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« Le patrimoine humain est un concept collectif et dynamique »

Enjeux | publié le : 03.06.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« Le patrimoine humain est un concept collectif et dynamique »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Plus qu’un capital immatériel, la ressource humaine constitue aujourd’hui un véritable patrimoine qu’il appartient à l’entreprise de constituer, d’organiser, de développer et de transmettre pour créer une synergie entre ses actifs matériels et financiers et les ressources humaines, productrices de valeurs.

E & C : Vous proposez d’introduire la notion de patrimoine humain pour rendre compte de l’importance des ressources humaines dans l’entreprise.

Yves Barou : La valeur d’une entreprise n’est pas uniquement constituée par ses actifs financiers ou matériels. Le concept de capital humain, que l’on utilise souvent pour mieux cerner cet actif immatériel résidant dans l’apport des hommes à l’entreprise, a le mérite de poser immédiatement l’humain comme une ressource des organisations aux côtés des ressources financières et matérielles.

Il s’agit cependant d’un concept calqué sur le modèle financier, qui ne rend pas complètement compte de la spécificité de la ressource humaine.

De plus, il est plutôt mal connoté, dans la mesure où un capital est fait pour être exploité, ce qui, dans une perspective humaniste, revêt un caractère moralement contestable.

La notion de “patrimoine humain” que propose le Cercle des DRH européens se veut à la fois plus respectueuse des hommes, plus collective – privilégiant la coopération à l’individualisation – et plus dynamique, car ce concept émergent n’a d’intérêt que s’il s’exprime dans des projets qui font sens pour les hommes et les femmes de l’entreprise. Il rend mieux compte de la complexité de l’humain que la notion de capital humain et renvoie à la notion d’identité de l’entreprise. Parler de patrimoine humain est une posture volontariste, qui a des conséquences managériales, puisque c’est une manière de se situer dans une histoire par rapport à un héritage et une culture. Il implique également une responsabilité : il appartient à l’entreprise, et notamment à ses dirigeants, de ne pas dilapider le patrimoine, mais au contraire de le faire fructifier.

E & C : En quoi consiste ce patrimoine humain ?

Y. B. : Il a quatre fonctions principales : constitutive, d’organisation, de développement et de transmission. La fonction constitutive est le fait qu’une entreprise réside en premier lieu dans son capital financier, bien sûr, qui lui permet d’investir, mais également dans le patrimoine humain qui la compose et qu’il lui appartient d’agréger et de maintenir dans sa cohérence, de telle sorte que le tout soit plus grand que les parties, puisque la compétence collective obtenue dépasse ce que pourraient faire les individus ajoutés les uns aux autres.

Il s’agit là d’une fonction éminemment politique, qui se décline à travers une stratégie de recrutement. À cette fonction fondatrice s’adjoint très vite la fonction organisationnelle. Les bonnes personnes étant supposées à leur place, comment constituer les équipes, les faire travailler ensemble, maintenir la compétence individuelle et collective, manager, distribuer les responsabilités, favoriser la collaboration et donner aux gens l’envie de rester au sein de l’entreprise et de continuer de s’y investir ?

Système complexe, qui implique pour rester performant d’être en permanence développé. On trouve là la formation et la gestion des compétences dans la durée. Cette fonction, que l’on peut assimiler à la culture d’entreprise, désigne ce qui y est permanent au fil de ses changements d’équipes, de dirigeants, de marchés… C’est la capacité à mobiliser l’ADN de l’entreprise pour relever de nouveaux défis.

C’est un élément clé de la réussite. Enfin, la fonction de transmission, plus difficile à circonscrire, désigne tout ce qui constitue l’identité de l’entreprise : transmission des gestes professionnels, tutorat, modes de collaboration, politique vis-à-vis des seniors, gestion des départs, etc.

E & C : Pourquoi le patrimoine humain représente-t-il un atout pour la compétitivité des entreprises ?

Y. B. : Introduire et faire fonctionner la notion de patrimoine humain est à la fois prendre acte de l’importance croissante des hommes dans la performance des entreprises et tenter de mettre en synergie les aspects financiers et les aspects humains, dans la mesure où l’environnement social impacte la valorisation à moyen et long termes de l’organisation. Pour aborder les aspects humains en changeant de lunettes, il s’agit de renforcer la dimension stratégique des RH au sein de l’entreprise, qui ne peut pas simplement réagir aux indicateurs financiers à court terme, sauf à remettre en cause sa pérennité. L’humain, c’est du long terme, et prendre en compte l’humain, c’est inscrire l’entreprise dans un projet sur la durée. En même temps, on continue de tâtonner quand il s’agit de présenter des indicateurs sociaux : chaque entreprise choisit les chiffres qu’elle veut mettre en avant dans son bilan social. Le problème social dans l’entreprise est proche de celui du carbone dans une perspective environnementale : tant que les choses n’ont pas un prix quantifiable, elles ne sont pas tout à fait appréhendables. L’humain n’a pas un prix clair pour les entreprises.

On sait à la rigueur chiffrer le coût de la non-qualité, mais pas celui de la qualité. Nous espérons, par cette notion de patrimoine humain, contribuer à étalonner le prix de l’humain sur ses différentes fonctions constitutives.

Nous avons besoin aujourd’hui d’indicateurs agrégés de manière homogène dans la sphère sociale pour définir un cap clair. Mais, évidemment, il n’est pas question de ne se situer que dans le quantitatif.

D’une certaine manière, il faut garder la tension entre ce qui se mesure et ce qui n’est pas mesurable.

Cela oblige à voir les choses non à l’équilibre, mais dans une perspective dynamique d’ajustements et de progrès. Chaque entreprise, sur ce plan, est un cas d’espèce. Il ne s’agit pas uniquement de reproduire ce qui a fait ses preuves, mais d’enrichir son propre modèle sans le diluer.

E & C : Comment la notion de patrimoine humain s’articule-t-elle avec celles de qualification et de compétences individuelles ?

Y. B. : Le niveau pertinent pour juger de la compétence est le collectif. Ce n’est que sur ce plan que l’on peut comprendre la dynamique des richesses humaines professionnelles. L’employabilité reste une notion individuelle et relative. Le patrimoine humain de l’entreprise n’est pas réductible à la somme des patrimoines humains individuels qui le compose, car l’entreprise transmet et interagit avec ceux qui y travaillent en modifiant à son tour leurs patrimoines individuels.

C’est cette interaction, à la fois transmission et transformation, qui fonde le patrimoine humain.

PARCOURS

• Yves Barou est fondateur et coprésident du Cercle des DRH européens. Il est également président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa).

• Il a été responsable des ressources humaines à Rhône Poulenc puis directeur adjoint au ministère du Travail sur les questions de formation entre 1998 et 2000.

En 2000, il est devenu vice-président des RH et des affaires sociales à Thales.

• Il vient de coordonner un ouvrage intitulé Patrimoine humain de l’entreprise et compétitivité (éditions des Ilots de résistance).

LECTURES

• Les Immatériels actifs : le nouveau modèle de croissance, Hervé Baculard et Jérôme Julia, Cherche Midi, 2011.

• Investir dans le social, Michet Dollé et Jacques Delors, Odile Jacob, 2011.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX