logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

États-UnisLA SILICON VALLEY REMET DE LA CONCURRENCE DANS LE RECRUTEMENT

Pratiques | International | publié le : 17.06.2014 | CAROLINE TALBOT

La direction d’Ebay et plusieurs entreprises stars de Californie, qui refusaient conjointement de débaucher au prix fort les ingénieurs de leurs concurrents, changent leur fusil d’épaule. Après une enquête sur ces ententes illicites, la guerre des talents devrait reprendre sur des bases plus libres.

Le groupe d’enchères en ligne Ebay change sa politique de recrutement. Et quelques autres géants de la Silicon Valley, Apple, Google, Intel, Adobe Systems… vont peut-être suivre la même voie, après avoir été tancés par la justice. Ils étaient poursuivis pour entente illicite. Depuis de nombreuses années, les uns et les autres s’entendaient pour ne pas débaucher chez le voisin ses meilleurs talents à coup de billets verts ou d’opportunités d’évolution. Ce qui leur permettait de limiter les hausses de salaires des ingénieurs, programmeurs, techniciens de la Silicon Valley. Dans le pays où la loi du marché doit régner librement, l’entente secrète a fini devant le procureur.

Aveux

L’une des premières à avoir admis son erreur est la direction d’Ebay. Les juristes du ministère de la Justice et le procureur général de Californie enquêtaient depuis 2012 sur le discret accord passé entre le site d’enchères et l’expert en logiciels comptables Intuit : les deux sociétés se refusaient à braconner sur les terres de l’autre. Bill Baer, le procureur général adjoint du ministère de la Justice, a invoqué la violation de la loi antitrust. Au début du mois de mai, la direction d’Ebay a reconnu être coupable… avant même le début d’un procès. Le groupe s’est engagé à payer 3,75 millions de dollars (environ 2,76 millions d’euros) à l’État de Californie. Et, sur cette somme, un fonds de 2,375 millions de dollars va servir à indemniser les victimes potentielles. Quarante employés d’Intuit, dont les espoirs d’embauche chez Ebay ont été déçus, recevront entre 5 000 et 10 000 dollars. Un autre groupe de 950 personnes, qui avaient déposé en vain leur CV chez Ebay, toucheront de 1 000 à 5 000 dollars. Enfin, un dernier groupe de 13 000 anciens salariés d’Intuit, sans contact réel avec Ebay, recevront un maximum de 150 dollars par personne.

L’accord ressemble à une bonne affaire… au regard des ressources financières d’Ebay, qui affiche un bénéfice de 2,856 milliards de dollars pour son dernier exercice. Mais la direction d’Ebay est sous surveillance. La décision de justice doit être communiquée in extenso à la division des ressour­ces humaines et aux cadres supérieurs de la société. Des formations sur les bonnes pratiques de recrutement sont aussi prévues. Et ce thème devra faire l’objet d’une notice détaillée dans le rapport annuel durant cinq ans.

Les représentants de la justice californienne espèrent ainsi changer durablement la politique d’embauche d’Ebay et en faire un exemple pour les autres grands acteurs de la Silicon Valley. Car la stratégie du “no poaching” (pas de débauche), a été mise au jour ailleurs. Intuit, Lucasfilm et Pixar se sont aussi entendus avec la justice. Ils ont accepté de payer 20 millions de dollars, soit près de 15 millions d’euros. Et le plat de résistance, l’affaire Apple, Google, Intel, Adobe Systems, a des chances de se solder par une amende de près de 240 millions d’euros le 19 juin prochain, lors d’une audition dans le bureau du juge fédéral. La poignée de plaignants, qui avait réussi à obtenir le statut de class action pour 64 000 victimes potentielles, n’ira sans doute pas jusqu’au procès. Le cabinet juridique qui suivait leur dossier s’est entendu avec les quatre entreprises et propose une indemnité de 4 000 dollars à chaque salarié s’estimant lésé.

Une somme insignifiante ?

Seul l’un des plaignants historiques, Michael Devine, veut poursuivre le combat. Sur son site Tech Worker Justice, il estime le montant offert « grossièrement inadéquat ». Michael Devine espérait décrocher pour les entreprises une amende d’au moins 3 milliards de dollars. Le montant négocié est près de dix fois inférieur. « Cette somme insignifiante est scandaleuse, renchérit David Shlansky, avocat du cabinet Shlansky Law Group. Ce n’est pas dissuasif. Dans ce cas, pourquoi ne pas recommencer ? »

Les juristes du ministère de la Justice à Washington espèrent pourtant avoir fait passer le message. Plus question de fausser la libre concurrence sur les talents.

Auteur

  • CAROLINE TALBOT