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Débats passionnels autour d’un salaire minimum pour les jeunes

Actualités | publié le : 29.04.2014 | SABINE GERMAIN

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Débats passionnels autour d’un salaire minimum pour les jeunes

Crédit photo SABINE GERMAIN

La question de la création d’un smic jeune soulève de nombreux débats, où les démonstrations économiques font face à des considérations politiques, sociales et affectives. L’effet d’un smic jeune sur le taux d’insertion n’est en tout cas toujours pas démontré, alors qu’existent déjà des rémunérations en deçà du salaire minimum pour ce public en France.

Le contrat d’insertion professionnelle en 1994, le contrat première embauche en 2006 : l’idée d’abaisser le niveau du salaire minimum pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes refait régulièrement surface. Elle a été réactivée par Pierre Gattaz : le président du Medef y voit une arme contre le chômage de masse, au motif qu’il vaut mieux « quelqu’un qui travaille dans une entreprise avec un salaire un peu moins élevé que le smic de façon temporaire et transitoire, plutôt que de le laisser au chômage ».

De la flexibilité pour combattre le chômage

La nouveauté, c’est que des experts plutôt classés à gauche la reprennent au vol. Libéré de la présidence de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy s’est ainsi penché sur le cas de la France, de ses forces et de ses faiblesses dans un livre (1) volontiers iconoclaste, où cet économiste tendance Jacques Delors s’amuse à briser quelques totems de la gauche française. À commencer par le salaire minimum : « Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie de mes camarades socialistes, mais je pense qu’à ce niveau de chômage, il faut aller vers davantage de flexibilité et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au smic », a-t-il déclaré au Monde. Parce qu’« un petit boulot, c’est toujours mieux que pas de boulot du tout ».

De quoi faire émerger les propositions formulées un mois plus tôt par trois économistes eux aussi classés plutôt à gauche : dans Changer le monde, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Élie Cohen plaident pour « une réforme ambitieuse du smic » pouvant aller de sa désindexation sur l’inflation jusqu’à l’instauration d’un salaire minimum dont le montant varierait en fonction de l’âge du salarié et/ou de sa région.

Conscient du caractère passionnel du débat, Gilbert Cette insiste sur la notion de mobilité sociale, à laquelle un salaire minimal trop élevé constituerait un frein : « Il faut arrêter de se focaliser sur le seul niveau du salaire minimum en refusant de voir que de trop nombreux salariés restent au smic toute leur vie, sans aucune perspective de mobilité salariale, explique-t-il. Mieux vaudrait leur ouvrir de nouvelles perspectives en donnant son vrai rôle à la formation professionnelle. »

Il appuie sa démonstration sur deux exemples européens : les Pays-Bas, où l’instauration d’un smic jeunes a accéléré leur insertion professionnelle (lire ci-contre), et la Grande-Bretagne, où les effets de ce dispositif ont été moins spectaculaires, mais néanmoins réels. « Cela ne suffit pas à conclure à la pertinence du smic jeune, admet Gilbert Cette. Mais on devrait pouvoir y réfléchir sereinement, sur la base d’une étude solide, argumentée et, surtout, sans a priori, en s’intéressant réellement à l’emploi et à l’insertion professionnelle. »

Une étude qui risque d’être difficile à mener tant les réactions à ces propositions ont été virulentes. Passons sur Laurence Parisot, qui règle ses comptes avec son successeur en le traitant d’« esclavagiste ».

Réactions véhémentes

Les réactions de la classe politique et des confédérations syndicales sont tout aussi véhémentes, mais avec des arguments plus affectifs que factuels : François Bayrou (Modem) parle de « manque de respect », Jean-Claude Mailly (FO) d’indécence, Laurent Berger regrette que « les mauvaises idées ne soient jamais transitoires ». Quant aux jeunes, ils se défoulent sur Twitter autour du hashtag “MicroSMIC”.

Directeur adjoint au département d’analyse et de prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Éric Heyer préfère se replacer sur le terrain de l’économie en rappelant que, si le chômage a augmenté, « c’est à cause de la crise », et pas à cause du smic, « dont le niveau se situe toujours aux environs de 60 % du salaire médian, comme en 2008, quand le taux de chômage ne dépassait pas 6,8 % ».

3 % de salariés sous le smic

De plus, les « microsmic » existent déjà largement : entre l’apprentissage, les stages ou le service civique, « près de 3 % des salariés à temps plein du secteur privé sont payés au-dessous du smic », estime Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS.

Gilbert Cette reste pourtant convaincu que les jeunes pâtissent actuellement de discriminations bien plus importantes qu’un éventuel salaire minimum abaissé : « Le fait qu’ils n’aient pas accès au RSA socle est une discrimination régulièrement dénoncée par le Conseil de l’Europe, et qui a bien plus d’impact sur leur niveau de pauvreté. » De quoi relancer le débat ?

1) Quand la France s’éveillera, Pascal Lamy, éditions Odile Jacob, mars 2014.

2) Changer de modèle, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Élie Cohen, éditions Odile Jacob, avril 2014.

Auteur

  • SABINE GERMAIN