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MIEUX ACCUEILLIR LES INTÉRIMAIRES

Enquête | publié le : 29.04.2014 | VIRGINIE LEBLANC

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MIEUX ACCUEILLIR LES INTÉRIMAIRES

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

La situation d’éternels nouveaux embauchés des travailleurs intérimaires et les secteurs dans lesquels ils interviennent les exposent à un niveau de risque élevé pour leur santé et leur sécurité. De plus en plus d’agences d’emploi et d’entreprises utilisatrices prennent des initiatives pour améliorer leurs conditions d’accueil. Cela suppose notamment un meilleur dialogue entre elles afin que les risques encourus soient correctement identifiés.

« Les entreprises de travail temporaire ne connaissent pas nos métiers et ne nous envoient pas les bonnes personnes. » « Les entreprises utilisatrices ne se soucient guère de la santé des intérimaires, ils sont seulement une variable d’ajustement. » La partie de ping-pong aurait pu se jouer éternellement. Car la relation tripartite de l’intérim est particulière (lire l’encadré sur le partage des responsabilités, p. 22). Et, en cas d’accident, c’est l’agence d’emploi qui assume le coût des réparations, sauf s’il en résulte une incapacité permanente partielle supérieure à 10 % ou un décès. L’imputation est alors partagée : un tiers pour l’entreprise utilisatrice et deux tiers pour l’agence d’intérim. Une répartition peu incitative à la prévention pour les entreprises d’accueil.

Ces cinq dernières années, l’indice de fréquence des accidents du travail (AT) pour l’intérim a connu une baisse de 15 points. Il est passé de 70 en 2008 à 55 en 2012, et il a même chuté de 10 points entre 2008 et 2009. Mais « on ne peut jamais dire quel élément précis permet une telle baisse, commente Philippe Biélec, ingénieur-conseil à la direction risques professionnels de la Cnamts. Une des raisons est probablement liée à la crise, en particulier dans certains secteurs d’activité où l’on délègue beaucoup d’intérimaires : le bâtiment, la métallurgie, et dans une moindre mesure la logistique ».

Des actions conjointes

Mais la sinistralité n’en demeure pas moins toujours supérieure à la moyenne (plus de 20 points). Depuis quelques années, les entreprises de travail temporaire (ETT) et les entreprises utilisatrices ont donc entamé des actions conjointes pour faire progresser la santé et la sécurité des intérimaires. Ces derniers (3 % de l’emploi salarié en 2012, soit plus de 525 000 ETP), souvent jeunes, occupant des emplois d’ouvriers dans les secteurs les plus sinistrogènes (lire l’encadré sinistralité p. 22), ont deux fois plus de risques d’être exposés à des accidents, qui sont deux fois plus graves.

La prise de conscience des employeurs de leur responsabilité en matière de santé au travail et le plan national d’actions coordonnées de la Cnamts 2009-2012 ont stimulé les initiatives. De nombreux partenariats ont été noués, par exemple, entre Prism’emploi, syndicat professionnel, et les fédérations locales du BTP, auxquels s’associent l’OPPBTP et les services de santé au travail. L’un d’entre eux, en Bourgogne, a abouti au déploiement d’un test en ligne validant les prérequis des intérimaires intégrant les chantiers (lire p. 24), qui se voient délivrer une carte sécurité, valable un an. Une opération étendue dans trois autres régions.

Dans le même esprit, de nombreuses agences se sont dotées d’outils de mise en situation pour valider les compétences des intérimaires avant la délégation. Et elles tentent d’organiser le plus possible des visites de terrain afin de mieux connaître les conditions d’exercice du travail. Avec une difficulté majeure : la gestion des demandes en urgence et la durée des missions, en moyenne de deux semaines. « Mais, avec la saisonnalité de certaines activités et la connaissance de nos clients, nous pouvons anticiper des formations et des recrutements », avance Cyrille Bourasseau, responsable prévention sécurité d’Adecco.

Une phase de dialogue

Sur la plate-forme logistique de Clarins, près d’Amiens, les prises de poste des intérimaires sont anticipées (lire p. 25). Les agences reçoivent des fiches de poste précises. Les intérimaires sont informés des consignes de sécurité grâce au visionnage d’un diaporama de Clarins et reçoivent un livret d’accueil réalisé par l’ETT et le client.

La phase de dialogue en amont de la mission est une étape cruciale, mais elle n’est pas encore réalisée partout dans les meilleures conditions. « Dans la réalité, les entreprises utilisatrices ne nous fournissent pas souvent la liste des postes à risque pour lesquels elles sont censées dispenser aux intérimaires une formation renforcée à la sécurité. Peut-être faudrait-il revoir ce dispositif en le mettant en perspective avec l’évaluation des risques dans l’entreprise utilisatrice, qui devrait intégrer les risques auxquels sont exposés les intérimaires et les moyens de les prévenir », rapporte Dominique Delcourt, responsable juridique de Prism’emploi. Autre problème : « Près de 10 % des AT se sont produits à un poste qui n’était pas celui prévu au contrat de travail », rappelle Marc Duchet, ingénieur-conseil régional à la Carsat Bourgogne-Franche Comté.

Pour mieux formaliser le besoin et aider à la délégation en toute sécurité, les Carsat ont poussé à l’utilisation d’un document dénommé “fiche de liaison”(1), dans lequel doivent être inscrites par l’entreprise demandeuse toutes les caractéristiques de la mission : profil, durée, horaires, accueil et formation prévus, détail des tâches à accomplir, matériels utilisés, risques encourus au poste de travail et mesures de prévention, équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires, informations complémentaires s’il s’agit d’un poste à risque particulier, etc. Un document encore peu utilisé : « Il est presque un peu trop complet », commente Dominique Delcourt.

Convention de sécurité

« Dans la phase d’étude du poste et d’élaboration de la fiche de liaison, qui est la clé de la sécurité des salariés intérimaires, il nous faut préciser les éléments entre le travail prescrit et la réalité du travail effectué, relève Gérard Taponat, directeur des affaires sociales de ManpowerGroup France. C’est pour répondre, entre autres, à cette donnée fondamentale que nous avons décidé il y a deux ans de proposer, dans un premier temps à nos grands clients une option “Convention de sécurité”. Par là, le client décide avec nous de formaliser les conditions d’accueil précises de l’intérimaire et, a minima une fois par an, notre responsable commercial doit faire le point sur l’accidentologie avec lui. Nous sommes dans une phase de déploiement de l’approche par convention de sécurité, qui devrait se concrétiser avec quelques grands groupes prochainement. »

L’enjeu est de taille, car l’accueil sécurité est un des moyens les plus importants de prévention des accidents du travail, mais « certaines entreprises utilisatrices ne font pas de formation au poste de travail et n’accueillent pas autant qu’il le faudrait », regrette Dominique Delcourt.

Les cuisines Schmidt ont bien intégré cette étape en misant sur un parcours d’intégration, le premier jour, identique à celui d’un titulaire de CDI (lire p. 25). Idem chez Clarins, qui confie l’accueil à un référent, salarié volontaire. Chez Spie Ile-de-France Nord-Ouest (3 700 collaborateurs), Eddie Leroy, directeur QHSE de cette filiale du groupe Spie, rapporte qu’en 2010, « l’entreprise a souhaité rapprocher la prévention des permanents de celle des intérimaires. Les supports d’accueil ont été refondus pour en réaliser un seul commun à tous. De plus, les intérimaires participent aux causeries sécurité, signe qu’ils sont vraiment considérés comme des salariés comme les autres ». Mais sur le terrain, une inégalité de traitement est parfois visible : « Quand vous rentrez dans une entreprise, vous pouvez distinguer les intérimaires des permanents selon la nature de leurs équipements de protection individuelle », signale Pascale Mercieca, chargée de mission à l’Anact. Car, si les EPI sont fournis par l’entreprise utilisatrice, certains EPI personnalisés comme les casques et les chaussures de sécurité peuvent être fournis par les ETT. « Ces dernières ont plutôt tendance à gérer ces équipements à l’économie, constate Pascale Mercieca. D’une part parce qu’elles ne connaissent pas toujours précisément les futures conditions de travail, mais aussi pour des raisons de coût. » Et, quel que soit l’acheteur, la durée du contrat de l’intérimaire sera un critère économique déterminant dans le choix de l’EPI. Ce qui est certain, « c’est que plus une entreprise aura mis en place une organisation de la prévention pour ses salariés, plus les intérimaires bénéficieront de ces actions », remarque Dominique Delcourt.

Les permanents formés

Autre volet majeur et complémentaire, la meilleure formation des permanents. Pour favoriser son développement, un référentiel de compétences a été élaboré par la Cnamts et Prism’emploi (lire l’entretien p. 26). Au programme : les enjeux de la prévention, les bons réflexes de questionnement auprès des clients, savoir détailler la mission en tâches, obtenir les informations sur les risques liés et savoir quoi faire en cas d’accident, etc.

« Pour la troisième année, le programme de formation de nos permanents se déploie », affirme Jeanine Couval, responsable nationale QSE de Crit. Même si les agences se sont dotées de réseaux de préventeurs régionaux, ceux-ci ne peuvent porter à eux seuls les enjeux de la sécurité au quotidien. « Nous avons fait de la sécurité une priorité pour nos permanents, avec des animations leur rappelant leur rôle tout au long de l’année », assure également Alain Giraud, directeur général de Capsecur, filiale de Randstad spécialisée dans la santé et la sécurité au travail. Le 1er avril dernier, Adecco lançait une animation auprès de ses encadrants, afin de favoriser l’échange avec ses collaborateurs intérimaires sur leur poste et d’appréhender les différents postes de travail.

En outre, souligne Alain Giraud, « parce que prévenir, c’est d’abord comprendre, Randstad a fait passer en trois ans le nombre d’ analyses d’accidents générant un arrêt de 800 à 3 300. Lorsque des clients sont très accidentogènes, nous leur proposons des plans d’action. Il nous arrive même d’arrêter de travailler avec des entreprises utilisatrices non réceptives à nos messages sur la sécurité ». Même constat de Jeanine Couval : « Nous avons déjà renoncé à déléguer, mais cela laisse un goût amer car nous savons qu’elles auront recours à une autre agence, sans traiter le problème de la sécurité des intérimaires. »

La prévention ne serait pas complète sans bilan de mission, qui mesure ce que l’intérimaire a vécu. Une phase souvent passée à la trappe. « Les agences pourraient investir davantage le moment des fins de mission pour donner la parole aux intérimaires, remarque Pascale Mercieca, qui a participé à la rédaction d’une étude qualitative de l’Anact et de l’Anses(2). Il y a aujourd’hui un déficit sur la réalité de leurs conditions de travail. »

Un déficit que Jean-Paul Bussi, délégué national CGT de Randstad, voudrait bien combler, lui qui promeut un « cahier revendicatif » très détaillé de propositions pour l’amélioration des conditions de travail des intérimaires, élaboré par son syndicat. Parmi elles, créer des secteurs interdits à l’intérim, comme c’est le cas en Allemagne pour le BTP (gros œuvre) ; modifier la répartition du coût des AT ; permettre aux CHSCT de l’agence de pénétrer dans l’entreprise utilisatrice pour visiter les postes de travail… Cette dernière revendication étant également mise en avant par Béatrice Cluzel, déléguée syndicale centrale FO à Adecco.

Attention toutefois à ce que les ETT « ne se dédouanent pas trop facilement de leurs responsabilités, alerte Étienne Jacqueau, délégué syndical central CFTC de Manpower. Le fait que les heures supplémentaires explosent et que les délais de repos entre deux missions ne soient pas respectés est de la responsabilité des ETT ». En outre, il se dit « inquiet » de la négociation en cours sur la prévention santé-sécurité pour renouveler l’accord de 2002 de la branche : « Prism’emploi met à part les intérimaires et on élude l’organisation du travail », regrette-t-il.

1) Le site <www.ameli.fr> met à disposition la fiche de liaison et les guides de bonnes pratiques dédiés aux ETT et aux entreprises utilisatrices.

2) Comprendre les effets cumulatifs des risques pour des populations en situation de travail fragile, Anses-Anact, décembre 2011.

L’ESSENTIEL

1 Afin de mieux prévenir les risques professionnels auxquels peuvent être exposés les intérimaires, la phase amont de la mission est essentielle.

2 Formation des permanents des agences, établissement d’une fiche de liaison décrivant précisément le poste, tests auprès de travailleurs temporaires font partie des éléments à mettre en place.

3 L’analyse des causes des accidents doit également être privilégiée pour faire avancer la prévention.

Une sinistralité mécaniquement plus forte

Selon Philippe Biélec de la Cnamts, on peut expliquer la sinistralité élevée de l’intérim par plusieurs facteurs : les intérimaires sont une population plus jeune que la moyenne, et les jeunes ont davantage d’accidents. Ce sont majoritairement des hommes (73 %), et les hommes sont aussi davantage accidentés que les femmes. Enfin, il sont employés dans des secteurs d’activité plus “accidentogènes” et sur des postes d’ouvriers, plus exposés. « Tous ces éléments font que les intérimaires sont mécaniquement soumis à une sinistralité plus forte, mais qui est difficilement comparable à celle des salariés dans leur ensemble », souligne-t-il. Selon Prism’emploi, la part de l’industrie dans le nombre d’accidents du travail des intérimaires était de 47,1 % en 2012 (ce secteur représente 51,2 % du nombre d’heures travaillées), celle du BTP était de 21,4 % (pour 16,6 % de l’activité) et celle des transports et de l’entreposage de 13,3 % (pour 10 % de l’activité).

Un partage de responsabilités

→ Le salarié intérimaire a deux interlocuteurs dont il peut recevoir des consignes : l’agence d’emploi, qui est l’employeur, et l’entreprise utilisatrice pour laquelle il effectue sa mission.

→ L’entreprise de travail temporaire doit recruter une personne possédant la qualification et les compétences correspondant à celles que l’entreprise utilisatrice a définies, et vérifier l’aptitude médicale de l’intérimaire à occuper le poste. Elle doit être informée le plus tôt possible de toutes les modifications des tâches confiées au travailleur temporaire pouvant entraîner l’obligation d’assurer une formation appropriée au nouveau poste et nécessiter alors un nouveau contrat.

→ Pendant la durée de la mission, l’entreprise qui accueille l’intérimaire est responsable des conditions d’exécution du travail. C’est elle aussi qui doit assurer la formation à la sécurité et expliquer quels sont les risques au poste de travail.

→ Les postes dits à “risques particuliers” nécessitent une formation particulière de l’intérimaire, en complément de l’information générale à la sécurité. Ces postes sont par exemple ceux dont l’exécution nécessite une certaine qualification, comme la conduite d’engins, ceux exposant à des substances dangereuses, ou encore les postes exigeant une formation de par la réglementation. De plus, un arrêté du 8 octobre 1990 dresse une liste de postes interdits aux intérimaires, car jugés particulièrement dangereux.

→ La faute inexcusable peut être retenue contre un employeur pour manquement à l’obligation de formation des intérimaires. En cas d’accident du travail, il y a présomption de faute inexcusable de l’utilisateur s’il n’y a pas eu de formation renforcée à la sécurité sur un poste figurant sur la liste des postes à risques.

Pour en savoir plus : <www.inrs.fr>.

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC