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Enquête

« Un mécanisme trop rigide risque d’occulter la prévention »

Enquête | publié le : 27.05.2014 | H. T.

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« Un mécanisme trop rigide risque d’occulter la prévention »

Crédit photo H. T.

E & C : Tous les employeurs n’en ont pas fini avec l’établissement des fiches pénibilité. La nouvelle réforme des retraites change-t-elle la donne ?

N. F. : Qu’on les appelle fiches pénibilité ou fiches de prévention des expositions, elles sont obligatoires depuis 2012 pour tout salarié exposé à un ou plusieurs facteurs de risques, quel que soit son statut, public ou privé. Mais elles n’ont plus forcément le même objectif. L’idée de départ est de recenser les expositions – les seuils étant définis par l’employeur – et d’identifier les moyens de les réduire. Ces fiches permettent de voir si les entreprises ont avancé sur le sujet et mis en œuvre des actions de prévention. Elles sont aussi un élément de preuve majeur pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle. La philosophie de 2012 est donc de traiter le problème à la source. La loi du 20 janvier 2014, qui instaure le compte pénibilité, stipule que l’attribution de points sur le compte des salariés concernés s’effectuera sur le fondement de ces fiches(1). Lesquelles concernent maintenant les travailleurs exposés au-delà des seuils qui seront établis. On se situe davantage sur une logique de compensation. Nous verrons bien, à l’usage, si ce document reste dédié à la prévention ou s’il devient une fiche d’enregistrement.

E & C : La loi incite quand même à la prévention.

N. F. : Le levier sera la cotisation, qui incitera les entreprises dont les salariés sont les plus exposés à agir pour passer sous les seuils de pénibilité. Mais il y a une inégalité entre celles qui ont fait un choix d’activité soumis à des facteurs de pénibilité et les autres. Certaines entreprises industrielles, fussent-elles les meilleurs préventeurs de risques, cumulent par exemple le travail de nuit et les 3x8. Et on sait combien le travail de nuit influe sur la santé et l’espérance de vie ! Reste à savoir, maintenant, si les seuils sont contraignants ou pas. Y aura-t-il un seuil spécifique pour la pénibilité du travail de nuit ? Pour l’instant, une vendeuse debout toute la journée dans un magasin qui ferme à minuit, soumise à la fois à une posture pénible et au travail de nuit dans sa définition légale, ne rentre pas dans les facteurs et les seuils de pénibilité tels que proposés par Michel de Virville(2).

E & C : Que pensez-vous de cette première esquisse du compte pénibilité ?

N. F. : La notion de calcul des seuils est complexe. Le diagnostic de la pénibilité se fait dans le document unique. Michel de Virville propose de la mesurer en heures par mois, ce qui génère beaucoup d’incertitudes. C’est un traitement par individu qui nécessite de croiser des données RH précises. Cela semble cohérent, par exemple, pour le travail de nuit. Pour la manutention manuelle de charges, en revanche, ce sera vraiment difficile à établir. On pourra, à la rigueur, avancer un pourcentage de temps d’exposition. Je pense qu’un mécanisme trop cartésien, trop rigide, avec le risque de pinailler sur les heures d’exposition effectives, pourrait occulter l’objectif initial qui demeure la prévention. Ce qui ne serait bon ni pour les employeurs ni pour les salariés. Le cadre actuel était peut-être trop souple. Il n’y a pas besoin de discuter sur le bruit. Mais certains facteurs demandent certainement une approche différente.

E & C : En attendant les décrets d’application, que peuvent faire les entreprises ? Et pourront-elles tenir les délais ?

N. F. : Il y a la dead line officielle. Mais il y aura aussi la pression des salariés, notamment dans le secteur industriel, qui présente une pyramide des âges vieillissante. Les entreprises s’exposeront à des problèmes sociaux si elles n’anticipent pas cette démarche. Dans certains cas, cela peut nécessiter des moyens importants. Il leur faut donc d’ores et déjà se demander si les informations dont elles disposent sont structurées et utilisables en l’état. Lorsqu’il embauche un salarié, un employeur doit être capable de dire à quelle unité de travail du document unique correspond l’intitulé de sa fonction et, donc, à quels risques il est exposé. D’un point de vue informatique, il est ensuite facile de créer des fiches individuelles, sachant que la solution logicielle dépendra beaucoup des seuils. Si on compte effectivement en heures par mois, il faudra coupler le constat d’exposition avec un outil de gestion des temps.

1) L’article L. 4162-3 du Code du travail prévoit que « les points sont attribués au vu des expositions du salarié déclarées par l’employeur, sur la base de la fiche ».

2) « Il y aurait travail de nuit au sens de la prise en compte de la pénibilité dès lors que tout ou partie de l’horaire se situerait entre 0 et 5 heures, avec le cas échéant un quantum minimum de durée sur cette plage. Cette situation devrait intervenir au moins quinze jours par mois. »

Auteur

  • H. T.