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« Les DRH se doivent de maîtriser les enjeux des outils numériques »

Enjeux | publié le : 08.07.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« Les DRH se doivent de maîtriser les enjeux des outils numériques »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Les mutations liées à la digitalisation affectent toutes les fonctions de l’entreprise, notamment la fonction RH. Celle-ci a aujourd’hui un rôle clé à jouer dans la réorganisation du travail rendue nécessaire par les nouvelles opportunités technologiques.

E & C : La digitalisation de l’entreprise vous semble un enjeu majeur de management. Pourquoi ?

Aurélie Dudezert : Le développement du digital en entreprise a été progressif. Cependant, depuis deux ou trois ans, les choses s’accélèrent du fait de la généralisation des réseaux sociaux, des outils nomades – tablettes, smartphones – et des objets connectés – montres, lunettes. Les réseaux sociaux se sont développés dans la sphère privée avant de gagner l’entreprise, de telle sorte que celle-ci a été mise devant le fait accompli sans trop savoir comment gérer ces nouvelles formes de communication. Les parties prenantes diffusaient des informations relatives à l’entreprise sur laquelle celle-ci n’avait plus la main. Les entreprises ont alors hésité entre le laisser-faire, notamment avec la logique bring your own device, et une tentative de contrôle, quand elles y voyaient une opportunité pour développer le travail collaboratif. Dans un cas, le risque est de perdre de vue le sens de la communauté de travail et l’intérêt de l’entreprise ; dans l’autre, d’appliquer une logique de contrôle héritée d’une conception hiérarchique traditionnelle inappropriée au travail en réseau. Contrairement peut-être à ce qui s’est passé lors de l’introduction des ordinateurs, les réseaux et les outils de mobilité ne peuvent plus être appréhendés dans une logique simplement instrumentale. C’est l’organisation du travail elle-même qui est remise en question par le développement actuel de la communication numérique. Par ailleurs, un troisième danger est devenu évident : l’excès d’informations tend à tuer l’information. Non seulement les salariés sont débordés mais, même au plan collectif, on ne sait plus ce qu’il est pertinent de garder ou pas. Si l’information est essentielle dans une économie de la connaissance, trop d’information rend l’information illisible. Une politique de gouvernance de celle-ci doit apparaître. L’entreprise, et notamment les managers et les RH, ont à remettre du sens dans tout cela pour structurer l’accès à l’information et mettre celle-ci en cohérence avec les pratiques de travail.

E & C : Comment s’articulent les enjeux numériques et les enjeux humains ?

A. D. : Il n’y a pas d’outils sans hommes mais les outils démultiplient l’univers des possibles. On ne sait jamais a priori comment les gens vont se les approprier, ni même parfois s’ils vont se les approprier. Les réseaux sociaux étaient déjà utilisés dans la vie privée avant de gagner la sphère du travail, leur développement s’est fait selon la logique de la tache d’huile. Le marketing d’abord y a eu recours parce qu’il ne pouvait ignorer ce nouveau média puis les RH, notamment pour le recrutement, et maintenant c’est toute l’entreprise qui est concernée, y compris les services de production, car de nouveaux produits et services peuvent être élaborés à partir d’allers-retours entre l’entreprise et ses clients, fournisseurs, citoyens, etc. On est à ce moment charnière de prise de conscience que c’est le travail dans son ensemble qui est touché, qu’il faut donc modifier les pratiques, voire le business model. Mais un des problèmes de l’outil numérique, c’est qu’il a tendance à faire perdre de vue les limites de l’humain. L’instantanéité devenue techniquement possible et le fait que les gens ont pris l’habitude de télétravailler au moins une partie du temps fait qu’on oublie que les salariés ne peuvent être mobilisés en permanence. Le numérique et les réseaux sociaux, paradoxalement, tendent à désincarner l’humain, à conduire à considérer que l’homme peut tout. Les RH doivent rappeler les règles sur le temps de travail et les temps de repos. Mais leur rôle va plus loin, puisque la législation héritée des problématiques de l’ère fordiste se trouve parfois en retard sur les pratiques. Indépendamment de ce que le législateur a prévu, ils doivent être les garants des conditions de bien-être et de santé au travail.

E & C : Comment voyez- vous l’évolution des missions RH par rapport à cette transformation digitale ?

A. D. : Rappelons d’abord que la numérisation touche les RH de plein fouet. Les missions traditionnelles de gestion du personnel peuvent être automatisées, et il existe d’excellents outils automatiques de recrutement, voire d’analyse des comportements et des émotions. De nombreuses tâches RH ont ainsi pu être externalisées ou transférées vers les managers. Mais, a contrario, la digitalisation est l’occasion pour les RH de se repositionner sur l’accompagnement des équipes dans la mise en place des transversalités et des nouvelles pratiques. L’entreprise est en train d’inaugurer des formes plus hybrides de travail qui remettent en cause l’organisation en silos. Il faut développer le travail collaboratif, mais aussi le cadrer pour maintenir la cohérence et la finalité de l’œuvre commune. Il est donc nécessaire pour les RH d’accompagner l’encadrement des processus collaboratifs, et les dirigeants dans la définition des stratégies. Les RH doivent être force de propositions et d’accompagnement des nouvelles pratiques, puisque les rôles et les tâches de tous les salariés sont à revoir. Cela ne sera possible que sur la base d’un décloisonnement entre la direction des ressources humaines et celle des services informatiques. À défaut de maîtriser tous les aspects techniques, les DRH se doivent de maîtriser les enjeux des outils numériques. Le travail collaboratif commence là.

E & C : Comment faire concrètement ?

A. D. : L’essentiel est d’adopter une posture d’ouverture en direction des nouvelles opportunités offertes par le numérique. La technique va vite, donc il est impossible de travailler de manière routinière ou d’appliquer des recettes. Les DRH ont aujourd’hui un rôle de passeur, de traducteur des évolutions pour les salariés. Il leur appartient à la fois de se former eux-mêmes aux enjeux des systèmes d’information et de rester en prise avec le terrain, en acceptant peut-être d’être intégrés dans les équipes pendant un temps pour comprendre les problématiques opérationnelles. À partir de là, la panoplie des solutions RH peut être déployée : formations des managers, communication, propositions à destination des directions, etc. L’objectif du club “digitalisation et organisation” que l’Anvie met sur pied avec Orange, BNP Paribas et l’Observatoire des réseaux sociaux va dans ce sens. Il s’agit de “casser” les frontières entre la recherche et l’entreprise, entre les différentes fonctions de l’entreprise, entre le terrain et la hiérarchie, l’interne et l’externe… Je crois que les RH, en cette période de mutation du travail, sont par excellence les acteurs susceptibles de porter cette logique d’ouverture.

PARCOURS

• Aurélie Dudezert est professeure des universités en sciences de gestion à l’IAE de Poitiers. Elle est membre de l’association COP-1 rassemblant les knowledge managers et responsables des pratiques collaboratives de grandes entreprises et anime le Club digitalisation et organisation, think tank créé à l’initiative de l’Anvie et des groupes Orange et BNP Paribas avec le soutien de l’Observatoire des réseaux sociaux.

• Elle a publié La Connaissance dans les entreprises (La Découverte, 2013).

LECTURES

• Les Réseaux sociaux numériques d’entreprise: état des lieux et raisons d’agir, Ziryeb Marouf, L’Harmattan, 2011.

• Travail à distance et e-management : organisation et contrôle en entreprise, A. Leclercq-Vandelannoitte, en collaboration avec Henri Isaac et Michel Kalika, Dunod, 2013.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX