plus

À retrouver sur <www.wk-rh.fr>, Entreprise & Carrières ; docuthèque :

→ Livre blanc Lamy-Liaisons sociales-Entreprise & Carrières-Cahiers du DRH sur la base de données économiques et sociales, juillet 2014.

→ “La base de données unique des représentants du personnel”, Livre blanc, février 2014, Aurianne Cothenet, éditions Tissot.

→ Comment se saisir de la base de données économiques et sociale pour mieux comprendre les orientations stratégiques de votre entreprise ?, Secafi.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK