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Les tests de dépistage de drogue en entreprise se multiplient

Pratiques | publié le : 17.06.2014 | ROZENN LE SAINT

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Les tests de dépistage de drogue en entreprise se multiplient

Crédit photo ROZENN LE SAINT

De plus en plus de directions soumettent leurs salariés à des tests de dépistage de drogue dans le but d’éviter les accidents du travail.Des pratiques plus efficaces si elles comprennent un volet prévention.

La loi française autorise les encadrants à soumettre les salariés à des tests d’alcoolémie et de dépistage salivaire de drogues (lire l’encadré ci-contre). Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à le faire par peur des accidents du travail. Mais, pour Bertrand Fauquenot, intervenant en prévention des risques professionnels pour l’Anpaa (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), en plus du manque de fiabilité des tests, notamment salivaires, « ceux-ci n’ont aucune efficacité s’ils ne sont pas accompagnés d’une sensibilisation en amont. Autrement, leur mise en place risque surtout d’affaiblir la confiance entre les cadres intermédiaires, qui en ont la charge, et leurs équipes ». Même écho du côté de Gladys Lutz, présidente d’Additra (Addictologie et travail) : « Quand la mise en place de ces tests ne se fait pas dans le dialogue, cela amène à déstructurer les équipes et à cacher la consommation. On le voit pour l’alcool, avec l’organisation de pots clandestins. »

Sensibilisation et gestion des situations de crise

Les associations préconisent une démarche de prévention associée à la médecine du travail. « Une société de transport m’avait demandé de venir à 5 heures du matin réaliser des tests de dépistage, se souvient Chantal Chevrot, intervenante en prévention des risques professionnels pour l’Anpaa. J’ai expliqué que ce n’était pas mon rôle mais celui de l’encadrant d’indiquer au salarié qu’il s’inquiète pour lui, avant de passer le relais à la médecine du travail. » L’objectif de ce travail étant de faire comprendre aux salariés que la politique de prévention de l’entreprise n’a pas pour but de licencier les salariés consommateurs mais de les amener vers le soin. Avec des effets sur le long terme. « Une sensibilisation sur l’usage excessif d’alcool, notamment, montre à des consommateurs chroniques que, dans cinq ou dix ans, ils sont susceptibles d’entrer dans la dépendance », indique Denis Tradeau, chargé de prévention pour l’Anpaa. Pour autant, les trois quarts du temps, il est appelé à la rescousse de managers amenés à gérer des situations de crise à la suite d’un incident tragique.

Une filiale de Spie Batignolles, Valérian, a connu cela en 2004, avec un accident provoqué par une personne alcoolisée. Les conducteurs de cette entreprise de terrassement manient des engins de 50 tonnes à vide. « Par chance, il n’y a eu que de la tôle froissée, mais cela a quand même coûté plusieurs centaines de milliers d’euros, et l’accident aurait pu être bien plus grave », constate Philippe Rousseau, directeur de l’écoperformance chez Spie Batignolles. Depuis, l’entreprise a lancé une campagne de sensibilisation. « En dehors des chantiers, il y a des contextes favorables à la convivialité et au partage, notamment lors de grands déplacements, et qui peuvent avoir une incidence au travail le lendemain, indique Philippe Rousseau. C’est pourquoi nous nous attachons à sensibiliser et à prévenir les risques liés à d’éventuels excès pouvant être à l’origine d’accidents. »

Définition des postes à risque

« Nous avons une obligation de résultat et non de moyens », rappelle, quant à lui, Jean-François Auzet, DRH de Valérian. C’est pourquoi l’entreprise a enclenché une démarche avec le CHSCT pour définir les postes à risque (sur un chantier de 200 salariés, 150 sont concernés), a modifié son règlement intérieur pour permettre les tests urinaires détectant tous types de drogues, telles que le cannabis, la cocaïne et l’héroïne, réalisés par la médecine du travail à l’occasion des visites de reprise. « Dans la mesure où tous les salariés de terrain sont concernés, personne n’est montré du doigt. Les collaborateurs savent que, lors des visites médicales, ils sont contrôlés. Il n’y a pas de piège, cela fait partie de la vie quotidienne de l’entreprise, à présent », estime le DRH. En revanche, compte tenu de la pénurie des médecins du travail et de leur manque de temps, la direction ne parvient pas à systématiser le processus.

Autre grande difficulté soulignée par Jean-François Auzet : « Cette politique de prévention ne peut être mise en place qu’à une condition : que toutes les entreprises qui travaillent sur le chantier l’appliquent également, ce qui est plus difficile sur les très grands projets. »

Les secteurs du BTP, des transports routiers et de l’aéronautique, la production industrielle à la chaîne, dans lesquels les conséquences des accidents peuvent être colossales, se sont les premiers emparés de cette possibilité de détecter l’usage de drogue. Safran, par exemple, a également défini des postes dits « à haut niveau de vigilance » en 2006, après avoir enclenché une politique de prévention afin d’imposer des tests de dépistage urinaires et sanguins : 4 % des salariés environ sont concernés sur chaque site. Pas de contrôle surprise non plus, ils sont prévenus trois semaines à l’avance. « L’idée n’est pas de piéger celui qui a fumé du cannabis le samedi précédent. Ce qui nous inquiéterait, ce serait les personnes qui, pourtant prévenues de ce dépistage, présentent une positivité au test qui ferait craindre une consommation régulière, voire un état de dépendance nécessitant une prise en charge adaptée », précise Jacqueline Papin, directrice santé chez le géant de l’aéronautique.

Au final, peu de personnes sont détectées positives, et quand cela a été le cas, c’était pour du cannabis. Elles n’ont pas été licenciées : une démarche de soin a été enclenchée. En revanche, des inaptitudes partielles ou temporelles ont été prononcées pour des consommateurs chroniques ou aigus d’alcool, avec une prise en charge des services de santé et de consultants spécialisés externes.

Pas de systématisation des tests

Dans l’entreprise de transport Jimenez FVA, la Pdg elle-même, Valérie Jimenez, convoque les salariés soupçonnés par leur responsable d’être en état d’ébriété pour souffler dans l’éthylotest. En revanche, elle ne compte pas systématiser les tests de dépistage, non nécessaires dans cette PME de 220 salariés « à taille humaine », selon elle. L’un d’entre eux, repéré comme dépendant au cannabis, a frôlé le licenciement pour inaptitude. Mais Valérie Jimenez lui a plutôt conseillé un suivi psychiatrique. « S’il avait été licencié pour inaptitude, il n’aurait pas eu le droit à la complémentaire santé et n’aurait pas pu suivre sa cure de désintoxication, indique-t-elle. Nous avons finalement procédé à un aménagement de poste, et il est à présent sevré. »

Sans ce type d’accompagnement des salariés, les campagnes de dépistage pourraient même s’avérer contre-productives : « Les vendeurs de détecteurs de THC – molécule contenue dans le cannabis – réalisent des ventes non seulement auprès des professionnels – médecins du travail, entreprises de dépistage – mais aussi auprès des salariés », selon Renaud Crespin, sociologue et chercheur au CNRS. Ceux-ci diffèrent leur consommation de marijuana en fonction des dates de dépistage annoncées. Sur le même principe que le dopage, les consommateurs de cannabis contournent aussi le système en se procurant des produits contenant du THC synthétique, dont les molécules ne sont pas dépistables.

L’ESSENTIEL

1 Les encadrants sont autorisés à réaliser des tests d’alcoolémie et des dépistages de drogue salivaires.

2 Seuls les tests urinaires et sanguins sont juridiquement recevables. Ils ne peuvent être pratiqués que par des médecins du travail.

3 Les salariés occupant des postes à risque définis comme tels dans le règlement intérieur sont susceptibles de subir des tests urinaires et sanguins réguliers.

Ce que dit la loi

Les encadrants peuvent réaliser des tests salivaires de détection de drogues depuis le 9 mars 2009. La Direction générale du travail les y autorise à condition que cela soit inscrit dans le règlement intérieur, élaboré en collaboration avec le CHSCT. Mais les salariés ont le droit de les contester car, juridiquement, seuls les tests urinaires ou sanguins sont valables.

Et seuls les médecins du travail peuvent procéder à ces derniers, soumis au secret médical : ils indiquent simplement à l’employeur si le salarié est apte ou non à son poste.

En tout cas, l’entreprise doit avertir son personnel des conséquences d’un résultat positif. Et, pour les postes de travail définis comme « à risque » dans le règlement intérieur avec la collaboration des partenaires sociaux, elle peut demander à la médecine du travail de procéder régulièrement à des tests.

Par ailleurs, certaines professions nécessitent un avis d’aptitude médicale pour valider l’intégration d’un salarié : transport ferroviaire (arrêté du 30 juillet 2003), transport aérien (arrêtés du 27 janvier 2005 et 4 septembre 2007) et transport terrestre (arrêté du 21 décembre 2005).

Auteur

  • ROZENN LE SAINT