logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Démocratiser l’entreprise accroîtra l’efficacité et la satisfaction au travail »

Enjeux | publié le : 27.05.2014 | PAULINE RABILLOUX

Image

« Démocratiser l’entreprise accroîtra l’efficacité et la satisfaction au travail »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Dans un contexte où la productivité doit sans cesse augmenter, où les travailleurs vivent mal le fait de devoir parfois bâcler leur tâche, rendre le travail supportable ne peut se faire qu’en associant les salariés aux décisions.

E & C : Dans quelle mesure le travail peut-il représenter un risque pour la santé de nombreux salariés ?

Michel Gollac : Chiffrer précisément les risques que le travail représente pour la santé des travailleurs est délicat. La dernière enquête publiée par la Dares sur les conditions de travail en France date maintenant de plusieurs années, et les chiffres ne sont d’ailleurs pas absolument significatifs, puisque tous les accidents du travail ne sont pas déclarés et que la liste des maladies professionnelles évolue. Un point est cependant incontestable, c’est que la divergence entre les attentes des salariés en termes de bien-être au travail et les conditions réelles de travail n’a jamais été aussi importante. D’une part, les salariés sont mieux informés à la fois sur les conditions de la santé et les dangers liés au travail, de l’autre, l’intensité du travail est très élevée depuis les années 1980-1990, et l’embellie, bien modeste, sur l’autonomie des salariés, qui a accompagné cette intensification en ses débuts est aujourd’hui remise en cause : une nouvelle bureaucratisation du travail tend à multiplier les normes et procédures et à ne considérer le travail que sous un aspect quantitatif abstrait, qui s’écarte toujours plus du travail réel. Dans le même temps, le niveau culturel de la population augmentant, le besoin de valoriser ce capital culturel se généralise. Le défaut de reconnaissance du travail réel est devenu massif.

E & C : Le livre que vous signez avec Yves Clot met notamment en cause le risque lié au sentiment de devoir bâcler son travail ?

M. G. : Le renforcement des exigences productivistes conduit, dans de nombreux cas les salariés, à devoir travailler à la va-vite pour un résultat dont ils ne peuvent pas être fiers. Le travail ne répond ni correctement aux attentes de la clientèle ni à leur propre conception du travail bien fait. Or, dans un contexte d’intensification du travail, l’autonomie quant à la manière de mener son travail à bien et la satisfaction quant au résultat sont essentiels pour contrebalancer les effets délétères de la pression temporelle. Le sentiment de mal faire son travail a des conséquences sur la santé psychique du travailleur, qui ne parvient pas à trouver dans la tâche accomplie une source d’estime de soi. Et il risque d’autant plus de déprimer qu’il est soumis à une forte pression au rendement. En même temps, cette pression est caractéristique d’organisations du travail dysfonctionnelles. Le travail bâclé pour cause d’intensité excessive est l’indice d’un déséquilibre entre les moyens octroyés et les fins affichées, ce qui est le signe d’un manque de connaissance et de reconnaissance du travail et de celui qui le fait. Le salarié ne comprend pas plus les orientations du top management que l’organisation ne semble connaître et reconnaître son travail réel. Le sentiment d’être correctement intégré dans un collectif cohérent est un facteur de santé comme, a contrario, le sentiment que quelque chose dysfonctionne dans l’organisation du travail tend à fragiliser l’individu. Pression temporelle, manque d’autonomie, manque de reconnaissance, manque d’intégration, perte d’estime de soi : tout ceci met en péril la santé mentale mais aussi la santé physique – troubles cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, probablement aussi allergies et peut-être cancers.

E & C : Comment rendre le travail supportable ?

M. G. : La santé et la sécurité au travail dépendent de décisions qui vont des prescriptions sur le terrain au contexte macroéconomique et politique, en passant par les systèmes d’organisation du travail, l’équipement technique ou encore la législation. Les actions purement locales peuvent être annulées par un contexte global trop défavorable, tandis que les actions globales, difficiles à mettre en œuvre, sont vaines si elles ne sont pas relayées sur le terrain. Force est pourtant de privilégier certaines pistes. On peut construire des organisations plus saines pour les salariés, puisque les différentes formes d’organisations n’ont pas toutes le même impact sur la santé des salariés. Les pays du Nord de l’Europe, qui privilégient l’autonomie, la coopération et l’apprentissage, sont à cet égard plus salubres que les organisations bureaucratiques et tayloriennes plus répandues au Sud ou que la “lean production”. Mais plutôt que de parachuter des modes d’organisation qui pourraient entrer en conflit avec les pratiques actuelles des entreprises et pour lesquels les prérequis culturels ne sont pas forcément présents, il nous a semblé, à Yves Clot et à moi-même, qu’il est surtout important de développer la démocratie dans les entreprises, de telle sorte que les salariés, ayant davantage voix au chapitre et part aux décisions, soient mieux reconnus et gagnent en autonomie. Le débat à l’intérieur des métiers, le débat avec la hiérarchie, mais aussi avec les clients ou avec les défenseurs de l’environnement doit être privilégié à tous les niveaux afin d’améliorer conjointement l’efficacité et la satisfaction au travail.

E & C : Quel peut-être le rôle spécifique des RH dans ce projet ?

M. G. : Les directions des ressources humaines peuvent avoir une importance décisive sur trois axes. Tout d’abord en faisant remonter vers les directions d’entreprise les problèmes de santé au travail, actuellement masquées par les enjeux financiers. Secundo, il leur appartient de se faire une idée exacte des capacités de travail des salariés pour pointer les excès mais aussi les défauts : les travailleurs souffrent à la fois de surcharge de travail et de voir méconnues leurs capacités réelles qui excèdent parfois largement les définitions de leur poste. Enfin, les RH ont un rôle décisif dans le processus de reconnaissance au travail, reconnaissance à la fois symbolique et financière. Nous pensons que démocratiser l’entreprise accroîtra la contribution collective des salariés à la performance. Rétribuer ce surcroît d’efficacité enclencherait des cercles vertueux : reconnaissance au travail, amélioration de l’efficacité, meilleure rétribution, remotivation et santé améliorée. Cette optimisation de la performance et sa rétribution constitueraient une alternative à la recherche de productivité par la baisse du coût du travail, et seraient profitables à toutes les parties.

PARCOURS

• Michel Gollac dirige le laboratoire de sociologie quantitative du Crest (Centre de recherche en économie et statistique). Il a présidé le collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail et codirigé le groupe d’études sur le travail et la souffrance au travail.

• Il est auteur ou coauteur de nombreux ouvrages, dont, avec Serge Volkoff, Les Conditions de travail (La Découverte, 2007). Il vient de publier avec Yves Clot Le travail peut-il devenir supportable ? (Armand Colin, 2014).

LECTURES

• Les Désordres du travail : enquête sur le nouveau productivisme, Philippe Askenazy, Seuil, 2004.

• Dossier “Management et santé” introduit par Mathieu Detchessahar, Revue française de gestioon n° 214, 2011.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX