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« Cette réforme nous achemine vers l’hyper-complexité »

Enquête | publié le : 22.04.2014 | L. G.

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« Cette réforme nous achemine vers l’hyper-complexité »

Crédit photo L. G.

E & C : Comment les entreprises que vous conseillez envisagent-elles de gérer leur 0,2 % CPF ?

D. C. : Nos principaux clients et prospects sont plutôt des grandes entreprises de main-d’œuvre. Leur stratégie va être d’internaliser le CPF en concluant des accords d’entreprise. Elles y ont tout intérêt, car le 0,2 % mutualisé ne permettra pas de financer toutes les formations, notamment sur le socle de compétences. Tout comme pour les plans seniors de 2010, les contrôles administratifs ne seront pas possibles dans toutes les entreprises de France. L’État “gendarme” ne peut pas tout faire, et il serait préférable d’accompagner les entreprises dans le développement de leur formation – en baissant les charges de celles qui forment beaucoup et bien – plutôt que de les menacer de sanctions.

E & C : Que penser du processus de cheminement du CPF, du point de vue du salarié ?

D. C. : Suivons ce processus. Pour que le travailleur se forme à son initiative en 2015, via le CPF, il lui faudra : disposer de codes confidentiels permettant de connaître le solde de son compteur ainsi que le contenu de son passeport formation; disposer de la liste des formations qualifiantes qui lui seront accessibles, car une formation qualifiante pour l’un pourra ne pas l’être pour l’autre; savoir si la qualification visée sera reconnue par l’employeur ou la branche professionnelle ; savoir qui contractualisera et sous quels délais avec l’organisme de formation pressenti ; connaître les modalités de réalisation des formations, les dates et les places disponibles, les tarifs pratiqués ainsi que la somme dont il disposera pour se former ; savoir qui réglera le prix de sa formation, ainsi que son salaire pendant la formation; savoir si son employeur, la région, le FPSPP, l’Opca de l’employeur pourront abonder sa formation avec des sommes complémentaires ; savoir si la formation sera réalisée sur ou hors temps de travail, avec ou sans l’accord de son employeur, etc. Bref, le CPF et ses formations éligibles forment un tuyau de plus dans l’usine à gaz formation.

E & C : Le CPF est censé permettre dès 2015 à plus d’un million de travailleurs de se former. Pensez-vous que le système en construction n’est pas apte à le faire ?

D. C. : La formation qui était “imputable” jusqu’en 2014 va devenir “éligible” à partir de 2015. Le Medef aura, au passage, adroitement transféré vers le travailleur la charge de monter un dossier formation. Pour un milliard, il donne le bébé à l’État et aux salariés, alors que le DIF aurait fini par lui coûter beaucoup plus cher.

L’individualisation était une belle idée, mais elle aurait dû être accompagnée d’une complète simplification des règles et des procédures pour partir en formation. Malheureusement, l’État semble bien incapable de lâcher la bride. Et ce qu’il accorde d’un côté – la formation sans l’accord de l’employeur et cessant d’être un impôt –, il le reprend aussitôt en exigeant une introuvable et complexe éligibilité à une formation qualifiante.

L’imputabilité était un problème d’employeur, l’éligibilité va devenir un casse-tête pour le salarié. Jadis, les PME-TPE étaient écartées de la formation pour cause de complexité et de manque de lisibilité de l’offre. Désormais, c’est une majorité de salariés, toutes tailles d’entreprises confondues, qui pourraient être écartés de la formation. La “mal-formation” touchait principalement les petites structures, elle va s’étendre et se généraliser. Cette réforme nous achemine vers l’hyper-complexité.

E & C : Le conseiller en évolution professionnelle peut-il résoudre ces problèmes d’accès et d’information ?

D. C. : La validation du projet de formation ne passera donc plus par l’employeur, ou formellement via un entretien professionnel obligatoire tous les deux ans, mais via des institutions régionales censées mailler le territoire pour recevoir et conseiller potentiellement les 28,5 millions d’actifs.

Dès 2015, il faudra donc que des milliers de conseillers en évolution professionnelle soient formés et connaissent parfaitement l’environnement social et professionnel des salariés, les activités et la GPEC de l’entreprise, l’évolution des métiers, le marché mouvant de la formation, les certifications et qualifications et les possibilités – et limites – de financement du CPF, sans connaître le solde des heures CPF du salarié, puisque ce sera confidentiel !

« Le CPF, simple pour les salariés, simple pour les entreprises », disait Michel Sapin le 22 janvier 2014. Que se passera-t-il le 1er janvier 2015 si ce choc de simplicité n’est pas au rendez-vous ? Comment et sur quels budgets les 22 % d’adultes en grande difficulté éducative se formeront-ils ? Un milliard d’euros, cela fait une moyenne de 1 000 euros par personne pour des formations longues de 100 ou 200 heures, le compte n’y est pas. Le DIF était peu utilisé du fait des réticences des employeurs, le CPF a toutes les chances de rester confidentiel, réservé aux seuls initiés.

Auteur

  • L. G.