logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

“L’entreprise en santé”, version aquitaine

Pratiques | publié le : 01.07.2014 | CATHERINE SANSON-STERN

Image

“L’entreprise en santé”, version aquitaine

Crédit photo CATHERINE SANSON-STERN

Six organisations d’Aquitaine, petites et grandes, privées et publiques, ont exploré pendant deux ans la dimension positive de la santé au travail, en s’inspirant de l’exemple québécois de la norme “entreprise en santé”.

La santé et le bien-être au travail sont-ils des leviers de la performance globale de l’entreprise ? Veolia Propreté Aquitaine, l’Ehpad La Madeleine à Bergerac, le conseil général de Gironde, la direction du courrier Aquitaine de La Poste, la PME Emac et l’usine française du groupe espagnol Finsa, les six organisations pilotes de l’expérimentation “santé et qualité de vie au travail” (SQVT) menée pendant deux ans en Aquitaine à l’initiative de l’Afnor, en sont persuadées. Au total, environ 1 000 salariés et agents ont été concernés par cette initiative.

« Le pari était de dire que si les salariés sont en bonne santé physique, sociale et psychologique, l’entreprise sera en bonne santé économique, et que, si cette démarche SQVT renforce la motivation et l’implication des salariés, cela doit générer des gains », explique Stéphane Mathieu, responsable du développement régional à l’Afnor.

L’idée de cette expérimentation a germé en avril 2011 à l’issue d’un colloque sur les systèmes de gestion de la santé et de la sécurité au travail organisé par l’Afnor, la Carsat et La Poste. Le BNQ (Bureau de normalisation du Québec) y avait présenté la norme québécoise “Entreprise en santé” et les retours d’expériences de la démarche, assurant qu’une entreprise investissant 1 dollar dans la SQVT pouvait compter sur un retour sur investissement de 3 à 5 dollars, avec à la clé une baisse de 15 % à 20 % de l’absentéisme et du turnover (lire l’encadré). « Un nombre incroyable de participants a alors demandé à déployer une démarche similaire en France, dans un contexte qui avait vu plusieurs suicides se produire dans de grandes entreprises », poursuit le responsable de l’Afnor.

Les partenaires du colloque ont ensuite réfléchi à la forme qu’elle pourrait prendre en France. Jugeant difficile de proposer une norme pouvant interférer dans ce qui est considéré chez nous comme la vie privée, la voie choisie a été celle d’une expérimentation de méthodologies et d’outils pouvant contribuer à une bonne santé globale des salariés. En décembre 2011, des entreprises menant déjà des actions en faveur de la santé au travail ont été sélectionnées.

Entre février 2012 et 2013, les six entreprises pilotes ont coconstruit une boîte à outils, à l’aide de formations, de partenaires ressources (Aract, ARS*, Direccte, Carsat, EFQM**, etc.) et en consultant une cinquantaine de membres associés (entreprises, experts ou institutionnels). Les participants se caractérisaient par la diversité de leurs profils : directeurs de site, préventeurs, RRH, responsable QSE, infirmières, assistantes sociales, syndicalistes, psychologues ou médecins du travail… Une quinzaine de réunions se sont tenues sur différents thèmes, de la prévention des maladies chroniques à l’évolution des espaces de travail pour répondre aux attentes des nouvelles générations.

Diagnostics croisés

Au printemps 2013 ont démarré les diagnostics croisés, le point culminant du projet, afin d’identifier les problématiques de chaque entité ainsi que les bonnes pratiques.

Chaque entreprise est allée en visiter une ou deux autres pour écouter les acteurs de terrain (salariés, cadres, instances représentatives) parler de leur santé et de leur qualité de vie au travail, en entretien individuel, collectif ou en recueillant des informations par questionnaires. Veolia Propreté et La Poste sont allés au conseil général de Gironde (dans une maison de la solidarité et un centre routier) qui, lui-même, est allé à La Poste et à l’Ehpad, qui s’est rendu à son tour chez Veolia (le siège et une usine d’incinération), tandis qu’Emac rendait visite à Finsa et réciproquement. Une diversité de secteurs jugée enrichissante par tous.

Au cœur des échanges, menés de façon à libérer le plus possible la parole, la réalisation de soi et le développement professionnel, les relations sociales, l’environnement de travail, le contenu et la qualité des tâches, la conciliation entre vies professionnelle et personnelle… L’objectif était d’aller au plus près des attentes des salariés et de construire des solutions avec eux. « La démarche nous a aidés à répondre de manière fine aux difficultés rencontrées plutôt que de mettre en place des réponses globales et coûteuses », témoigne Jehanne Essa, qui a piloté le projet SQVT chez Veolia Propreté Aquitaine.

Un exemple au centre routier du conseil général : « Alors que l’encadrement pensait que les agents étaient très soucieux du confort des locaux, il est apparu que leur première préoccupation était d’être mieux accompagnés sur des aspects techniques du travail par leurs responsables, raconte Pierre Gilles, chef de service prévention du conseil général. Du coup, la direction a réduit les investissements sur les bâtiments et travaillé sur une meilleure organisation du travail. »

Les diagnostics croisés ont permis de conforter la démarche des entreprises ayant un processus déjà très engagé, comme La Poste, dont la plate-forme courrier d’Aquitaine a lancé 13 programmes stratégiques autour de la santé et de la performance. « Participer à l’expérimentation SQVT était un moyen de vérifier que je n’emmenais pas toute mon équipe dans le mur, avoue Olivier Collin, son directeur. D’autres structures ont pu rassembler toutes les initiatives déjà engagées sous un “chapeau” SQVT et ainsi mieux se faire entendre de l’extérieur. « Nous pensions depuis longtemps qu’il était indispensable que les personnels se sentent bien pour que les résidents le soient aussi, mais ce discours était peu entendu jusqu’à présent », souligne Sylvain Connangle, directeur de l’Ehpad La Madeleine, établissement pour personnes âgées dépendantes employant 160 ETP à Bergerac. Désormais, l’agressivité des résidents souffrant d’Alzheimer à l’égard des soignants est mieux prise en compte. L’ARS et plusieurs conseils régionaux s’y sont intéressés.

Soutien indispensable de la direction

La démarche SQVT nécessite, pour aboutir, un réel soutien de la direction et de ne pas se substituer aux actions obligatoires (prévention des RPS, pénibi- lité…). « Il faut absolument qu’une direction ne court-circuite pas les RPS pour mettre en place la SQVT », met en garde Isabelle Champion, élue CFDT à l’Inra et membre du groupe des organisations consultées. Mais les deux peuvent se compléter. En un an à la plate-forme courrier Aquitaine de La Poste, le nombre d’accidents du travail a diminué de 40 % et l’absentéisme reculé de près de 15 %. « J’ai pris l’engagement de n’augmenter aucune cadence de machine, car je crois que la santé est un levier de performance beaucoup plus efficace et durable, affirme Olivier Collin, mais j’ai mis longtemps à en convaincre ma direction. » L’expérimentation SQVT l’y a aidé, puisque l’Aquitaine a été retenue comme région de référence SQVT à La Poste. Même conviction à Emac, PME spécialisée dans les matériaux composites à base de caoutchouc. « La SQVT est une bonne voie pour améliorer notre compétitivité », assure Didier Chauffaille, son directeur. Si tous sont persuadés que la SQVT est un facteur d’amélioration de la performance sociale de l’entreprise, il faudra attendre encore un peu pour en observer les effets concrets sur la performance économique.

* Agence régionale de santé.

** European Foundation for Quality Management, Fondation européenne pour la gestion de la qualité.

Le Québec, un précurseur

Ce sont 17 % de la masse salariale des entreprises nord-américaines qui passeraient en « non-santé ». Marie-Claude Pelletier cite ce chiffre pour expliquer l’utilité de la norme “Entreprise en santé” créée en 2009 au Québec et dont elle a présidé l’association pendant quatorze ans. « Chaque dollar investi dans un programme bien structuré et fondé sur les meilleures pratiques peut générer jusqu’à 55 dollars en gains de productivité dans les cinq ans suivant son implantation », affirme-t-elle. Un retour sur investissement encore plus élevé si l’on considère les coûts épargnés au système de santé.

Avec le programme de certification de la norme BNQ 9700-800, les entreprises agissent dans quatre sphères d’activité : les habitudes de vie, l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle, l’environnement de travail et les pratiques de gestion. En cinq ans, près de 400 organisations se sont impliquées et 51 ont été certifiées au Québec. Le groupe SQVT Aquitaine ira en rencontrer certaines lors d’un voyage d’études en octobre.

L’ESSENTIEL

1 Une norme “entreprise en santé” existe au Québec depuis 2009.

2 Sous l’impulsion de l’Afnor, six organisations et entreprises d’Aquitaine ont expérimenté cette démarche québécoise pendant deux ans.

3 Elles en ressortent convaincues que la santé et la qualité de vie au travail peuvent être des facteurs de performance sociale et économique.

Auteur

  • CATHERINE SANSON-STERN