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L’ENTREPRISE EN QUÊTE DE CRÉDIBILITÉ

Enquête | publié le : 15.07.2014 | VIRGINIE LEBLANC

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L’ENTREPRISE EN QUÊTE DE CRÉDIBILITÉ

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Depuis plusieurs années, les entreprises françaises sont soumises à une obligation de transparence et de communication d’informations en matière sociale et environnementale. Les évolutions législatives plus récentes renforcent cette exigence. Ne se contentant pas de répondre à une contrainte légale, certaines sociétés tentent de faire du reporting extra-financier un outil stratégique pour asseoir leur démarche RSE et lui donner davantage de sens.

« La notion de RSE soulève encore scepticisme et défiance. C’est avant tout une démarche de progrès sur un périmètre très vaste, mais elle doit être fondée sur des indicateurs vérifiables et vérifiés, sans oublier le nécessaire débat avec les parties prenantes internes et externes », reconnaît Lydia Brovelli(1), coauteure, avec Xavier Drago et Éric Molinié, d’un rapport remis au gouvernement en juin 2013, qui avançait vingt propositions pour renforcer la démarche de RSE des entreprises.

Deux ans après l’entrée en vigueur du décret du 24 avril 2012 de la loi Grenelle 2, qui a étendu l’obligation de publication d’informations sur la RSE au sein du rapport de gestion à certaines sociétés non cotées et instauré une vérification obligatoire de ces informations par un organisme tiers indépendant, les marges de progrès restent grandes. La Plateforme RSE, instance de concertation lancée par le gouvernement et qui rassemble de multiples parties prenantes, a publié début juillet des recommandations en la matière (lire p. 22). Globalement, elle constate les « efforts accomplis par les entreprises pour appliquer l’article 225 (article de la loi Grenelle 2 relatif au reporting extra-financier, NDLR) » et « les progrès enregistrés par rapport à la loi NRE ».

Un dispositif à clarifier

Mais, comme de nombreux experts, elle souligne la nécessité de clarifier le dispositif. Entre autres cette confusion sémantique entre les 42 thèmes définis par le décret (informations sociales, environnementales et sociétales) et la notion d’indicateurs. « Le décret définit des thèmes et, ponctuellement, des indicateurs, comme le nombre total d’heures de formation. Cela n’aide pas à la bonne compréhension des enjeux par les entreprises ! », souligne François Fatoux, délégué général de l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises). De plus, selon lui, les entreprises n’ont pas encore bien intégré toute la dimension du principe “comply or explain”. Un principe qui leur permet de ne pas produire certaines informations, si elles estiment impossible de les publier ou bien si ces informations n’ont pas lieu d’être eu égard à la nature de leurs activités ou au regard de leur organisation, à condition de fournir des explications.

Autre point sensible, elles ont « encore du mal à admettre qu’elles ne peuvent pas être bonnes partout. Certaines préfèrent alors délivrer une information peu précise. C’est dommageable, car cela contribue au greenwashing », remarque Stéphanie Toussaint, consultante et associée du cabinet de conseil en RSE Nicomak.

« Le poids des habitudes ne rend pas forcément leur reporting pertinent, poursuit François Fatoux. Alors même qu’elles pourraient définir des indicateurs en nombre plus limité et répondre à leurs enjeux clés, elles ne le font pas. » « Plutôt qu’une quantité d’indicateurs tous azimuts, il est attendu aujourd’hui des entreprises qu’elles rendent compte de leurs engagements sur la base d’indicateurs qui fassent sens, qui soient compréhensibles et crédibles, insiste Sophie Thiéry, directrice de Vigeo Enterprise. Certaines d’entre elles ont tendance à se placer dans une stricte réponse à l’obligation légale, sans adosser leurs indicateurs à leur politique RH. Mais de plus en plus d’entreprises, y compris celles qui pratiquent le reporting de longue date, nous demandent de challenger ce reporting et de les aider à renforcer la pertinence de leurs indicateurs. »

Une dizaine d’indicateurs clés

Vigeo aide l’entreprise à définir ses enjeux majeurs et l’interroge sur l’objectif de son reporting, sur ce qu’elle veut en faire. Dans la plupart des situations, il est possible de dégager avec les représentants du personnel 10 à 12 indicateurs clés pour nourrir le dialogue social de façon régulière.

En outre, Vigeo a également accompagné des entreprises comme Orange (lire l’encadré p. 23), Sodexo, Lyonnaise des Eaux, ou les bailleurs sociaux Efidis (lire Entreprise & Carrières n° 1166) et LogiRep dans une démarche dénommée “employeur responsable” afin de bénéficier « d’un diagnostic réalisé par un tiers externe indépendant » et d’une aide au choix d’indicateurs pertinents.

Dans le même esprit, EDF a souhaité dégager « onze engagements forts et partagés au niveau du groupe, avec des indicateurs d’objectifs ou un suivi de performance, explique Éric Molinié, directeur adjoint du développement durable d’EDF. Pendant un an, avec les filiales du groupe, nous avons travaillé sur divers thèmes : les RH, les finances, l’économie, les sujets sociétaux, l’éthique, l’environnement, etc. Nous avons soumis ces engagements au comité exécutif et les avons présentés lors de notre assemblée générale en 2013 ». Parmi ces onze engagements figure celui de diviser par deux en cinq ans le taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt : de 3,1 en 2013, l’objectif est de passer à 1,9 en 2017. Autre objectif : passer de 8 (en 2013) à 13 sociétés ayant inclus d’ici à 2015 une clause éthique-développement durable dans les contrats d’achat.

Par ailleurs, EDF a entamé une démarche unifiée de reporting extra-financier en établissant un questionnaire unique : « Nous réalisons depuis longtemps un cahier d’indicateurs de développement durable intégré à un rapport de développement durable, nous construisons le reporting lié à notre accord RSE mondial et un troisième document pour le système de management de l’environnement ISO 14001. Nous avons rassemblé tout cela pour la première fois en octobre 2012. » Une pratique suggérée, dans une perspective à « long terme », dans le rapport Brovelli-Drago-Molinié.

Adapter le contenu

Parmi les autres propositions, celle d’adapter, à l’initiative des branches d’activité et dans le dialogue avec les parties prenantes, le contenu et le nombre des indicateurs de performance extra-financière publiés. La loi allemande définit 20 indicateurs à renseigner au lieu de 42, par exemple, et, « outre le caractère proprement français de certaines informations, ce qui complique la tâche des groupes français implantés internationalement – par exemple par la répartition entre CDD et CDI –, certains items, très pertinents pour les activités industrielles ou artisanales, apparaissent moins adaptés à d’autres activités », notent les rapporteurs.

« Même si elle est intéressante, l’approche sectorielle peut être biaisée », prévient Martial Cozette, directeur du Centre français d’information sur les entreprises (CFIE). Et de citer l’exemple de Lafarge qui, en toute logique, s’intéresse aux questions environnementales et à la consommation d’eau, mais ne devrait pas délaisser, selon Martial Cozette, les tonnes de papiers de ses sacs de ciment.

Afin d’explorer cette piste sectorielle, l’Orse prépare avec le Medef, pour octobre 2014, un guide pour recenser la mobilisation des branches et mettre en lumière des initiatives en matière de RSE, « qui ne sont pas suffisamment connues », souligne François Fatoux.

Reste un des points majeurs à préciser : la manière dont les entreprises associent leurs parties prenantes, et notamment les institutions représentatives du personnel (IRP), à leur processus de reporting extra-financier (lire l’interview p. 27). « La place de la RSE dans le dialogue social est mineure »(1), constate Christian Lenoir, inspecteur général des affaires sociales, actuellement secrétaire général du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), qui a remis en juillet 2013, avec Jean-Paul Le Divenah, inspecteur général de l’administration et du développement durable, un rapport intitulé « RSE et dialogue social. Mode d’emploi », annexé au rapport Brovelli-Drago-Molinié.

Rares sont les entreprises à avoir signé un accord-cadre mondial sur le sujet. Danone avait été la première à s’engager en 1988, avec l’UITA (Union internationale des travailleurs de l’alimentaire), suivie quelques années plus tard par Accor et Carrefour. Plus récemment, EDF a signé un premier accord en 2005, renouvelé en 2009. En décembre 2013, Solvay a paraphé le 100e accord-cadre mondial. « Rhodia [qui disposait déjà d’un tel accord, NDLR] a été rachetée par Solvay ; cela aurait dû être la fin de la RSE, c’est l’inverse qui s’est produit, souligne Christian Lenoir. Solvay s’est approprié la stratégie de son ancien concurrent et a introduit une clause de suivi rare : une commission paritaire décide d’aller visiter des sites dans certains pays. » (Lire p. 25).

Renault a également formalisé un accord RSE mondial en juillet 2013 – il disposait déjà d’une charte – et a mené dans la foulée avec les syndicats un énorme travail d’harmonisation de ses indicateurs. Pendant un an, elle a travaillé à les rendre cohérents, alors même que le constructeur automobile est présent dans 118 pays (lire p. 26).

Redonner du sens

Afin de renforcer la place du dialogue social sur la RSE, Alexandre Grillat, secrétaire national de la CFE-CGC, qui rappelle que pour son syndicat, RSE signifie “redonner du sens ensemble”(1), plaide pour la présence d’élus dans les instances de gouvernance. Second outil souhaité, au niveau des IRP : qu’un débat soit obligatoire au sein d’une commission de développement durable-RSE dans le cadre des CE. La nouvelle base de données économiques et sociales (BDES) pouvant être un outil utilisé par cette commission.

De son côté, le groupe Chèque Déjeuner a pris le parti de faire de son comité d’entreprise européen récemment créé un lieu d’échanges et de structuration de sa réflexion sur le choix de ses indicateurs. « Nous allons partir du GRI (Global reporting initiatives) pour ensuite simplifier en fonction de nos propres enjeux et des questions qui pourront être posées par les partenaires sociaux, affirme Catherine Candella, directrice RSE. Nous nous attendons à être interrogés par des représentants du personnel de pays peu familiers du dialogue social, comme la Roumanie ou la Slovaquie, dans lesquels nous sommes implantés. »

Par ailleurs, en plus d’interroger ses salariés sur les distorsions qu’ils peuvent ressentir entre ce qu’ils vivent et le discours de la direction, le groupe coopératif a étendu la démarche, depuis 2013, à ses 100 plus importants fournisseurs, en les interrogeant sur leur connaissance (faible) des pratiques sociales de Chèque Déjeuner. Pour les engager davantage, le groupe a décidé de les impliquer dans la construction de sa politique d’achats responsables.

Lafarge a quant à lui ouvert les colonnes de son rapport développement durable à ses parties prenantes (lire p. 24). Une pratique rare.

(1) Propos recueillis lors d’un débat organisé par Réalités du Dialogue social, le 2 juillet 2014.

L’ESSENTIEL

1 La loi Grenelle 2 et le décret d’application du 24 avril 2012 ont défini une liste de 42 items que les sociétés cotées doivent renseigner sur les dimensions sociale, environnementale et sociétale de la RSE.

2 Au-delà du seul objectif de se conformer à la loi, les entreprises auraient intérêt à mieux rendre compte de leur politique RSE, en ciblant les sujets stratégiques à leurs yeux.

3 Pour gagner en crédibilité, l’association des parties prenantes, notamment les représentants du personnel, est une piste majeure encore peu explorée.

Plateforme RSE : des propositions d’outils pédagogiques pour les entreprises

Lancée il y a un an par le Premier ministre, la Plateforme RSE est un lieu de concertation entre représentants de la société française (représentants des entreprises, des salariés, des associations, ONG, etc.) et les pouvoirs publics. Elle fonctionne autour de trois groupes de travail, dont le deuxième, qui traite de la transparence, de la gouvernance et du financement responsable. Ce dernier, dont les corapporteurs sont Michel Laviale (Medef) et Pierre-Yves Chanu (CGT), a publié un état des lieux ainsi que ses premières recommandations le 1er juillet.

D’emblée, il identifie des points d’amélioration du reporting. Il constate que des thématiques ne sont pas toujours bien renseignées ; le principe du “comply or explain” n’est pas toujours bien maîtrisé ; les informations produites ne sont pas toujours homogènes d’une entreprise à l’autre ; et les textes réglementaires restent insuffisamment précis sur certains points.

Autre point majeur à améliorer : la manière dont les entreprises associent leurs parties prenantes, et notamment les institutions représentatives du personnel (IRP), à leur processus de reporting extra-financier.

Par ailleurs, le groupe de travail a constaté l’existence de deux visions différentes du reporting : certains le considèrent comme « avant tout un instrument d’information pluriparties prenantes destiné à répondre aux attentes de la société civile au sens large ».

Et d’autres en font « un outil de pilotage stratégique en matière de RSE ».

Un certain consensus semble se faire, soulignent les rapporteurs, « pour reconnaître que, si le reporting extra-financier doit être conforme aux textes, il est important qu’il traduise les enjeux et les risques/opportunités propres à chaque entreprise et qu’il s’attache à rendre compte, aussi fidèlement que possible, en utilisant à bon escient le principe du “comply or explain”. »

Le groupe de travail propose d’aménager les textes réglementaires pour les préciser, voire les compléter. La transposition de la directive européenne sur le reporting extra-financier adoptée au printemps pourrait être une opportunité. Pour faciliter l’appropriation du sujet par les entreprises, il suggère de mettre à leur disposition un dispositif d’accompagnement, en élaborant des outils pédagogiques, en mettant en place un programme d’actions de communication et de sensibilisation auprès de l’ensemble des parties prenantes, et en renvoyant aux fédérations professionnelles (pas seulement françaises) le soin de travailler, en lien avec les parties prenantes, à des référentiels sectoriels destinés à faciliter l’harmonisation des données qualitatives et quantitatives.

Le groupe recommande également d’établir, à l’initiative des pouvoirs publics, un bilan de mise en œuvre de la loi par les entreprises assujetties. Enfin, il souhaite rendre effectif le reporting extra-financier des entreprises publiques et des établissements publics.

Orange s’engage dans une démarche “employeur responsable”

« Cela fait de nombreuses années que nous structurons le volet social de notre démarche RSE, mais, en nous engageant dans la démarche “employeur responsable” de Vigeo, nous avons voulu bénéficier d’un diagnostic extérieur et objectif, qui complète les audits que nous réalisons déjà, affirme Séverine Blanchard-Jazdzewski, chef de projet RSE-RH à Orange. La démarche permet aussi de solliciter nos collaborateurs et la chaîne de sous-traitance. Des focus groupe sont réalisés avec les salariés, les managers, les représentants du personnel. Les parties prenantes externes sont aussi représentées : les fournisseurs, certaines associations avec qui nous travaillons localement. Enfin, nous allons identifier des enjeux émergents en termes de RSE et voir comment nous nous positionnons par rapport à eux. Nous aurons les résultats de cet audit au courant de cet été. »

L’attestation “employeur responsable” délivrée par Vigeo Enterprise repose sur un référentiel portant sur 19 points regroupés en six thématiques : intégrer la valorisation du capital humain à la gouvernance ; pour les collaborateurs : respecter les droits humains fondamentaux ; améliorer en continu les conditions et le bien-être au travail ; améliorer en continu les conditions d’emploi ; promouvoir le développement de l’emploi sur le territoire, assurer des relations responsables avec ses fournisseurs et sous-traitants.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC