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CES ENTREPRISES QUI TENTENT DE RENÉGOCIER

Enquête | publié le : 02.09.2014 | ÉLODIE SARFATI

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CES ENTREPRISES QUI TENTENT DE RENÉGOCIER

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Réduire le nombre de RTT, moduler les horaires : de plus en plus d’entreprises remettent sur le tapis le sujet du temps de travail. Avec plus ou moins de succès, car les négociations sont souvent difficiles.

Ce devait être le chantier RH prioritaire de l’année chez EDF : la remise à plat de l’accord de 1999 sur le temps de travail et de la multitude d’accords locaux existants afin, selon la DRH Marianne Laigneau, de « s’adapter aux enjeux industriels actuels ». Mais, alors qu’elle tablait sur une ouverture des négociations au printemps dernier, celles-ci ont été repoussées après l’été. À l’issue des premiers échanges avec les syndicats, les discussions ont achoppé pour le moment sur l’instauration du forfait-jours pour les cadres. Dans le même temps, ExxonMobil réussissait à obtenir un accord consacrant la perte de 3 jours de RTT par an (lire p. 25), tandis que B2S négociait un système de modulation du temps de travail (lire p. 26).

Gagner en réactivité

Renégocier les accords sur le temps de travail ? De plus en plus d’entreprises y pensent. « La persistance de la crise, et l’arrivée d’une nouvelle génération de DRH, qui n’a pas les mêmes préventions que ses prédécesseurs, font que les entreprises montrent un certain intérêt pour remettre à plat des accords auxquels on n’avait pas touché depuis longtemps », note Franck Morel, avocat au cabinet Barthelemy. 31 % des DRH interrogés dans le cadre de notre baromètre Défis RH 2014* considéraient que l’aménagement et la durée du travail étaient des sujets prioritaires dans leur entreprise, deux fois plus qu’en 2012.

Les quelques entreprises qui s’y collent cherchent la plupart du temps à augmenter le temps de travail. « Elles diminuent le nombre de RTT ou reviennent sur les temps de pause, ou d’habillage, qu’elles essayent de ne pas traiter comme du temps de travail effectif », constate Charlotte Michaud, avocate au cabinet Flichy Grangé. « Il s’agit pour les entreprises de faire en sorte que les salariés soient plus souvent présents, pour gagner en réactivité, ajoute Franck Morel. Dans ce cas, la hausse du temps de travail s’accompagne d’une revalorisation des salaires. » Ailleurs, ce sont des accords de compétitivité – gel ou presque des salaires et augmentation de la durée du travail – avec des contreparties variables en termes d’emploi, à l’instar de l’accord conclu par Renault en 2013. Une cinquantaine d’accords de ce type ont été recensés l’année dernière par le ministère du Travail. À NextiraOne, par exemple, les salariés ont, entre autres, abandonné trois jours de RTT en juin dernier pour réduire l’impact d’un PSE. « L’ANI du 11 janvier 2013, a ouvert la brèche : depuis, on voit bien que les discussions émergent dans les entreprises pour renégocier le temps de travail en prenant comme prétexte la situation économique », fulmine Hervé Quillet, secrétaire général de la fédération chimie de Force ouvrière. Dans un contexte très différent, plusieurs hôpitaux tentent aussi de s’attaquer aux RTT (lire p. 22).

Recherche de flexibilité

Les entreprises recherchent aussi davantage de souplesse. Une tendance qui ne pourra que s’amplifier, selon le sociologue Pierre Boisard (lire p. 27). Charlotte Michaud note que les employeurs ont tendance à « étendre les forfaits-jours, qui restent un outil de grande flexibilité, à davantage de salariés, tout en restant attentifs aux évolutions jurisprudentielles ». À STX, outre le gel de certains jours de RTT, l’accord de compétitivité a instauré un système d’annualisation (lire p. 25). Le sujet de la modulation horaire revient en force dans les centres d’appels, constate Frédéric Madelin, secrétaire fédéral de SUD PTT : « Les entreprises estiment que l’organisation du temps de travail ne permet pas de gagner de nouveaux clients, et rouvrent la négociation à chaque nouveau contrat. Depuis quelques mois, ce mouvement s’accélère, et les écarts demandés deviennent plus importants, en termes de modulation horaire hebdomadaire mais aussi journalière, avec des rythmes quotidiens passant de 4 heures à 10 heures d’un jour à l’autre. »

Sujet sensible

L’ouverture de ce type de négociation provoque, bien souvent, de fortes crispations, voire des mobilisations d’ampleur. « Le sujet n’est plus tabou, mais il reste sensible », résume Claude Bodeau, chargé de la practice RH chez Kurt Salmon. Chez Buffalo Grill, deux jours de grève ont eu raison du projet de la direction, qui souhaitait faire travailler ses salariés jusqu’à 48 heures par semaine en période haute, et économiser ainsi 2 millions d’euros par an d’heures supplémentaires.

« À l’hôpital, le temps de travail et le temps personnel sont très imbriqués : on travaille un week-end sur deux, jusqu’à 21 heures… Dès lors, supprimer des RTT est vécu par les salariés comme une attaque sur l’espace de la vie privée », explique Philippe Crepel, secrétaire fédéral de la CGT Santé et action sociale.

Dans les centres d’appels, les syndicats s’inquiètent des effets de l’annualisation sur les conditions de travail et l’usure psychique. À Equaline, centre d’appels filialisé d’Iliad-Free, un accord, signé au printemps avec la CFDT et l’Unsa, prévoit des rythmes de 31 heures à 39 heures hebdomadaires et le travail le samedi : « Nous allons connaître 12 semaines hautes en sept mois. Avec le travail du samedi, les deux jours de repos hebdomadaires ne seront plus consécutifs. Ajouté à l’enchaînement des rythmes de 35 et 39 heures, ce sera beaucoup plus difficile de récupérer », déplore David Mégard, le délégué syndical FO.

Menace de dénonciation d’accords

Chez Dassault Aviation, où des négociations doivent s’ouvrir prochainement, les syndicats craignent de voir remis en cause l’équilibre vie personnelle-vie professionnelle. « Depuis 1992, nous avons un dispositif d’aménagement personnalisé du temps de travail, basé sur des amplitudes journalières importantes et des plages fixes réduites de 3 h 30 à 5 h 30, explique Jacques Darracq, délégué syndical central adjoint CFDT. En cas de dépassement, cela génère jusqu’à 22 demi-journées de “prise d’APTT” par an, que les salariés prennent souvent le vendredi après-midi. La direction veut durcir ce système, en allongeant les plages fixes et en réduisant l’amplitude quotidienne. Elle estime qu’il faut qu’il y ait davantage de salariés en même temps sur les différents sites pour être plus productifs. Mais elle touche à un acquis très important chez nous, les salariés sont inquiets, car elle a prévenu qu’elle pourrait dénoncer l’accord de 1992. »

Cette menace, les entreprises n’hésitent plus à la brandir pour obtenir les signatures nécessaires. À STX, elle a été mise à exécution. Mais c’est une arme à double tranchant, signale toutefois Charlotte Michaud : « Sans accord collectif, il ne peut pas y avoir de modulation, ni de forfaits en jours », rappelle l’avocate, qui invite également à la vigilance sur l’opposabilité de l’accord nouvellement signé aux contrats de travail en cours. D’ailleurs, note Claude Bodeau, il n’est pas toujours nécessaire de remettre en cause l’accord 35 heures pour gagner en efficacité : « L’entreprise en a-t-elle vraiment besoin ? Est-ce qu’en regardant de près l’organisation du travail, on ne peut pas aussi y arriver ? Limiter le nombre de réunions, raccourcir les circuits de décisions, agir contre l’absentéisme… sont aussi des pistes pour gagner du temps. Une entreprise qui voulait supprimer des RTT pour augmenter le temps de travail effectif s’était rendu compte qu’il lui suffisait pour cela de faire appliquer ce qui était contenu dans son accord, par exemple sur les temps de pause qui ne faisaient l’objet d’aucun suivi. »

Le temps de travail peut aussi être abordé par des voies détournées, poursuit le consultant : « En ouvrant la négociation sur des sujets périphériques, comme la qualité de vie au travail, on peut au final aboutir à modifier l’accord temps de travail. Cela permet de trouver plus facilement des compromis qui donnent de la souplesse à l’employeur et des contreparties aux salariés. Moins de RTT en échange du télétravail, par exemple. » Chez Scor, les négociations sur l’amélioration du système de retraite ont abouti à la suppression de 5 jours de RTT par an pour en assurer le financement. L’accord instituant ce deal original a été signé cet été.

* Inergie-Entreprise&Carrières-ANDRH.

L’ESSENTIEL

1 Alors que le sujet a longtemps été tabou, certaines entreprises n’hésitent plus à renégocier le temps de travail, quitte à dénoncer les accords en vigueur.

2 STX, NextiraOne, ExxonMobil ont revu à la baisse le nombre de RTT pour gagner en compétitivité, tandis que les centres d’appels veulent flexibiliser les horaires.

3 Mais toutes les négociations n’aboutissent pas, donnant lieu, parfois, à des mouvements sociaux importants, comme dans les hôpitaux.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI