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De nouveaux droits sociaux pour les filiales de L’Oréal dans le monde

Pratiques | publié le : 20.05.2014 | NICOLAS LAGRANGE

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De nouveaux droits sociaux pour les filiales de L’Oréal dans le monde

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Les 65 filiales-pays de L’Oréal déploient, depuis quelques mois, un socle commun de garanties sociales en matière de santé et de prévoyance, mais aussi de parentalité et de conditions de travail. Un programme très ambitieux lié au projet stratégique du groupe et impactant pour la fonction RH.

Accorder à ses 75 000 collaborateurs, partout dans le monde, les mêmes durées minimales de congés maternité et paternité, la même couverture en cas de maladie chronique ou d’invalidité, les mêmes standards de conditions de travail, le tout en l’espace de deux ans… c’est le pari audacieux de L’Oréal, avec son programme Share and Care.

« Il ne peut y avoir de mondialisation réussie sans vision sociale globale, assure Jérôme Tixier, DGRH groupe. Ce programme d’innovation sociale contribue à la stratégie d’universalisation présentée à l’automne par Jean-Paul Agon, qui vise la conquête d’un nouveau milliard de consommateurs dans le respect des différences culturelles. La pérennité de l’entreprise repose aussi sur sa capacité à créer de la valeur sociale et sociétale. » Dès lors, quelles orientations privilégier ? « Nous avions déjà beaucoup avancé sur le développement individuel des collaborateurs, mais nous n’avions pas de politique globale au plan collectif, explique Bertrand de Senneville, directeur général des relations sociales du groupe. Au-delà de la sécurité, déjà traitée dans un programme mondial, nous avons défini à la mi-2012 les quatre besoins essentiels des collaborateurs. » Quatre piliers thématiques désignés par des termes anglais : la protection du salarié et de sa famille en cas d’invalidité ou de décès (protect), la couverture santé (care), la parentalité (balance) et l’amélioration de la qualité de vie au travail (enjoy). Share and Care n’a pas donné lieu à une négociation mais à des échanges avec les IRP, pays par pays, eu égard aux enjeux nationaux et en l’absence d’IRP structurées au niveau mondial.

« Pour établir un diagnostic précis et avoir une vision vraiment internationale, nous avons conçu une enquête de 106 questions avec Aon Hewitt, à destination des DRH des pays, précise Françoise Schoenberger, directrice des relations sociales France et chef de projet. Des questions fermées sur les garanties déjà couvertes, avec les accords et contrats à joindre, et des questions ouvertes sur les attentes des salariés et la perception des répondants. » Résultat : 100 % de réponses en trois mois auprès des 65 filiales-pays, dont la plus petite compte 9 collaborateurs (Ghana). Aon Hewitt a lu tous les contrats retournés avec le questionnaire, établi des synthèses, vérifié les réponses factuelles et dressé un comparatif de chaque marché local.

Complémentaire santé obligatoire

Ce travail, complété par de nombreux échanges de l’équipe projet avec les pays (lire l’encadré), a permis de construire un socle de mesures obligatoires, avec un gros focus sur la partie santé-prévoyance. « Sur chaque critère, environ un tiers des pays étaient au-dessus du socle, un tiers dans la moyenne et un tiers offraient peu ou pas de garanties ou les réservaient à certaines catégories de collaborateurs », résume Bertrand de Senneville. D’ici à fin 2015, tous les pays devront avoir mis en place une complémentaire santé obligatoire. L’Espagne, la Croatie ou encore la Norvège n’en avaient pas. Le montant de la participation patronale est laissé à l’appréciation de chaque filiale, mais 75 % au moins des frais de maternité, d’hospitalisation, de chirurgie et de traitement des maladies chroniques doivent être remboursés. Chaque pays doit aussi proposer chaque année un programme de prévention, tant au plan individuel que collectif.

Au titre de la prévoyance, le leader mondial des cosmétiques impose désormais le versement d’un capital de deux ans de salaire en cas de décès ou d’invalidité. Il n’y avait par exemple aucun versement au Nigéria, rien en matière d’invalidité en République tchèque et en Slovaquie, des conditions d’ancienneté ou un plafond de salaire ailleurs. Chaque filiale doit aussi vérifier la politique pratiquée par les prestataires santé-prévoyance, dont les contrats avaient fait l’objet d’une rationalisation antérieure, et délivrer une information systématique aux collaborateurs.

Si d’autres grands groupes comme Danone, Lafarge ou Total ont développé des programmes mondiaux de protection sociale comparables (lire Entreprise & Carrières n° 1148), Share and Care se singularise par deux autres piliers : la parentalité et la qualité de vie au travail (QVT). Ainsi, les femmes enceintes (le groupe compte deux tiers de femmes) bénéficieront avant 2016 de 14 semaines de congé maternité, rémunérées à 100 %. « Nous avons retenu la préconisation de l’Organisation internationale du travail, expose Françoise Schoenberger. Nous avons aussi ouvert nos portes aux chercheurs de l’OIT pendant la mise en place de notre programme ; ils en ont fait un cas d’école pour en tirer tous les enseignements possibles. » Dès cette année, la Malaisie et Dubaï vont ainsi passer de 8 semaines de congé maternité à 14. Dans l’ensemble du groupe, les salariées bénéficiaires devront avoir un entretien RH avant leur congé et un autre après, une évolution de leur rémunération individuelle durant leur arrêt et un poste équivalent à leur retour. Quant aux pères, ils bénéficieront de trois jours de congés rémunérés (sans plafonnement) à la naissance d’un enfant. Un droit inexistant jusque-là en Israël, aux États-Unis, en Autriche ou aux Pays-Bas. « Certaines mesures ont pu susciter de l’étonnement dans quelques filiales, mais rien d’insurmontable au plan culturel, assure Françoise Schoenberger. Nous l’avons vérifié en amont avec les DRH pays. »

Dernier pilier du programme, l’amélioration de la QVT. À chaque création de bâtiment, comme récemment au Chili et en Norvège, plusieurs mesures rendues impératives en matière d’environnement de travail, parmi lesquelles une cafétéria unique sur le site pour favoriser le décloisonnement et la convivialité, une prise en charge partielle des frais de restauration et une accessibilité par les transports en commun. Tous les pays doivent également élaborer des programmes nationaux de flexibilité horaire et de prévention du stress. Enfin, un programme mondial de formation aux nouvelles technologies va être déployé.

Depuis fin 2013, tous les pays ont progressé, plus ou moins vite, dans la mise en œuvre de ces mesures. Sous le regard d’un comité de suivi et d’évaluation. « Ce socle de mesures obligatoires est financé par les filiales elles-mêmes, précise Bertrand de Senneville. Mais chacune est invitée à aller plus loin, en définissant ses propres priorités, pour se situer dans les top performers locaux. » Les pays asiatiques avancent sur la question des aidants familiaux, d’autres filiales, par exemple, veulent faire mieux que trois jours de congé paternité ou proposer plus d’un examen de prévention par an…

Bénéfice d’image

L’Oréal ne communique pas sur les coûts du programme, mais ceux-ci ont bien sûr été intégrés fin 2013 dans les budgets de chaque filiale. « Les coûts peuvent être largement compensés par une meilleure attractivité, une baisse du turnover, un meilleur engagement et une meilleure fidélisation », estime Bertrand de Senneville. Une fois le bilan global établi, au terme des deux ans, Share and Care pourrait connaître de nouveaux développements.

L’ESSENTIEL

1 Les filiales de L’Oréal doivent mettre en place un socle de mesures sociales obligatoires en 2014 et 2015 pour les 75 000 salariés du groupe.

2 Le programme mondial concerne la santé et la prévoyance, mais aussi la qualité de vie au travail et la parentalité.

3 Chaque filiale doit, en plus, élaborer son propre plan d’actions pour se situer parmi les meilleures entreprises locales.

Un programme transversal piloté par les RH

« L’équipe qui a construit le programme comptait une dizaine de personnes de diverses nationalités, venant de différentes fonctions (gouvernance, benefits, communication, etc.), détaille Françoise Schoenberger, directrice des relations sociales France et chef de projet. Nous avons beaucoup discuté avec tous les pays, et notamment les DRH des 18 pays pilotes, sur le détail des mesures envisagées. » Chaque mois, le comité de pilotage, auquel participaient les DRH de zones géographiques et l’équipe projet, a affiné le contenu ; le comex ayant, lui, tracé la feuille de route puis validé le programme.

« Les piliers sur la parentalité et la qualité de vie au travail nous ont permis de porter le projet de manière transversale », souligne Françoise Schoenberger. « En tant que maîtres d’œuvre du programme, les RH voient leurs missions s’élargir et leur poids se renforcer auprès des patrons de pays, estime Jérôme Tixier, DGRH groupe. Les RH locaux deviennent des acteurs d’innovation et des contributeurs essentiels à la responsabilité sociale de l’entreprise, puisque chaque pays est encouragé, au-delà du socle impératif, à devenir un laboratoire d’innovation sociale. »

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE