L’affirmation de l’égalité en droit par les révolutions démocratiques, dont la Révolution française, est entrée en contradiction avec la formation des inégalités de classes engendrée par les sociétés industrielles. Mais jusque dans les années 70, celles-ci fondaient une représentation de la vie sociale en termes d’opposition et de luttes. Les années 80 ont effacé cette opposition sous l’effet des transformations du travail et de la disparition corrélative de la conscience ouvrière. Les inégalités sociales ont pourtant tendance à se creuser tandis que d’autres, jusqu’à là invisibles (genre, appartenance religieuse ou ethnique…) occupent le devant de la scène. Cet épuisement progressif du régime des classes sociales est aujourd’hui associé à une conception particulière de la justice sociale : la méritocratie, qui exacerbe la responsabilité individuelle dans le destin social des individus et tend à rendre plus difficiles les mobilisations collectives. Dans cette logique, chacun obtiendrait du système scolaire et économique ce qu’il mérite en fonction de son talent, de son travail, de sa motivation. Dans cette situation économique et sociale où les plus riches continuent de s’enrichir quand les classes populaires s’appauvrissent et où les solidarités s’affaiblissent au nom de la liberté individuelle, il appartient au sociologue de mettre en rapport les concepts d’égalité et de justice pour penser cet oxymore que serait une « inégalité juste » et pour poser les jalons d’une réflexion sur la solidarité sans laquelle nos sociétés risquent de dériver vers une situation explosive. Ce que François Dubet appelle « réarticuler le thème de l’égalité avec celui de la fraternité ».

Inégalités et justice sociale

Sous la direction de François Dubet, éditions La Découverte, 320 pages, 25 euros.