logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

LE NOUVEAU CREDO DES ENTREPRISES

Enquête | publié le : 20.05.2014 | EMMANUEL FRANCK

Image

LE NOUVEAU CREDO DES ENTREPRISES

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Soucieuses de motiver leurs salariés sans trop dépenser, les entreprises semblent avoir trouvé la martingale: les dispositifs d’équilibre vie professionnelle-vie privée. Toutefois, faute de savoir les rendre visibles, les directions peinent à en tirer parti.

Peu onéreux, appréciés des salariés, soutenus par les pouvoirs publics, pas mal vus des syndicats, les dispositifs de conciliation des temps de vie – professionnelle, privée, familiale – ont le vent en poupe. À Alstom Transport Valenciennes, il s’agit d’un budget pour la garde d’enfants; à Thales, d’un « droit à la déconnexion » ; à Casino, d’un congé de l’aidant familial; à Areva, d’un temps partiel annualisé; à Deloitte, d’un « parcours choisi » ; chez Renault, d’une conciergerie et des ateliers de conciliation des temps; et à la Compagnie nationale du Rhône, de places en crèche, pour ne citer que quelques dispositifs phares.

Les entreprises qui agissent en faveur de la conciliation des temps sont encore une minorité, mais l’époque des pionnières, lorsqu’en 2009 Alstom Transport concluait le premier accord sur l’équilibre travail-vie privée, est largement dépassée. La Charte de la parentalité, lancée en 2008 par l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise (OPE), est aujourd’hui signée par 500 entreprises employant 4,5 millions de salariés. Elle sera complétée par une nouvelle « charte des 15 engagements pour l’équilibre des temps de vie », toujours réalisée par l’OPE, mais cette fois à la demande du ministère des Droits des femmes.

À la recherche d’un nouveau projet

Opportunisme politique ? Changement d’ère managériale ? Retour du paternalisme ? L’Histoire ne se répète pas, mais la deuxième place de la société Mars, qui pratique le très paternel paiement des salaires à la semaine (lire p. 25), dans le classement 2014 de Great place to work peut apparaître comme un signe des temps. Toutefois, Jérôme Ballarin, président de l’OPE, par ailleurs dirigeant du cabinet de conseil en stratégie 1 762 Consultants, pense plutôt que les entreprises sont à la recherche d’un nouveau projet. La crise économique, l’arrivée des jeunes générations dans l’emploi, la montée des risques psychosociaux, les difficultés de l’État providence imposeraient aux entreprises de se mettre à ce qu’il appelle le « management par les équilibres » (lire son interview p. 27).

Le sujet intéresse à la fois les entreprises et nombre de salariés. La dernière enquête d’Universum relève ainsi que l’équilibre des temps est une priorité pour plus de la moitié des jeunes diplômés. Et, comme le note Brigitte Grésy, auteure de plusieurs rapports et ouvrage sur l’égalité professionnelle, les hommes sont de plus en plus nombreux à penser que la paternité est nécessaire à leur épanouissement*. Les postiers en congé parental, sondés par l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse), ne la démentiront pas (lire p. 22).

Les DRH, eux, y voient un moyen peu onéreux de motiver leurs salariés et de réduire les risques psychosociaux. « Quand il n’y a pas de redistribution financière, il faut aller sur d’autres champs », remarque François Geuze, directeur de la recherche du cabinet d’audit social Opentojob (O2J).

Une première phase d’écoute

Mais que proposer aux salariés ? À quel coût ? Et comment en tirer le meilleur parti ? François Geuze estime que « la mise en œuvre de dispositifs d’équilibre des temps ne peut s’envisager que dans une logique de cafétéria ». Autrement dit, les directions doivent répondre aux besoins des salariés, or tous n’ont pas les mêmes attentes, démontre une enquête d’O2J (lire l’encadré p. 23). D’où la nécessité d’une phase d’écoute préalable. Avant de décider de consacrer un budget « parentalité » de 50 000 euros à la garde d’enfants et au soutien scolaire, les syndicats du site valenciennois d’Alstom Transport ont sondé les salariés (lire p. 23). De son côté, SFR se fait aider du cabinet 1 762 Consultants pour dresser un bilan de l’« équilibre de vie » de ses managers (lire p. 26).

Les dispositifs de conciliation des temps sont ouverts à toutes les bourses. Ils peuvent coûter assez cher lorsque l’entreprise finance une crèche d’entreprise, des Cesu (lire le cas de la CNR, p. 26) ou une mutuelle avantageuse pour les familles, qui contribue à la tranquillité d’esprit des salariés. Ou ne rien coûter du tout. Selon le dernier baromètre de l’OPE (lire Entreprise & Carrières n° 1170 du 10 décembre 2013), les petites entreprises font souvent le choix d’adapter leur organisation du travail aux besoins des parents (aménagements d’horaires, congés parentaux, temps partiel, horaires de réunions) ou de proposer un accompagnement RH (gestion RH moins discriminante pour les salariés parents, entretien avec le n + 1 en cas d’événement familial, temps d’échange sur les équilibres lors de l’entretien annuel).

Le fabricant de portes industrielles souples Maviflex (114 salariés) a par exemple créé les « contrats parentaux », qui permettent aux salariés de moduler légèrement leur temps de travail (en général d’un quart d’heure à une demi-heure) en début d’année scolaire pour aller chercher leur enfant à l’école ou à la crèche. « Quasiment personne n’abuse de cette liberté, déclare Elsy Geay, la RRH. Les salariés ne prennent vraiment que le temps dont ils ont besoin. »

Les grandes entreprises peuvent davantage se permettre de proposer des aides financières (mutuelles, maintien du salaire lors des congés maternité ou paternité, prime à la naissance) ; l’OPE remarque toutefois qu’elles ont été moins généreuses ces dernières années, sans doute du fait de la crise économique. C’est également dans les grandes entreprises qu’on trouvera des services comme une crèche, la garde ponctuelle d’enfants, du soutien scolaire.

Reste ensuite aux directions à tirer leur épingle du jeu. Or « l’absence de lisibilité de l’offre de l’entreprise en la matière est frappante », constate François Geuze. Pour lui, l’explication tient notamment au fait que de multiples services sont assurés par le comité d’entreprise : Cesu, voyages, sport, informations pratiques et culturelles, garde d’enfants, recherche de logement, conciergerie… À noter que des mutuelles proposent également de la garde d’enfants ou la prise en charge des personnes âgées. « Cette situation explique les résultats moyens – 27% – que l’on obtient de la part des salariés lorsqu’ils sont interrogés sur l’existence de dispositifs concrets permettant d’équilibrer la vie privée et la vie professionnelle », estime-t-il.

Confusion des temps

À moins que, lorsqu’ils sont submergés de travail et d’e-mails sur leurs smartphones, les salariés soient dans l’impossibilité objective d’articuler leur travail et le reste. « Les entreprises expliquent aux salariés que c’est bien de concilier leur temps de travail et leur vie privée, qu’ils peuvent partir plus tôt, mais elles ne traitent pas la charge de travail. Or, si les contraintes restent les mêmes, la charge est déportée sur la vie privée, du fait des outils numériques », relève François Fatoux, délégué général de l’Orse.

* B. Grésy, La Vie en rose. Pour en découdre avec les stéréotypes, Albin Michel, 2014.

L’ESSENTIEL

1 Le besoin de maîtriser la masse salariale, la montée des risques psychosociaux et l’insuffisance de l’offre publique incitent les DRH à proposer des dispositifs de conciliation vie professionnelle-vie privée.

2 Cette approche intéresse les pouvoirs publics, qui y voient un levier pour améliorer la qualité de vie au travail des salariés et faire avancer l’égalité professionnelle.

3 Les directions ne parviennent pas à tirer tout le parti des dispositifs de conciliation des temps, notamment parce qu’elles n’arrivent pas à les rendre visibles et qu’elles sont en concurrence avec les comités d’entreprise.

Pour aller plus loin

→ Baromètres de l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise (OPE). Guide de la « parentalité à 360° », OPE. <www.observatoire-parentalite.com>, documenthèque.

→ « Pour une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Identification des bonnes pratiques des secteurs public et privé en France et à l’étranger ». Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), 2013. Retrouvez le guide de la DGAFP sur <www.wk-rh.fr>, Entreprise & Carrières, docuthèque.

PARENTS, JEUNES, SENIORS, FEMMES… À CHACUN SES ATTENTES

Le cabinet d’audit social Opentojob (O2J) a interrogé 3 962 salariés au long de l’année 2013 sur divers aspects de leur travail, notamment l’équilibre des temps. De ce sondage, il ressort que ce sont les salariés âgés de 26 à 50 ans qui parviennent le moins (aux alentours de 40 %) à équilibrer leurs temps de vie, du fait de la pression de la vie familiale et des enfants. Ils sont donc sans surprise le public naturel des dispositifs d’équilibre des temps : assistance aux besoins des salariés (conciergerie, services) ; temps de travail flexible (télétravail, horaires souples, forfait-jours) ; lieux de travail flexibles (télétravail, NTIC).

Mais les autres populations ont également des attentes. Les quinquagénaires et les salariés de moins de 25 ans sont les plus satisfaits (respectivement 50 % et 55 %), mais leurs motivations sont différentes. « Les 51 ans et plus mettent en avant la possibilité de gérer leurs horaires et de poser des congés, constate François Geuze, directeur de la recherche d’O2J : ils veulent donc du temps pour eux et pour leur famille.

Les moins de 25 ans sont davantage à la recherche de microflexibilités horaires, pour traiter des petits problèmes administratifs ou bénéficier de week-ends de trois jours, et d’une adaptation des lieux de travail avec le télétravail. »

Toujours selon O2J, les femmes sont moins satisfaites que les hommes en ce qui concerne la gestion de leurs horaires (38 % contre 44 %), les prises de congés (46 % contre 54 %) et la gestion des événements familiaux (55 % contre 64 %), sans doute parce qu’elles occupent des postes moins flexibles (temps partiel, travail prescrit). Et pourtant, elles se satisfont (43 %) presque autant que les hommes (45 %) de l’équilibre entre leurs vies privée et professionnelle.

François Geuze explique ce paradoxe par le « sacrifice de certaines de leurs attentes en matière d’équilibre ». Or « leur niveau d’attente n’est pas moins marqué que celui des hommes ».

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK