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LE DIGITAL REBAT LES CARTES

Enquête | publié le : 15.04.2014 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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LE DIGITAL REBAT LES CARTES

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Au-delà de la course à la performance technologique dans laquelle sont engagés les éditeurs de logiciels – avec, notamment, les promesses du big data –, les entreprises doivent surtout s’adapter à la présence massive des actifs sur les médias sociaux et à leurs usages nomades. Aller à leur rencontre, les séduire, les faire entrer dans l’écosystème avant de les intégrer pour de bon : il s’agit désormais de peaufiner « l’expérience candidat ». Tout un art…

Le recrutement n’est plus ce qu’il était. Mais la profusion des outils mis à la disposition des professionnels de la fonction n’est que la partie visible de la mutation qui est en train de s’opérer. Touchant au cœur même du métier, celle-ci modifie radicalement la relation entre l’entreprise et ses futurs collaborateurs.

Du côté du back-office, les éditeurs de solutions de gestion des talents (Lumesse, TalentSoft, SAP-SuccessFactors, Oracle-Taleo, Technomedia, Cornerstone OnDemand…) ne cessent d’intégrer des fonctionnalités innovantes à une offre qui se veut la plus complète possible. Beaucoup concernent le processus de recrutement, avec à la clé une efficacité croissante.

Dans cette palette d’applications figurent désormais, outre la classique multidiffusion des offres d’emploi, des tests en ligne, des entretiens vidéo, la vérification de CV, des tableaux de bord toujours plus sophistiqués, des applications mobiles de gestion des candidatures ou encore des workflows améliorés. S’y greffent, à présent, les technologies du big data, comme chez Infor, qui a récemment annoncé l’acquisition de PeopleAnswers, éditeur spécialisé dans l’analyse des comportements. De fait, l’agrégation et le traitement analytique des énormes volumes de données disponibles dans et à l’extérieur des entreprises sur les candidats apparaît aujourd’hui bel et bien comme le nouvel Eldorado des DRH (lire p. 22).

Du premier contact à l’intégration

Au-delà de cette course à la performance, une nouvelle notion tend à s’imposer dans le petit monde du recrutement : « l’expérience candidat ». Tout un programme sur lequel se penchent sérieusement les employeurs confrontés à un fort turnover ou en quête de profils difficiles à dénicher. À l’instar de Deloitte, qui a prolongé son approche multicanal (lire Entreprise & Carrières n° 1152) par l’ouverture, en 2012, d’un espace physique entièrement consacré au recrutement : le “136”, situé à Neuilly-sur-Seine. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Pour Jean-Christophe Anna, directeur associé chez Link Humans (spécialisé dans le recrutement mobile et social), « il s’agit de ce que le candidat vit à travers les différents points de contact qu’il peut avoir avec l’entreprise, depuis le moment où il s’informe sur elle jusqu’à son intégration ». Par quel biais peut-il trouver l’entreprise sur le Net ? Quels types d’informations va-t-il collecter ? Peut-il entrer en contact avec des opérationnels ? Peut-il postuler facilement ? Quels sont les délais de réponse ? Quel accueil va-t-on lui faire lors du premier entretien ? Etc. « L’expérience candidat est multiforme », résume Jean-Christophe Anna, rappelant que les marques commerciale et employeur sont étroitement liées. « On est “fan de” Coca Cola, d’Apple. Si on est déçu en tant que candidat, on peut se détourner de la marque en tant que client. » Or, jusqu’ici, nombre d’entreprises ont surtout accru leur visibilité digitale en travaillant leur “marque employeur” avec plus ou moins de bonheur, laisse entendre Didier Pitelet, Pdg d’On The Moon (conseil en réputation employeur) et à l’origine du concept (lire l’interview p. 26). Mais en permettant une communication directe entre employeurs, salariés et candidats, les médias sociaux changent profondément la donne.

Un bénéfice difficile à évaluer

Ces outils sont-ils réellement efficaces pour recruter ? Au sens strict du terme, les différentes études menées jusqu’ici ne sont guère probantes. Selon celle réalisée à l’automne dernier par Harris Interactive pour Viadeo et l’Association des agences conseil en communication pour l’emploi (ACCE), 26 % des recruteurs interrogés sont inscrits sur les réseaux sociaux professionnels, 21 % les utilisent, mais seuls 8 % embauchent par ce biais.

« Il est difficile d’évaluer tout le bénéfice d’un réseau social. Ce n’est pas un canal isolé des autres de manière étanche, et il peut apporter une aide au candidat, quelle que soit l’origine de l’offre d’emploi », commente Olivier Fécherolle, directeur général stratégie et développement de Viadeo (qui revendique 8 millions de membres en France). Reste que, toujours selon cette étude, ces plates-formes sont perçues, tant par les actifs que par les recruteurs, comme un levier incontournable pour la recherche d’emploi.

Signe des temps : en dépit d’une forte résistance au changement de la fonction RH, les formations sur le sujet font le plein. « Le module Recrutement et ressources humaines 2.0 est l’un de nos best-sellers », affirme Franck Perrier, le fondateur et directeur général de l’agence conseil Idaos et de la Digital Academy. Pour lui, « la stratégie des entreprises est aujourd’hui de faire entrer des candidats potentiels dans leur écosystème bien en amont de leur éventuelle disponibilité ». En animant des communautés virtuelles sur lesquelles viendront se greffer tous les intéressés que l’on encouragera à s’exprimer. Ce qui permettra de jauger leur capacité d’échange, d’adaptation, leur créativité. Bref, les fameuses soft skills, censées faire toute la différence dans le recrutement.

Un point de contact

Du coup, l’offre d’emploi, qui avait jusqu’ici un rôle central dans un processus “en tunnel”, depuis l’expression du besoin et la description de poste jusqu’à l’embauche, est vouée à « changer de place, pour devenir un point de contact auprès d’une communauté de candidats déjà créée », annonce Olivier Fécherolle.

C’est le chemin qu’emprunte CGI, qui a cette année un objectif de 1 200 recrutements en France, dont 60 % de jeunes diplômés.

En 2012, toute l’équipe de recrutement de l’entreprise de services en technologies de l’information a été formée au marketing RH et au sourcing sur les outils numériques. « Le push d’annonces tel que le pratiquent les job boards est en décalage avec les attentes des candidats, estime Didier Baichère, vice-président RH France Luxembourg, Maroc de CGI. Nous sommes passés d’une position attentiste de réception de CV à l’animation de communautés pour mettre en valeur tout ce qui nous différencie en développant une relation directe avec les internautes. »

Si l’on en croit les chiffres avancés par le DRH, les résultats sont au rendez-vous : « En 2013, Facebook et Twitter sont à l’origine de 5 % de nos recrutements, soit une progression de 4 points par rapport à 2011. Et 15 % des embauches ont LinkedIn et Viadeo pour premier point de contact. » Du coup, les médias sociaux et les job boards sont désormais au même niveau (60 % du recrutement étant réalisé par sourcing interne : stagiaires, apprentis, cooptation).

Autre partisan convaincu, le distributeur automobile Aramisauto.com a également révisé ses méthodes en internalisant le sourcing, qui s’effectue désormais quasi exclusivement sur les réseaux sociaux (lire p. 23).

Un changement de métier ? Pour Jean-Christophe Anna, de Link Humans (qui dispense aussi des formations sur le sujet), le « recruteur digital » doit certes développer certaines compétences techniques (lire l’encadré ci-contre), mais il lui faut surtout « adopter une posture de chasseur. C’est toute une mécanique, mais c’est d’abord un état esprit », insiste-t-il.

Dans la phase centrale de l’embauche, une autre révolution est en marche : celle liée aux usages nomades des actifs, que les employeurs ne peuvent plus ignorer. « Depuis trois mois, nous permettons aux candidats de postuler directement aux offres depuis leur mobile. Cela représente déjà 15 % du total des candidatures issues de Viadeo », appuie Olivier Fécherolle. Nul doute qu’« une expérience candidat positive se jouera aussi sur la possibilité de candidater depuis un smartphone », considère Jean-Christophe Anna. Jonas Desdevises, directeur commercial France de l’éditeur Lumesse (solutions de gestion des talents), enfonce le clou : « Ce n’est plus un gadget, mais un élément clé du recrutement. »

Les entreprises doivent-elles dès lors s’équiper d’un site “carrières” mobile, qu’il soit ou non en responsive design (dont le contenu s’adapte à tous les écrans) ou bien d’une application mobile de recrutement comme celle du Crédit agricole (lire p. 24) ? Les deux sont nécessaires, répond Antoine David, directeur général d’ADNetwork (technologies et stratégies mobiles) : « Il faut, de toute façon, être visible depuis les smartphones, et un site web mobile ne coûte plus très cher. » La fourchette oscillerait, selon lui, entre 5 000 et 50 000 euros, selon la nature du site. « Mais, poursuit-il, l’application mobile – qui est plus complexe car elle doit être développée pour les différents systèmes d’exploitation (iOS, Androïd…) – va permettre d’utiliser toutes les capacités du smartphone pour communiquer directement et régulièrement avec un vivier de candidats. »

Pas de perte de temps

Enfin, l’expérience candidat ne serait pas complète sans une intégration réussie. Or, ce processus laisse encore souvent à désirer. Rien de plus désastreux pour une nouvelle recrue que de débarquer le jour J comme un cheveu sur la soupe, après deux ou trois mois d’attente. D’où l’intérêt des solutions d’onboarding. L’idée est d’« assurer la continuité des processus en mettant à profit le passage à vide entre la signature du contrat de travail et l’entrée dans la société, pour informer, voire former les nouvelles recrues », explique Jonas Desdevises, de Lumesse (dont la suite de gestion des talents s’est récemment enrichie d’un outil de gestion de l’embauche).

Il s’agit aussi d’éviter, par un pilotage automatisé des tâches et des formalités administratives, que le collaborateur ne passe sa première journée à chercher un téléphone ou à remplir de la paperasse. Hispano Suiza (Safran) a pris le sujet à bras-le-corps, en professionnalisant son processus avec la solution Redcarpet de Silkroad, qui donne aux nouveaux entrants l’accès à un portail spécifique jusqu’à la fin de leur période d’essai. Ce qui se passe ensuite est une autre histoire…

L’ESSENTIEL

1 Les solutions de recrutement s’étoffent de nouvelles fonctionnalités permettant aux DRH de gagner en efficacité. Et le big data ouvre des perspectives.

2 Dans le même temps, les réseaux sociaux s’affirment comme des outils de recrutement à part entière. Mais leur utilisation nécessite une remise à plat des méthodes et l’acquisition de nouvelles compétences.

3 Les entreprises doivent maintenant prendre en compte les usages mobiles des candidats et veiller à soigner l’intégration des nouvelles recrues.

Des “chasseurs-éleveurs” aguerris

Pour Jean-Christophe Anna, directeur associé chez Link Humans, le recruteur digital a un profil soigné. Il gère son personal branding, entendez sa marque personnelle, sa visibilité sur les médias sociaux et les met au service de l’employeur pour séduire les candidats.

« Il a une parfaite maîtrise du sourcing et des outils de tracking, notamment les opérateurs booléens qui permettent d’effectuer des recherches sur Google et les réseaux sociaux. » Mais cela ne suffit pas. « Il est malin, poursuit-il. Il repère les meilleurs groupes de discussion sur tel ou tel sujet et maîtrise les synonymes métier. » Il reste d’ailleurs en veille sur tout son écosystème. Et, bien sûr, « il est aussi “éleveur”, puisqu’il fait de l’animation de communautés et partage du contenu avec de potentiels candidats pour se constituer un vivier ». Certains ont un blog, sont actifs sur Twitter, etc.

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT