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« La formation ne peut plus être envisagée en dehors d’un parcours »

Enjeux | publié le : 17.06.2014 | VALÉRIE GRASSET-MOREL

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« La formation ne peut plus être envisagée en dehors d’un parcours »

Crédit photo VALÉRIE GRASSET-MOREL

La loi du 5 mars 2014 et le changement de paradigme qu’elle propose – passer d’une obligation de dépenser à une logique d’investissement dans la formation – obligent les formateurs et les responsables de formation en entreprise à adapter leurs pratiques.

E & C : Le métier de formateur est-il affecté par la nouvelle réforme ?

Christophe Parmentier : La loi du 5 mars 2014 consacre la notionde parcours, qui avait déjà émergé lors des précédentes réformes. On ne peut plus penser la formation comme un module, une entité autonome. Elle doit s’inscrire dans un continuum centré sur un parcours, avec un amont et un aval. Avec la mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF), ce parcours sera de plus en plus certifiant-qualifiant. Cela aura forcément un impact sur le métier de formateur.

E & C : Les formateurs sont-ils inquiets ?

C. P. : Ceux dont le champ de compétences est le développement personnel ou les formations transversales, notamment les langues, sont les plus inquiets de la baisse des contributions et de la priorité accordée aux formations qualifiantes. Les prestataires de bilans de compétences le sont aussi, car ils redoutent la concurrence de l’entretien professionnel et du conseil en évolution professionnelle dispensé gratuitement par Pôle emploi, l’Apec, les missions locales, Cap emploi et les Fongecif, ou des prestataires habilités par la région. Le plus inconfortable pour les acteurs est le manque de visibilité sur 2015. En l’absence des principaux décrets – définition du socle de connaissances et compétences de base, mise en œuvre du système d’information du CPF, conditions de prise en charge du CPF par les Opca… –, il est très difficile de définir une stratégie pour les mois à venir. On sait que le DIF n’existera plus au 1er janvier 2015 dans sa forme actuelle, mais on ne sait pas encore complètement à quoi ressemblera le CPF et comment il sera financé jusqu’en 2016… Attention à ce que cette réforme menée au pas de charge ne soit pas contre-productive, alors que la formation est désormais perçue comme un levier de développement des entreprises et de sécurisation des personnes.

E & C : La fin de la notion de “dépense imputable” peut-elle favoriser l’innovation pédagogique ?

C. P. : Je ne pense pas que ce soit le marqueur fort de cette réforme. La loi légalise la formation ouverte et à distance, rien de plus. L’e-learning, l’utilisation des tablettes et smartphones à des fins pédagogiques, les serious games, les massive open online courses (Mooc) se sont développés malgré l’existence du 0,9 % “plan de formation”.

E & C : Avec le développement de l’individualisation des formations, le formateur évolue-t-il vers une fonction de coach ou de tuteur ?

C. P. : Dispenser de la formation, c’est un métier, alors que le tutorat est une fonction. Il arrive assez rarement que le formateur d’un salarié en contrat en alternance en soit également le tuteur. Mais ces deux fonctions sont assez complémentaires. Le tutorat est un acte pédagogique qui permet de transmettre des connaissances, sur le poste de travail notamment. Le coaching appartient à l’univers du conseil, ce n’est pas une prestation de formation. À ce titre, son coût n’était pas imputable sur le 0,9 % “plan de formation”. La réforme ne vise pas à rapprocher le coaching de la formation, me semble-t-il.

E & C : Que pensez-vous du contrôle de la qualité des formations par les financeurs (Opca, régions, Pôle emploi, etc.) créé par la loi ?

C. P. : Il faut attendre le décret pour connaître les critères qui seront retenus. Il me semble cependant qu’on s’oriente vers une démarche proche de la labellisation actuelle délivrée par l’Office professionnel de qualification des organismes de formation (OPQF) mise en place en 1994 par la Fédération de la formation professionnelle (FFP) et le ministère du Travail. Je ne suis pas certain que l’on parvienne à réguler le marché de cette manière. Il faut aller plus loin sur la qualification des formateurs pour être sûr qu’en plus de leurs connaissances techniques ils aient une compétence pédagogique. L’accès à d’autres métiers est bien réglementé, pourquoi pas celui de formateur ?

E & C : Quels sont les effets de la réforme sur la fonction de responsable de formation en entreprise ?

C. P. : Reconnaissons déjà la forte capacité d’adaptation de ces professionnels, qui doivent faire face tous les cinq ans à une nouvelle réforme… À chaque fois, ils doivent adapter leurs outils et procédures. Pour le coup, ces professionnels vont devoir faire preuve d’innovation, de créativité et de pédagogie. Ils doivent convaincre leur direction de maintenir l’effort de formation malgré la baisse des contributions légales, ce qui n’est pas facile quand il s’agit par exemple d’une entreprise étrangère implantée en France. Autre point essentiel : la communication auprès des collaborateurs sur le remplacement du DIF par le CPF, la différence entre ce qui est certifiant et qualifiant… De nombreuses entreprises utilisent déjà les réseaux sociaux, les communautés Web pour communiquer en interne et favoriser les échanges de pratiques. Cette tendance devrait s’accentuer, ainsi que l’e-learning, les séminaires à distance et les visioconférences.

E & C : Redoutent-ils le formalisme de l’entretien professionnel ?

C. P. : Je n’observe pas d’inquiétude particulière, notamment sur l’abondement correctif du CPF au bout de six ans en cas de non-respect de l’obligation d’entretien tous les deux ans, de formation, d’évolution professionnelle ou salariale.

Le plus souvent, l’entretien d’évaluation et l’entretien professionnel sont déjà distincts : en début d’année pour l’un et en milieu d’année pour le second.

En revanche, là où cet entretien n’était pas mis en place, les questions fusent à propos de son formalisme. Qui va le réaliser ?

Le manager, les RH, un prestataire externe ?

E & C : Vont-ils être davantage associés à la GPEC ?

C. P. : C’est l’un des points majeurs de cette réforme. Leur rôle dans l’organisation et le pilotage de l’entretien va leur donner une place centrale dans la mise en œuvre des démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), qui ne sont pas gérées par le service formation la plupart du temps. Celui-ci va devoir bâtir des parcours, travailler sur les certifications en lien avec la branche, s’informer sur les filières de formation. Les responsables de formation deviennent avant tout des responsables du développement des compétences.

PARCOURS

• Christophe Parmentier est enseignant en master Stratégie et ingénierie en formation d’adultes (Sifa) à Rennes 2 et à l’université Pierre-et-Marie-Curie. Docteur en sciences de l’éducation, il est fondateur et directeur associé de Clava, réseau d’experts en développement des compétences.

• Il intervient en formation auprès d’entreprises et au sein de Sipca-Formation.

• Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Métier de formateur (Eyrolles, 2014), L’ingénierie de formation (Eyrolles, 2012), Encadrer et sécuriser les parcours professionnels (Dunod, 2011).

LECTURES

• Lost in management, François Dupuy, Seuil, 2011.

• Transmettre, Régis Debray, Odile Jacob, 1997.

Auteur

  • VALÉRIE GRASSET-MOREL