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« Il faut construire les carrières de manière plus volontariste »

Enjeux | publié le : 02.09.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« Il faut construire les carrières de manière plus volontariste »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La gestion de carrière est l’objet d’un malentendu entre les salariés et les entreprises. En adoptant un rôle plus proactif d’information et de formation auprès des managers et des salariés, les RH pourraient réconcilier des points de vue divergents.

E & C : Une carrière se gère conjointement par le salarié et l’entreprise, comment concilier leurs intérêts ?

Jean Pralong : Cette conciliation est délicate. Dans les trois schémas de progression de carrière que sont la carrière managériale, celle d’expertise et les carrières commerciales – ou de gestion de portefeuilles d’activités –, la première reste l’archétype de la réussite professionnelle en termes d’image et parfois de rémunération, alors qu’elle ne correspond plus aux profils dont l’entreprise a besoin en priorité. L’idée qu’à partir du moment où un salarié avait intégré une entreprise, son parcours de carrière se déroulait à peu près automatiquement à l’ancienneté, a vécu. Aujourd’hui, du fait du raccourcissement des pyramides hiérarchiques, l’entreprise dispose de moins de postes de managers que par le passé. Par ailleurs, l’émergence de métiers nouveaux, qui ne s’inscrivent pas en droite ligne des métiers existants, fait apparaître de nombreux postes que les salariés connaissent mal. Parallèlement à ce mouvement a prévalu dans le discours de l’entreprise l’idée que le salarié était complètement responsable de son projet professionnel et qu’il lui appartenait d’élaborer celui-ci à partir de son bilan de compétences et de ses désirs. Les salariés tendent donc à s’accrocher à des projets personnels conçus sans référence aux besoins de l’entreprise et souvent sur le modèle des progressions hiérarchiques traditionnelles vers les carrières managériales encore survalorisées.

Nous sommes donc dans la situation où beaucoup de postes nouveaux sont à pourvoir en interne sans trouver preneurs et où, dans le même temps, les salariés attendent d’improbables postes qu’ils ont défini eux-mêmes sans consulter l’entreprise ; avec, quand cet espoir tarde à venir, la tentation de se tourner vers la mobilité externe. Tout cela dans un contexte où, après avoir réduit autant que possible leur masse salariale dans une logique concurrentielle, les entreprises fonctionnent avec des effectifs planchers et où il est donc essentiel pour elles de favoriser la fidélité de leurs salariés.

E & C : Comment sortir de cette contradiction ?

J. P. : Il faut clairement revenir sur les pratiques actuelles, qui considèrent que laisser les individus organiser leur carrière est la panacée. Plus leur projet est personnel, moins il a de chances de coïncider avec les propositions de postes alternatives sur les métiers émergents. De même, il convient de revenir sur l’habitude prise de laisser au manager opérationnel la haute main sur la décision finale de recrutement. Celui-ci tend à rechercher les compétences les plus immédiatement exploitables au plan opérationnel et donc à exclure les candidats aux profils atypiques. Les DRH doivent reprendre la main sur les carrières, car eux seuls sont à même de gérer les parcours dans la durée et non simplement de boucher les trous des postes vacants au cas par cas. Il leur appartient d’accompagner à la fois les salariés, pour les inciter à postuler sur des postes auxquels ils ne songeaient pas, et les managers dans la mission trop souvent négligée de développement de leurs collaborateurs.

Alors que le manager tend à s’inscrire dans le court terme, les DRH sont à même d’articuler le court terme et le développement stratégique de l’entreprise au long cours. La gestion de carrière est un facteur de nature à renforcer la nécessaire confiance dans l’entreprise puisque, malgré un discours ambiant qui met la mobilité en exergue, la mobilité et le chômage de l’encadrement restent faibles. Concernant les salariés, il est important de rappeler qu’un projet professionnel doit d’abord s’énoncer en termes de type d’activité plutôt que de poste.

E & C : Comment valoriser concrètement des évolutions de carrières non managériales ?

J. P. : Le problème de la reconnaissance financière des carrières non managériales n’est pas résolu en France. Alors qu’on sait appliquer des grilles de salaire calquées sur la pyramide hiérarchique, on ne sait pas trop de manière globale comment rémunérer l’expertise. Peut-être faudrait-il individualiser complètement ce type de salaire pour le corréler aux parcours singuliers plutôt qu’à une logique catégorielle. Les États-Unis ont par exemple mis sur pied des indicateurs de réputation professionnelle qui n’existent pas en France, ce qui pourrait pourtant être utile pour quantifier et rétribuer l’expertise. Concernant les salariés, sortir de la logique exclusive de promotion managériale suppose, d’une part, un effort de communication sur les opportunités de carrière non managériale, d’autre part, la mise sur pied de formations transversales tout au long de la vie afin de faciliter l’employabilité interne. Alors qu’on sait très bien former les salariés pour leur permettre d’acquérir les connaissances et les compétences techniques nécessaires à un poste donné, on sait moins bien dispenser le socle de compétences transversales qui favorise ensuite l’acquisition des compétences particulières. Pour faciliter les évolutions de carrières managériales, expertes, commerciales ou hybrides, tous les cadres devraient bénéficier de trois types de formations. D’une part, une au management et à la communication pour leur apprendre à gérer la relation à autrui ; d’autre part, une formation à la gestion de carrière elle-même, qui serait l’occasion de dissiper le malentendu existant actuellement entre l’entreprise et ses salariés sur la carrière; enfin, une formation à l’apprentissage pour permettre au cadre, quel que soit son poste, de savoir trouver l’information et, en fonction des sources, le crédit à lui accorder.

E & C : Quelles seraient les conséquences pour les services des ressources humaines ?

J. P. : Je crois qu’il est temps d’abandonner l’idée que le DRH serait simplement un business partner, pour mettre au contraire l’accent sur son rôle stratégique spécifique.

En ce qui concerne la gestion de carrière, il faut réinvestir la fonction RH de manière moins soft et davantage proactive. Les DRH doivent avoir conscience qu’ils ont un rôle déterminant à jouer dans la création d’une culture commune au service de la fidélité de l’encadrement, qui reste une réalité doublée d’une nécessité.

Il faut construire les carrières de manière plus volontariste si l’on veut que les attentes des salariés et celles de l’entreprise en viennent à coïncider. Les DRH doivent pouvoir éclairer les choix des intéressés, les motiver dans le sens des attentes de l’entreprise, les former non pas tant à tel ou tel poste particulier mais aux compétences requises par toute forme de carrière de cadre et les intéresser à opter pour d’autres carrières que celles de managers.

PARCOURS

• Jean Pralong enseigne la gestion des ressources humaines à Neoma Business School (Rouen), où il est titulaire de la chaire Nouvelles carrières.

• Psychologue et docteur en sciences de gestion, ses travaux portent sur les nouveaux comportements au travail et les nouvelles formes de carrières.

• Il animera pour l’Anvie le club Dynamiser la gestion des carrières, de septembre 2014 à février 2015, en collaboration avec plusieurs grandes entreprises (ADP, EDF, GRTgaz, la Marine nationale, Société générale, Sony Music Entertainment, etc.).

LECTURES

• Le Nouvel Esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Ève Chiapello, Gallimard, 1999.

• Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes, Seuil, 1979.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX