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Enquête

L’OBLIGATION D’ÊTRE EXEMPLAIRE

Enquête | publié le : 01.04.2014 | E. F.

Reconnaissance du travail accompli et connaissance de ses propres qualités et défauts, tels sont les bénéfices que la Ville de Nantes a tirés du label Diversité, obtenu en juillet 2012. Cette distinction a aussi ses contreparties: un investissement important et l’interdiction de déroger.

Lorsque Nantes s’engage dans la démarche de labélisation, en 2011, « à la demande de Jean-Marc Ayrault, qui était député-maire à l’époque », précise Michel Calvez, DG organisation RH de la ville et de Nantes Métropole, la collectivité peut déjà faire valoir plusieurs réalisations fortes et résultats probants dans le domaine de la lutte contre les discriminations. « Le label Diversité permet de mesurer le chemin parcouru et de valoriser les politiques entreprises », explique le DGORH. La municipalité se sert également du label pour communiquer sur sa politique de diversité en direction de ses administrés.

Dès 2006, dans le cadre d’une démarche baptisée “mixité-diversité”, la ville crée une cellule d’écoute sur les discriminations. L’année suivante, elle institue un « conseil consultatif interne de la diversité et de la mixité », lieu d’échanges et de propositions réunissant les syndicats, les élus municipaux et des agents. En outre, Nantes peut mettre en avant le fait qu’elle respecte l’obligation d’employer 6 % de personnes handicapées, que l’écart de rémunération entre hommes et femmes est passé de 9,5 % à 5,7 % entre 2006 et 2011, et que la mixité a progressé parmi les cadres dirigeants – la parité sera dépassée en 2012.

Des résultats tangibles

« Pour s’engager dans la démarche de labélisation, il faut déjà avoir des résultats tangibles, mais il n’est pas besoin d’être parfait », relativise Michel Calvez. La municipalité s’est quand même rassurée en s’informant auprès de son homologue lyonnaise, qui avait obtenu le label pour sa ville quelques années auparavant.

Le montage du dossier a nécessité de gros investissements. Outre les 20 000 euros versés à l’Afnor, Nantes rémunère une chargée de mission qui travaille à temps plein sur le label : Ghania Bencheikh a été embauchée en septembre 2011 pour monter le dossier de labélisation. Son contrat se poursuit aujourd’hui car la ville veut élargir le périmètre de son label à la totalité de ses directions – 15 sont actuellement couvertes – et progressivement à Nantes Métropole, la communauté urbaine. La chargée de mission s’est occupée de recenser toutes les pratiques de lutte contre les discriminations mises en œuvre dans cette collectivité employant 4 300 personnes sur 138 sites, de rédiger le dossier, d’informer les personnes auditionnées, de faire le lien avec l’Afnor, de préparer l’audit (deux semaines in situ) et d’organiser l’audition finale à Paris… « Le dossier n’est pas si volumineux que cela, car les questions sont précises. Mais recenser les pratiques prend du temps, se rappelle Ghania Bencheikh. Il faut garder des traces écrites de ce qui a été fait ; c’est assez naturel dans une collectivité territoriale où l’on a la culture du compte rendu. »

Un conseil consultatif interne

L’audit de l’Afnor a également permis d’identifier les points forts et faibles de Nantes en matière de lutte contre les discriminations. Notamment, le conseil consultatif interne, « qui se réunit vraiment », fait valoir Ghania Bencheikh, a impressionné les auditeurs de l’Afnor. Mais ces derniers ont aussi souligné que les salariés n’étaient pas bien informés des actions de la municipalité. Par exemple, la cellule d’écoute n’avait pas de nom et aucun numéro de téléphone dédié.

L’information améliorée

« L’Afnor n’avait pas le même souci que notre hiérarchie de ne pas faire de vagues, remarque Patricia Retailleau, chargée de mission diversité-mixité, responsable de la cellule. L’audit nous a permis de faire progresser la cellule d’écoute. » Celle-ci est finalement baptisée “Cellule écoute discriminations” et se voit attribuer un numéro de téléphone; une affiche est placardée dans tous les services pour informer les salariés de son existence ; il est désormais possible de tenir des statistiques sur l’usage qu’en font les salariés (lire l’encadré p. 24).

La municipalité veut maintenant améliorer ses outils et travaille sur la mesure des discriminations dans le recrutement. L’idée d’un testing sollicité a d’ores et déjà été écartée: les résultats n’auraient pas été représentatifs. Pour donner des résultats probants, un testing doit en effet comparer le traitement d’un grand nombre de candidatures équivalentes, or la ville embauche dans plus de 200 métiers. La collectivité, conseillée par des experts, a préféré tracer le cheminement de vraies candidatures afin de vérifier qu’elles font l’objet d’un traitement égalitaire à toutes les étapes. L’école de commerce nantaise Audencia est chargée de réaliser l’étude.

Une cellule d’écoute qui ne mesure pas seulement les discriminations

Une cellule d’écoute sur les discriminations existe à Nantes depuis 2006. En huit ans, 650 agents l’ont contactée. « Ils ont tous un point commun : la souffrance au travail », analyse Patricia Retailleau, en charge de la cellule, à laquelle elle consacre un tiers de son temps de travail. Jusqu’aux critiques de l’Afnor, en 2012, sur la faible visibilité de la cellule, la municipalité n’avait pas jugé bon de produire des statistiques sur l’usage que les salariés en font. C’est désormais possible.

Les derniers chiffres concernent la période qui va de janvier à juillet 2013. Pendant ces six mois, la cellule a enregistré 33 nouveaux contacts. Le nombre de saisines est assez important, rapporté au nombre de salariés de la ville et comparé à d’autres organisations disposant d’une cellule d’écoute (lire Entreprise & Carrières n° 1114 du 16 octobre 2012).

Sur ces 33 nouveaux cas, 20 sont présentés par des femmes. Dans un peu plus de la moitié des cas, les appels ne relevaient pas d’une discrimination mais d’une souffrance au travail, de difficultés sociales, de harcèlement, voire d’une manipulation en vue d’une vengeance. « Il faut un lieu d’écoute, même si cela ne relève pas de la discrimination », estime Patricia Retailleau.

Trois cas relevaient d’une discrimination institutionnelle, où la Ville ne fait qu’appliquer un arrêté préfectoral possiblement discriminatoire; l’affaire est devant le Défenseur des droits. L’autre moitié des 33 nouveaux cas relevait bien des 19 situations de discrimination illégale, d’abord en raison de la santé, puis du handicap, de l’appartenance syndicale, et dans un seul cas du racisme.

Un peu moins de la moitié des 33 personnes qui ont contacté la cellule ont ouvert un dossier, ensuite envoyé à la DRH ou à la direction juridique, ce qui déclenche une procédure contradictoire. « Les agents hésitent à sortir de l’anonymat, car ils ont peur des représailles », explique Patricia Retailleau. Les problèmes sont concentrés dans quelques endroits précis, puisque la moitié des dossiers proviennent de trois centres de responsabilité. Dans l’un de ces centres, employant 23 agents, 11 se sont présentés à la cellule d’écoute.

La suite donnée à ces affaires est plus compliquée à vérifier. Trois dossiers sont donc devant le Défenseur des droits, mais Patricia Retailleau ne peut citer qu’un cas où un cadre, qui avait mal noté un salarié en raison de sa santé, a reçu une « admonestation ». « Mon objectif est de rétablir la victime dans ses droits, punir l’auteur est une autre affaire », constate Patricia Retailleau.

VILLE DE NANTES

Activité : collectivité territoriale.

Effectif : 4 300 personnes.

Budget : 580 millions d’euros en 2013.

Auteur

  • E. F.