logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Il faut bannir les e-mails “ping-pong” et créer des liens vers des outils collaboratifs »

Enjeux | publié le : 01.04.2014 | PAULINE RABILLOUX

Image

« Il faut bannir les e-mails “ping-pong” et créer des liens vers des outils collaboratifs »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Trop d’informations tuent l’information. Noyés sous les e-mails et plus généralement sous l’exigence de communiquer en temps réel, les salariés sont souvent contraints de choisir entre la réactivité et l’efficacité. Plutôt que de restreindre les heures d’accès aux e-mails, mieux vaut déployer des outils collaboratifs en interne.

E & C : L’abondance des e-mails parasite, selon vous, l’activité des salariés. Pouvez-vous dresser un état des lieux du problème ?

Vincent Berthelot : L’e-mail, à ses débuts, s’est révélé un outil de communication précieux, car il a permis d’augmenter la productivité au travail. Il permet de réagir vite et de manière circonstanciée à des problèmes urgents. La messagerie électronique est aujourd’hui victime en grande partie de son succès. Même chez ceux qui se plaignent d’être assaillis par les e-mails, il existe parfois une certaine ambiguïté : comme si le nombre d’e-mails reçus représentait le signe que l’on est indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise. Il y a là un côté quasi pervers, car on peut à la fois faire mine de se lamenter et commencer à s’inquiéter dès qu’on en reçoit moins ou qu’on ne reçoit pas certaines informations. Pourtant, les faits sont là : l’inflation des e-mails est tellement importante que les messageries électroniques parasitent le travail. On ne dispose pas de chiffres pour la France, mais, aux États-Unis, les salariés consacrent environ treize heures par semaine à leur messagerie. Une seule absence de quelques jours et le traitement de ces courriers devient un calvaire. Le travail est sans cesse haché en microtâches avec une perte de temps importante pour se reconcentrer sur ce qu’on faisait. Soit la qualité du travail s’en ressent, soit la pression du temps réel contribue à augmenter le stress, voire les deux à la fois. Par ailleurs, le fait de pouvoir accéder à ses e-mails depuis son smartphone détériore la communication réelle : en réunion, chacun garde un œil ou pianote sur son téléphone, le manager parle à son subordonné en regardant ses messages, etc. Si l’on ajoute à cela le fait que la communication par e-mail s’affranchit souvent des règles de la courtoisie, on voit bien que les messageries électroniques tendent à pénaliser la qualité des échanges et contribuent à la montée d’un stress organisationnel.

E & C : Comment et pourquoi en est-on arrivé là ?

V. B. : La facilité de l’outil est paradoxalement à incriminer, mais pas seulement. Alors qu’à ses débuts, la messagerie électronique était réservée à quelques élus – ceux-là mêmes qui aujourd’hui ont des secrétaires pour trier leurs e-mails –, la généralisation des NTIC et le fait que nous sommes tous plus ou moins devenus des travailleurs du savoir ont conduit à une inflation exponentielle du nombre de messages, liée à la croissance du nombre d’émetteurs. Par ailleurs, la porosité croissante entre les vies professionnelle et personnelle permise par cet outil – et rendue souvent nécessaire par l’accélération générale du rapport au temps – a favorisé la diffusion d’e-mail à des heures ou en des lieux où, autrefois, on n’aurait jamais envisagé de joindre ses collaborateurs. Les messageries sont à la fois devenues un moyen de mettre sa responsabilité à couvert – on a transmis – et représentent, en regard, un risque de harcèlement tant par le nombre de messages que par les horaires et les jours où ils sont envoyés.

E & C : Peut-on enrayer le processus et permettre aux salariés de retrouver du temps pour respirer… et travailler ?

V. B. : Conscientes du problème, certaines entreprises en sont simplement venues à supprimer l’accès aux messageries électroniques de leurs collaborateurs pendant les heures de repos. D’un point de vue légal, devoir répondre à ses e-mails hors de son temps de présence dans l’entreprise constitue bien un travail, et attendre de son salarié qu’il obtempère à un message comminatoire sur son temps de repos est sanctionné par le Code du travail. Mais cette solution drastique n’est peut-être qu’un pis-aller. Il importe avant tout d’apporter aux collaborateurs une éducation numérique, de leur livrer en quelque sorte les outils avec le mode d’emploi. Cela passe par le rappel des règles de clarté et de courtoisie lors de la rédaction des e-mails, l’apprentissage du tri entre ceux exigeant une réponse et les purement informatifs, des consignes pour discerner à qui il convient ou pas de joindre des copies. Mais cela passe surtout par la mise en place de véritables outils collaboratifs. Quels que soient les discours sur les vertus du travail collaboratif, on ne peut que déplorer le fait qu’il reste très embryonnaire dans nombre d’entreprises. Il faut bannir les e-mails ping-pong, remettre de la transparence, du partage et capitaliser l’information grâce à des liens vers d’autres outils : les messageries instantanées, les espaces collaboratifs, les vidéoconférences, les réseaux sociaux internes, etc. Concernant ces derniers, il est dommage que les réseaux publics professionnels, largement exploités par les recruteurs, soient plus riches et documentés que les outils de GPEC dont dispose l’entreprise sur les aptitudes et sur les goûts de ses salariés. Celle-ci se prive du bénéfice collaboratif de leurs compétences réelles et de la dynamique de leur motivation sur leurs centres d’intérêts.

E & C : Que peuvent faire plus spécifiquement les RH ?

V. B. : Dans la mesure où ce sont souvent les managers qui donnent le style d’utilisation des e-mails dans les services, il est important de travailler avec eux sur ce sujet. Ils doivent désormais adapter leur management à un environnement plus collaboratif, et il leur incombe de donner du sens aux codes du social : manière de rédiger, bon usage, encouragement au recours aux réseaux sociaux, accompagnement du collaborateur débutant, etc. Il faut aussi prévoir du temps dans les entretiens d’évaluation pour apprécier l’utilisation que les salariés font des différents moyens de communication mis à leur disposition. Si le manager n’est pas lui-même accompagné pour gérer des travailleurs qui doivent avoir recours aux réseaux sociaux, il pourrait être amené à leur reprocher les heures qu’ils y passent, ce qui revient à invalider l’outil. Les réseaux sociaux permettent de passer du travail en silos démotivant à une logique sociale où chacun s’engage personnellement à partir de sa motivation et de la reconnaissance qu’il reçoit. C’est là le rôle des RH. Les managers devraient donc eux aussi se voir évaluer sur la manière de travailler avec leurs équipes. Manager par des e-mails comminatoires à destination des subordonnés n’est pas valide du point de vue de la responsabilité d’animation d’équipe qui est la leur.

PARCOURS

• Vincent Berthelot est responsable de la veille stratégique à l’Observatoire des réseaux sociaux d’entreprise.

• Il est spécialiste de la socialisation des process RH et travaille sur la modernisation du dialogue social par le 2.0.

• Il est coauteur, avec Franck La Pinta, de Marketing RH (Studyrama, 2013) et avec Carole Blancot et Anne De Landsheer de Inondé sous les e-mails, résistez ! (Hachette, 2013).

LECTURES

• Le travail à distance, Patrick Bouvard et Patrick Storhaye, Dunod, 2013.

• Tout savoir sur la transformation numérique, Philippe Colin, Éditions Kawa, 2012.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX