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« La fonction RH doit repenser le management des ressources humaines »

Enjeux | publié le : 29.04.2014 | ROZENN LE SAINT

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« La fonction RH doit repenser le management des ressources humaines »

Crédit photo ROZENN LE SAINT

Les mutations des entreprises au fil des années ont fait évoluer les organisations et, du même coup, les contours de la fonction RH. La place du management, les exigences de performance collective, l’affaiblissement du syndicalisme et la légitimité des politiques RH chahutée par l’opinion publique obligent la fonction à se renouveler.

E & C : Pourquoi avoir écrit un livre* qui diagnostique la panne de la fonction RH ?

Bernard Galambaud : D’abord, de cet ouvrage, je n’en suis que le rédacteur. L’auteur est un groupe d’une vingtaine de professionnels des RH ayant également en commun, pour la quasi-totalité d’entre eux, d’être des anciens du mastère spécialisé d’ESCP Europe. Ensuite, il est vrai que nombre d’observateurs se sont accordés, ces dernières années, pour souligner combien la fonction a pu être à la peine. Alors, pour essayer de comprendre, ce groupe a confronté la lecture de son expérience à l’expertise de sociologues, d’économistes, de psychologues, de philosophes…

E & C : Quels sont les facteurs qui expliquent cette panne ?

B. G. : Au cours des années, les entreprises ont connu une cascade de mutations qui a conduit à des modifications profondes, à la fois du fonctionnement des organisations et de la réalité du travail de leurs collaborateurs. C’est maintenant à la profession RH de repenser véritablement le management des ressources humaines au sein de ces nouveaux écosystèmes producteurs de la nécessaire performance collective.

E & C : Pouvez-vous donner quelques exemples de ces mutations ?

B. G. : En matière de fonctionnement organisationnel, les mutations les plus emblématiques sont vraisemblablement la mondialisation des implantations et la quasi-généralisation des structures matricielles, comme le développement des structures “projets”, par exemple. Ceci conduit les salariés concernés à dépendre simultanément de plusieurs responsables. Aujourd’hui, des dirigeants parlent volontiers de “leadership partagé”. Quant au travail, on le conçoit davantage comme une mission à remplir que comme un poste. Or on ne peut pas dire que l’intégration de ces nouvelles réalités par le management des ressources humaines est généralisée.

E & C : Vous parlez de survalorisation managériale, est-ce là un facteur d’affaiblissement de la fonction RH ?

B. G. : La réponse est complexe. Un management des ressources humaines efficace semble avoir besoin d’une hiérarchie et d’une fonction RH fortes. En outre, la réalité hiérarchique est devenue également complexe. Avec le développement de la logique matricielle, la simplicité de ligne hiérarchique n’est plus de saison. Et, devant cette complexité, un discours de survalorisation de la fonction managériale s’est développé au sein même de la fonction RH. Il importe d’en interroger la signification et d’en questionner les conséquences.

E & C : En quoi la baisse de l’importance du syndicalisme dans l’entreprise a-t-elle des incidences sur le rôle des DRH ?

B. G. : Traditionnellement, la fonction RH a construit une part majeure de sa capacité d’action sur une alliance objective, bien entendu implicite, avec le fait syndical. Cette alliance objective, qui a parfois pu conduire à une sorte de cogestion sociale, a été rendue possible parce que les deux partenaires partageaient une conviction et une croyance. Ils se percevaient comme condamnés à vivre ensemble et croyaient dans les vertus du progrès économique et social. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai. En outre, le fait syndical a d’abord été un fait ouvrier. Et le monde ouvrier est en train de subir le sort que le monde des domestiques a subi en son temps. Il y a encore des ouvriers, mais existe-t-il encore une classe ouvrière ? Les bataillons syndicaux sont affaiblis et le progrès économique et social est une idée qui ne fait plus recette. Les capacités d’action de la fonction sont largement à reconstruire.

E & C : Qu’est-ce qui s’est substitué au pouvoir des syndicats ?

B. G. : Toute pratique RH, que ce soit le recrutement ou la rémunération, doit être légitime. Et, pendant longtemps, cette légitimité trouvait sa source en interne. Mais aujourd’hui, l’entreprise est culturellement ouverte. Et cette légitimité est largement accordée ou refusée par la cité, ses médias et son opinion publique. Si la presse dénonce telle pratique de rémunération ou de mobilité, cela peut avoir un impact considérable. La fonction RH doit s’emparer de cette nouvelle réalité dans laquelle s’inscrivent les politiques de responsabilité sociale de l’entreprise.

E & C : Comment les RH peuvent-ils favoriser l’engagement du salarié ?

B. G. : Cette question est centrale. On a de solides raisons de penser qu’au sein des entreprises, il y a une importante réserve d’engagement potentiel : de nombreux salariés pourraient contribuer plus fortement à la performance si tant de procédures et de pratiques managériales n’entravaient pas leur action. Or cette potentialité semble être prisonnière de modes organisationnels et de pratiques managériales. La fonction RH s’est toujours construite sur une promesse d’apports supplémentaires de performances à l’entreprise. Il y a là une vraie opportunité pour la fonction de renouveler cette promesse. Mais pour ce faire, encore faut-il qu’elle soit en capacité d’exercer une part majeure du leadership sur l’écosystème organisationnel et managérial.

Pendant longtemps, on a rémunéré le fait qu’un poste soit occupé. Mais cela n’a plus grand sens. Ensuite, on a voulu rémunérer à la compétence, le Conseil national du patronat français (CNPF) s’était lui-même engagé dans cette « gestion par les compétences ». À présent, on parle de rémunérer le talent, le leadership. Qu’est ce qu’un talent ? Le doigt de Dieu ? Et le leadership ? Une qualité tout aussi mystérieuse… Le chemin de la performance a également sa part de mystère. Les rémunérations sont largement individualisées alors que le travail demande de plus en plus de coopération. Or la coopération ne se développe pas de façon spontanée. Bref, tout cela doit être remis à plat !

E & C : Le dernier chapitre de votre livre porte sur les nouveaux enjeux. Il appelle un tome 2 ?

B. G. : Non. Ce groupe de professionnels a cherché à décrire et à comprendre le nouvel écosystème organisationnel et managérial. Mais ceci est insuffisant. La profession doit s’engager plus largement et aller plus loin, c’est du moins le vœu de ceux qui ont participé à l’ouvrage.

* Il a dirigé l’ouvrage Réinventer le management des ressources humaines (éditions Liaisons, avril 2014).

PARCOURS

• Bernard Galambaud est docteur en sociologie et professeur en gestion des ressources humaines. Il a créé et dirigé le mastère spécialisé en management des hommes et des organisations à l’ESCP Europe.

LECTURES

• Le Capitalisme cognitif, de Yann Moulier Boutang, Éditions Amsterdam, 2007.

• Trois leçons sur la société postindustrielle, de Daniel Cohen, Le Seuil, 2006.

• Les Désordres du travail, de Philippe Askenazy, Le Seuil, 2004.

• Le Travail sans qualités, de Richard Sennett, Albin Michel, 2000.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT