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Une réforme toujours en rodage

Actualités | publié le : 03.06.2014 | SABINE GERMAIN

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Une réforme toujours en rodage

Crédit photo SABINE GERMAIN

Près de trois ans après son adoption, en juillet 2011, la réforme de la médecine du travail se met enfin en place. Certaines questions restent en suspens, notamment la mise en œuvre du dossier médical du salarié. Lequel fera l’objet de débats à l’occasion du Congrès national de santé au travail qui s’ouvre ce 3 juin à Lille.

« La pluridisciplinarité est maintenant effective, les infirmiers ont été embauchés, la plupart des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) ont été signés : la réforme commence véritablement à se déployer », observe Sophie Quinton-Fantoni, professeure de médecine du travail au CHRU de Lille. Enfin ! Il aura fallu près de trois ans aux services de santé au travail (SST) pour s’approprier et mettre en œuvre la réforme de l’organisation de la médecine du travail, adoptée en juillet 2011. Il est vrai que les décrets d’application ont tardé : les derniers n’ont été publiés que le 30 janvier 2012.

« Ils ont malheureusement vidé en partie la réforme de sa substance, notamment en ne revenant pas sur la périodicité des visites médicales obligatoires », regrette Paul Frimat, professeur de médecine du travail à l’université de Lille 2 et coauteur (1), en avril 2010, du rapport La santé au travail, vision nouvelle et professions d’avenir, dont les 48 propositions ont largement inspiré la réforme.

Des visites difficiles à organiser

En théorie, les visites d’embauche restent obligatoires, y compris pour les contrats courts. La réalité est plus mouvante : « En Ile-de-France, il faudrait organiser 12 millions de visites d’aptitude par an pour satisfaire à cette seule obligation, calcule Pierre Guinel, directeur médical de l’ACMS (Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile-de-France, qui suit 50 000 entreprises et 1 million de salariés). Si nous mobilisions l’ensemble de nos équipes sur cette seule tâche, nous ne pourrions pas mener plus de 2,5 millions de visites. » Ce qui place les entreprises aux marges de la loi, alors qu’en cas d’accident du travail, un inspecteur du travail ou un juge vérifient systématiquement si toutes les visites d’embauche ont bien été faites…

Dérogations régionales

Moralité : la Direction générale du travail a fait preuve de réalisme dans l’attribution des agréments accordés pour des périodes de un à cinq ans aux services de santé au travail (SST). Certaines régions ont demandé des dérogations quant à la périodicité des visites médicales. Une demande légitime, au regard du caractère inutilement chronophage de cette activité. Mais qui pose la question de l’équité territoriale : « Dans 10 régions, la périodicité des visites de surveillance médicale renforcée – SMR – a été portée à 24 mois, dans une région à 36 mois et dans cinq régions à 48 mois, observe Sophie Quinton-Fantoni. Quant aux visites périodiques, elles peuvent être espacées de 36 ans mois dans deux régions, de 48 mois dans 15 régions, de 60 mois dans une région et de 72 mois dans une autre. Comme si la réalité de la santé au travail s’effaçait devant les réalités de la démographie régionale des médecins du travail. »

Avec 7 500 médecins du travail à travers la France, certains territoires sont clairement sous-dotés. « Il en faudrait au moins 10 000 à temps plein », tempête Bernard Salengro, secrétaire national de la CFE-CGC en charge des conditions de travail, du handicap et de la santé au travail, qui n’a de cesse, depuis plus de 10 ans, de dénoncer la chute des effectifs. Pour Paul Frimat, il s’agit là d’un faux débat : « A-t-on encore besoin de 10 000 médecins alors que 2 500 infirmiers, ingénieurs et autres sociologues ont été embauchés. Ils permettent d’avoir une approche plus globale en appréhendant aussi la santé au travail sous l’angle du management et de l’organisation, ce qui semble essentiel au regard de l’explosion des risques psychosociaux. »

La notion de pluridiscipinarité introduite par la réforme fait en tout cas l’unanimité : « Il faut passer d’une approche individuelle de la médecine du travail, reposant essentiellement sur une logique de réparation, à une approche plus collective de la prévention », explique Paul Frimat. Pierre Guinel plaide, lui aussi, pour une approche plus collective de la médecine du travail, « afin d’apporter des solutions à des enjeux de santé au travail de plus en plus complexes. »

En deux ans à peine, cette pluridisciplinarité est en effet devenue une réalité. Ce que confirme le document (2) produit par la Direction générale du travail et présenté en janvier dernier devant le Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), l’instance paritaire chargée d’émettre des avis sur les projets de lois et de décrets. Fin 2013, plus de 75 % des SST ont recruté des infirmiers et 92 % ont intégré des ingénieurs IPRP (intervenants en prévention des risques professionnels). La création d’au moins une équipe pluridisciplinaire étant obligatoire, plus de la moitié des SST (56 %) ont décidé de mutualiser leur effort en en créant une seule, commune à l’ensemble des services.

Un nouveau rôle

Leur fonctionnement n’est toutefois pas encore tout à fait au point : historiquement très autonomes, voire individualistes, les médecins ont parfois du mal à assumer leur rôle d’animateur d’équipe. « Mais nous avons fait de gros efforts de formation pour les accompagner dans cette nouvelle mission, explique Pierre Guinel. Je dois avouer que je suis agréablement surpris par la façon dont ils ont évolué. »

De plus, la mise en place de commissions médico-techniques (CMT), conçues comme des lieux d’échanges professionnels entre les médecins et les autres membres de l’équipe, devrait accélérer les choses.

Même s’il reste quelques zones de frottement : « Les secrétaires médicales ont souvent été exclues des CMT », note le rapport de la Direction générale du travail (DGT) en insistant sur le fait qu’il s’agit là d’une « interprétation erronée de la réglementation. Les secrétaires médicales font partie intégrante des SST. »

De même, les médecins se sentent proportionnellement sous-représentés, la présidence de cette nouvelle instance étant de surcroît plus souvent confiée au directeur du SST (dans 57 % des cas) qu’à un médecin (31 % des cas). La DGT met donc en garde contre le risque de voir les commissions médico-techniques se transformer en « simples chambres d’enregistrement des décisions prises par ailleurs », ce qui les empêcherait de « jouer pleinement leur rôle d’instance professionnelle de dialogue ». Autre sujet de tension : Sophie Quinton-Fantoni pointe les difficultés de mise en œuvre du dossier médical, « qui se trouve au cœur de la réforme ». Il doit notamment permettre d’évaluer le lien entre l’état de santé du travailleur et le (s) poste (s) qu’il a occupé (s), avec une véritable traçabilité des expositions professionnelles, des données de santé et des avis émis par le médecin du travail. « Sa mise en place pose de nombreuses difficultés techniques (notamment informatiques) et déontologiques. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer en grande partie notre prochain congrès Santé au travail, qui aura lieu du 3 au 6 juin à Lille (3), au dossier médical. Vu le nombre inhabituellement élevé de propositions de communications que nous avons reçues, ce sujet soulève encore beaucoup d’interrogations. »

1) Avec Christian Dellacherie, membre du Conseil économique, social et environnemental, et Gilles Leclercq, médecin conseil de l’ACMS.

2) Éléments pour un bilan de la réforme de l’organisation de la médecine du travail.

3) Pour en savoir plus, consulter le site du 33e congrès national de santé au travail : <www.santetravail-lille2014.fr>.

Des équipes pluridisciplinaires

→ 62 % de médecins.

→ 1,6 % de collaborateurs médecins.

→ 0,1 % d’internes.

→ 9 % d’infirmiers.

→ 14,7 % d’assistants de services de santé au travail.

→ 11,8 % d’ingénieurs IRPR (intervenants en prévention des risques professionnels).

Source : enquête menée par la Direction générale du travail auprès de 276 services de santé au travail.

Auteur

  • SABINE GERMAIN