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« Les DRH doivent s’impliquer dans la prise de poste des nouveaux managers »

Enjeux | publié le : 15.04.2014 | ÉRIC DELON

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« Les DRH doivent s’impliquer dans la prise de poste des nouveaux managers »

Crédit photo ÉRIC DELON

L’accession à un poste d’encadrement relève souvent du parcours du combattant tant les intéressés sont peu préparés. Des outils RH tels que le bilan de compétences ou le parcours spécifique d’intégration leur permettraient une meilleure prise de poste et éviteraient la survenue de risques psychosociaux.

E & C : En quoi les premiers mois de prise de fonction des managers représentent-ils un enjeu RH significatif ?

Céline Desmarais : Les organisations oublient trop souvent que le management est un travail comme un autre et non “un travail en plus d’un autre”. Dans une étude réalisée pour la CFE-CGC, j’ai observé les dix premiers mois de prise de fonction de nouveaux managers. Mon objectif consistait à observer la manière dont ces derniers construisaient ce nouveau rôle tout en examinant les conditions pouvant faciliter ces prises de fonction.

E & C : Pourquoi ces prises de poste sont-elles difficiles à gérer ?

C. D. : Les nominations aux postes de management représentent un moment délicat dans la carrière d’un salarié. Les DRH ont tendance à appréhender les compétences managériales de leurs futurs cadres autour de savoir-être généraux liés à leur personnalité. Or un grand nombre de recherches ont démontré que le lien entre la personnalité et l’évolution hiérarchique était faible. Il est courant de nommer aux fonctions managériales de bons experts, qui ont fait leurs preuves dans leur métier et que l’on considère comme positifs et engagés. Mais ces éléments ne sont nullement prédictifs de la réussite aux fonctions managériales. L’universitaire Linda Hill (2003) a observé par ailleurs que les nouveaux managers abordaient systématiquement leur nouveau poste avec une représentation simplifiée et biaisée de la fonction managériale.

E & C : Vous affirmez que les rôles du management sont peu prescrits et donc peu visibles par les subordonnés. Que voulez-vous dire ?

C. D. : Les rôles du management sont peu clairs dans l’esprit des membres d’une organisation. Pour bien manager, il suffirait de posséder une conscience claire des objectifs de son service, de les partager avec ses subordonnés, d’accompagner ces derniers… En réalité, le management renvoie à des processus complexes qui concernent non seulement le manager et ses subordonnés mais également un ensemble diversifié de parties prenantes – ligne hiérarchique, autres services, clients, fournisseurs, etc. Ces dernières manifestent généralement des attentes diversifiées – voire contradictoires – vis-à-vis du service et des activités du manager. La ligne hiérarchique attend du manager, par exemple, qu’il transmette les règles de l’organisation et qu’il les fasse appliquer, tandis que les subordonnés sont en recherche d’adaptation aux spécificités de leurs services. Le nouveau manager est, en quelque sorte, enserré dans un ensemble de prescriptions contradictoires. Son rôle essentiel consiste à mettre en cohérence ces prescriptions en donnant du sens et en négociant avec ses parties prenantes. Or, avant d’accepter un poste de manager, un salarié en possède une représentation tronquée, centrée sur ses relations passées avec ses propres managers. Il est fréquent que les nouveaux managers accèdent à cette fonction avec l’envie d’être de meilleurs managers, plus à l’écoute, plus clairs… que les managers qu’ils ont connus. Le problème est qu’ils ne possèdent qu’une petite partie du système de représentation de ce qui constitue cette fonction. Lors de leur prise de poste, ils vont devoir réajuster ces représentations et intégrer un ensemble de données et d’attentes qu’ils n’envisageaient pas initialement.

E & C : À quels risques les nouveaux managers sont-ils confrontés lors de leur prise de fonction ?

C. D. : La transition d’un poste d’expert vers celui de manager représente une période de bouleversement important pour l’intéressé, qui doit se forger une nouvelle identité professionnelle. Il peut ressentir ne pas avoir changé, alors que le regard sur lui des autres membres de l’organisation est réajusté du fait de sa nouvelle position. Cette situation est parfois vécue douloureusement et peut être génératrice de stress. Les nouveaux managers peuvent être contestés par leurs anciens pairs qui testent ainsi leur légitimité. Ils doivent réajuster les représentations qu’ils ont de la nature de leur activité, de son environnement, de leurs relations professionnelles et enfin d’eux-mêmes. Le nouveau manager doit, en outre, dans certains cas, assimiler la dimension “métier” de son poste, lorsqu’il est issu d’une autre filière professionnelle. Il se retrouve alors confronté à un double apprentissage.

E & C : Comment faciliter la transition et quel rôle la DRH doit-elle jouer ?

C. D. : Les organisations doivent s’efforcer de mieux comprendre la réalité et le contenu des fonctions managériales, afin d’améliorer les processus de recrutement ou de construire des parcours de formation plus spécifiques et moins déceptifs. Elles doivent évaluer soigneusement les attentes, les motivations et compétences des personnes désireuses d’entrer dans ces fonctions, à travers des outils comme le bilan de compétences ou le parcours de progression. Trop souvent, ces nominations sont mises en œuvre rapidement, sans véritable préparation et sans que la DRH puisse se faire entendre. En lien avec la hiérarchie, la DRH doit rappeler que le nouveau manager n’est pas un “super-héros”, qu’il ou elle doit pouvoir intégrer sa fonction dans un contexte apaisé, en tenant compte d’une certaine progressivité dans la prise de poste.

La légitimité d’un nouveau manager est rarement acquise a priori, surtout lorsqu’il est nommé dans la même organisation, voire dans le même service. À l’inverse, l’un des managers que nous avons interrogés s’est trouvé nommé à la tête d’un service dont il ne connaissait pas le métier. Lors de sa première journée, après une prise de fonction particulièrement rapide, il a été sans préavis invité par son supérieur hiérarchique à expliquer à ses futurs collaborateurs quel était son projet pour ce service !

Les organisations doivent veiller à ritualiser davantage le passage aux fonctions d’encadrement. Ces rites peuvent être organisés à travers la formation, le parcours d’intégration. Lors de ces nominations, les démarches de communication doivent être soignées. Les organisations devraient davantage reconnaître que ces prises de fonctions représentent des situations de risques psychosociaux qui supposent un accompagnement spécifique. Il pourrait être pertinent, par exemple, de former les futurs n + 1 à l’accompagnement des nouveaux managers et de formaliser des rencontres entre nouveaux managers et un membre de la DRH, autour des difficultés susceptibles d’être rencontrées auprès de leurs subordonnés.

PARCOURS

• Céline Desmarais est maître de conférences à l’université de Savoie. Elle sera bientôt nommée professeur ordinaire au sein de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (Suisse).

• Elle est vice-présidente de l’Association internationale de recherche en management public (Airmap) et membre de la chaire Management de la santé au travail (IAE de Grenoble).

• Elle a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques et est l’auteure notamment de La naissance du manager (Ires, CFE-CGC, 2010).

LECTURES

• DRH, le livre noir, Jean-François Amadieu, Seuil, 2013.

• Gestion du changement. Vers un management polyphonique, F. Pichault, De Boeck, 2013.

• Liberté et cie. Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises, Isaac Getz et Brian M. Carney, Flammarion, 2013.

Auteur

  • ÉRIC DELON