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« L’aide aux aidants s’inscrit parfaitement dans la démarche RSE de l’entreprise »

Enjeux | publié le : 22.04.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« L’aide aux aidants s’inscrit parfaitement dans la démarche RSE de l’entreprise »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Plus de 4 millions de salariés soutiennent des personnes fragilisées par l’âge, le handicap ou la maladie. L’entreprise reste cependant peu au fait du problème, malgré quelques initiatives louables pour aider les aidants. Un travail de sensibilisation reste à faire auprès de tous les acteurs.

E & C : De plus en plus d’actifs sont aujourd’hui amenés à aider un proche fragilisé. Quelle est l’importance de ce phénomène de société ?

Serge Guérin : En plus des professionnels, on estime que 8,5 millions d’individus soutiennent régulièrement et très concrètement des personnes âgées, handicapées ou malades en très fort déficit d’autonomie. Si l’on étendait ce chiffre aux personnes aidant des proches souffrant d’addictions ou de détresse psychologique, on serait certainement plus près de 10 millions de personnes. Par ailleurs, 46 % de ces aidants exercent une activité professionnelle, ce qui porte à plus de 4 millions le nombre de salariés concernés. Cette réalité a toujours existé, mais l’évolution des liens familiaux, le recul des capacités d’intervention de l’État social, l’allongement de la durée de vie et de la durée d’activité ainsi que l’augmentation des maladies chroniques invalidantes changent la donne. Ainsi, 20 % des salariés de plus de 40 ans aident une personne âgée et deux tiers des Français déclarent s’occuper ou s’être occupés d’un proche malade. La question des aidants est tout sauf marginale. Leur implication dans l’accompagnement des plus fragiles les situe au “cœur du care”, et prouve, s’il en est, l’importance de la mobilisation des personnes, de la société civile et des entreprises pour produire de la solidarité. Si les aidants de proches étaient rétribués, ce serait au moins 164 milliards d’euros par an qu’il faudrait mobiliser. Je rappelle que le budget total de la santé est de 240 milliards d’euros !

E & C : Dans quelle mesure cette situation influe-t-elle sur l’entreprise ?

S. G. : Un salarié aidant est un collaborateur qui peut multiplier les absences et se révéler fortement perturbé par des enjeux personnels lourds. Selon le Panel national des aidants familiaux BVA-Fondation Novartis publié en 2010, un salarié aidant est absent seize jours par an en moyenne. Cela représente pour l’entreprise un risque de perte de compétitivité et de relâchement de la cohésion des équipes. Par ailleurs, trop d’écart entre la posture de l’entreprise par rapport aux valeurs qu’elle revendique et la manière dont elle aborde le sujet impacte négativement son image tant en interne qu’en externe. Rappelons que le problème est aujourd’hui à ce point occulté que, souvent, le salarié aidant n’ose pas faire part de ses soucis personnels dans l’entreprise, voire que celle-ci n’est tout simplement pas prête à entendre qu’il puisse en avoir.

E & C : Comment inclure l’aide aux aidants dans la politique RH de l’entreprise ?

S. G. : Face aux aidants, ma position est la même que par rapport au vieillissement de la population. Plutôt que de ne voir que des problèmes, je mets en avant l’opportunité qu’ils peuvent représenter pour la société et l’entreprise. Le vieillissement à travers une offre pertinente de biens et de services adaptée aux personnes âgées peut se révéler un remarquable levier économique. De même, la question des aidants peut être l’occasion pour l’entreprise de réfléchir à son organisation et à ses valeurs au bénéfice de tous. La prise de conscience des contraintes s’imposant aux aidants peut favoriser une réorganisation intelligente du fonctionnement : horaires, opportunité et durée des réunions, flexibilité, polyvalence… La bienveillance, si elle est a priori difficile, peut s’avérer a posteriori un facteur de cohésion et de fidélisation des salariés. Il faut également souligner que le salarié au cours de sa pratique d’aidant apprend beaucoup, sur lui-même et sur les autres. Ce sont des compétences fortes en termes de savoir-être, qui peuvent ensuite être mises au service de l’entreprise ou, en tout cas, reconnues par elle. Enfin, l’aide aux aidants s’inscrit parfaitement dans la démarche RSE de l’entreprise.

E & C : Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?

S. G. : Trop peu d’organisations sont encore mobilisées sur ce sujet, mais quelques exemples intéressants ouvrent la voie. Novartis, par exemple, offre la possibilité à ses salariés de convertir leur treizième mois en jours de congés. Casino a encouragé le don anonyme de jours de RTT. Dans ces deux cas, l’entreprise abonde les jours libérés. Notons que, suite à l’initiative de salariés de Badoit qui avaient donné des jours de RTT à un de leur collègue dont l’enfant était malade, une loi sur le don de RTT avait été votée en première lecture en janvier 2012. Bel exemple d’empowerment !

Malheureusement, la situation législative n’a pas avancé, et la loi n’a toujours pas franchi les portes du Sénat. Les entreprises Bayard et Danone, pour leur part, ont investi au capital de Respons’Age, qui propose aux entreprises de s’abonner pour permettre aux salariés l’accès à une plateforme de services, de conseils et de renseignements pratiques et personnalisés accessibles par le Net et téléphone. Le salarié peut y trouver des informations sur les conditions d’hébergement, les aides sociales, les dispositions législatives, etc. Au-delà de la multiplication des initiatives locales, sans doute faudrait-il envisager un cadre plus structurant pour favoriser l’aide aux aidants dans toutes les entreprises, et notamment les plus petites, qui peuvent difficilement libérer du temps pour leurs salariés.

E & C : Comment sensibiliser les managers à la question des aidants ?

S. G. : Il est essentiel de rappeler aux managers que tous les salariés peuvent un jour ou l’autre être amenés à devenir des aidants. C’est à eux d’assurer la cohésion des équipes en organisant le travail pour que tous, aidants y compris, se sentent reconnus. Les managers doivent aussi apprendre à préparer le retour du salarié s’il a dû quitter l’entreprise pour accompagner un proche. Crédit Agricole Assurances a ainsi intégré la capacité à repérer et accompagner les salariés aidants dans ses évaluations du management. Le rôle des RH est ici essentiel. Il s’agit de faire connaître les dispositifs législatifs existants, par exemple la possibilité pour le salarié aidant de prendre un congé, ou encore, la possibilité de conserver ses droits à la retraite quand on quitte l’entreprise pour accompagner un proche. C’est aussi aux RH de rappeler que les valeurs de solidarité ne peuvent qu’être utiles au climat dans l’entreprise et à la performance globale. Mais il est clair qu’il faut également sensibiliser les médecins, les infirmiers du travail, les assistantes sociales, qui sont les interlocuteurs légitimes d’un salarié aidant, sans oublier les délégués syndicaux aujourd’hui peu mobilisés sur cet enjeu. Sans tomber dans le moralisme ni l’assistanat, l’accompagnement des personnes fragilisées est l’affaire de tous.

PARCOURS

• Serge Guérin est professeur à l’ESG Management School. Il enseigne également dans le master politiques gérontologiques de Sciences Po Paris. Il est chercheur associé au centre Edgar-Morin (EHESS). Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles, dont La Solidarité ça existe… et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et La Nouvelle Société des seniors (Michalon, 2011).

• Il sera l’animateur scientifique d’un colloque organisé par l’Anvie autour du thème des salariés aidants, à Paris, le 20 mai. <www.anvie.fr>

LECTURES

• Edmond Maire. Une histoire de la CFDT, Jean-Michel Helvig, Seuil, 2013.

• Axel Honneth. Le Droit de la reconnaissance, Louis Carré, Michalon, 2013.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX