logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

La réforme qui échauffe les sapeurs-pompiers

Pratiques | publié le : 18.03.2014 | STÉPHANIE MAURICE

Image

La réforme qui échauffe les sapeurs-pompiers

Crédit photo STÉPHANIE MAURICE

Sur injonction de l’Europe, le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels a été diminué. Ceux-ci veulent aller plus loin et demandent la fin du régime d’équivalence horaire, en vertu duquel ils ne sont payés que 17 heures sur une garde de 24 heures,.

Le temps est agité chez les sapeurs-pompiers professionnels : depuis décembre, grèves et manifestations se succèdent dans de nombreux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS). En question, la durée du temps de travail et son paiement horaire. La Commission européenne avait mis en demeure la France à ce sujet en septembre 2012 : 41 SDIS sur 96 ne respectaient pas la durée de travail maximale annuelle de 2 256 heures par an.

Le gouvernement français s’est plié à l’injonction, avec un nouveau décret paru en décembre dernier, conforme à la règle européenne. Non sans que les SDIS, financés par les conseils généraux, ne se plaignent de ce surcoût. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, l’évaluait à 9 millions d’euros en février 2013, quand Charles de Courson, député et président du SDIS de la Marne, voyait la facture monter à 100 millions d’euros.

Recrutement et appel aux pompiers volontaires

La vérité est sans doute entre les deux : pour donner un exemple, le Pas-de-Calais déboursera 1,8 million d’euros pour le recrutement de 41 sapeurs-pompiers professionnels et faire face à la baisse du temps de travail, auparavant de 2 300 heures annuelles par personne. Tous les SDIS ne vont pas recruter, certains comptent sur les pompiers volontaires pour assurer la différence d’heures. Ce que n’approuve pas Christophe Pilch, maire de Courrières et président du SDIS 62 (Pas-de-Calais) : « Ce ne peut être un substitut valable. On ne peut pas baser les secours dans le Pas-de-Calais sur le volontariat. »

Autre souci pour certains SDIS, la fin de la différence de traitement entre pompiers non logés et pompiers logés gratuitement dans leur caserne, exigée par l’Europe. Ces derniers compensaient cet avantage en nature en temps de présence dans la caserne. Ce qui faisait exploser les compteurs horaires. Désormais, ils devront faire le même nombre d’heures maximum que leurs collègues, ce qui signifie la fin des logements de fonction. Dans la Marne, 80 sapeurs-pompiers sont concernés sur 389. « Même si nous réintégrons l’avantage en nature dans le salaire, il restera très inférieur à la valeur d’un loyer », s’exclame Charles de Courson. Il a proposé que les sapeurs-pompiers professionnels concernés deviennent pompiers volontaires sur leur temps libre, pour compléter leurs revenus. Dans le même mouvement serait ainsi réglée la question des effectifs.

Mais, dans les casernes, le bât blesse sur la question des équivalences horaires, combattue par les principaux syndicats des sapeurs-pompiers. Car même si les logements ont généralement disparu des SDIS, la pratique d’un temps de présence non rémunéré est demeurée. Par exemple, dans le Pas-de-Calais, les professionnels assuraient des gardes de 24 heures payées 16 heures. Depuis, le décret impose de payer au moins 17,1 heures, mais n’a pas aboli le système.

Différences de traitement

Au grand dam de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers. Elle veut l’application du régime commun des fonctionnaires : 1 607 heures de travail rémunérées. « On ne peut pas demander à des travailleurs de travailler sans être payés », assène André Goretti, président de la fédération. Surtout que les sapeurs-pompiers n’ont pas de prime quand ils travaillent les jours fériés, la nuit et le dimanche, explique-t-il. En fait, chaque SDIS a ses règles, et les différences de traitement sont énormes d’un département à l’autre. Dans l’Isère, le Gard ou la Nièvre, les pompiers sont déjà payés de toutes les heures travaillées ; en Charente-Maritime, dans la Somme ou dans les Alpes-Maritimes, le sujet est en négociation.

Exigence syndicale

Dans beaucoup de départements, la pression ne retombe pas, même si le décret est entré en application au 1er janvier 2014. Dans le Pas-de-Calais, Christophe Pilch a failli tomber de sa chaise face à l’exigence syndicale : « Il faudrait alors recruter 150 pompiers. Les syndicats voudraient une heure travaillée, une heure payée, mais les 24 heures de garde ne représentent pas 24 heures de travail, ils dorment, par exemple. » Une position partagée par l’ANDSIS, l’association des directeurs de SDIS. « Le SDIS nous aurait proposé 20 heures payées sur 24 heures de garde, tout le monde aurait été content, réplique Jean-Charles Trimarche, délégué SUD du Pas-de-Calais. Les pompiers du Pas-de-Calais n’ont aucun avantage social, ni mutuelle, ni titre-restaurant. Et en plus, ils devraient rester à la disposition de leur employeur sans être payés ? »

Le colonel Hervé Énard, président de l’ANDSIS, rappelle cependant que les conditions de travail des sapeurs-pompiers se sont améliorées : « Les logements dans les casernes ont peu à peu disparu parce que les gens sont beaucoup moins souvent de garde qu’auparavant. Il y a trente ans, on était aux alentours de 150 gardes de 24 heures par an. » Avant le décret de décembre, les SDIS les plus gourmands ne dépassaient pas 2 400 heures, soit 100 gardes de 24 heures. Le colonel Énard s’inquiète désormais de la continuité du service. « Comment faire si les gens ne viennent qu’un jour sur quatre par semaine ? », interroge-t-il.

Pour lui, deux organisations sont possibles : soit utiliser le régime d’équivalence autorisé par le décret, rester sur le système de 24 heures de garde payées 17,1 heures et risquer la colère syndicale, soit passer au paiement de toutes les heures travaillées, mais avec des gardes plus courtes, de 12 heures. Avantage, une meilleure régularité de service, puis­que les personnels viennent en moyenne 130 jours par an au lieu de 93 fois dans le cas d’un régime 24 heures. Inconvénient, les sapeurs-pompiers professionnels peuvent habiter loin de leur lieu de travail, en particulier dans la région parisienne, où les loyers sont chers, et sont donc parfois réticents à multiplier les allers-retours. Dans les faits, la majeure partie des SDIS joue sur les deux tableaux, avec un régime mixte, alternant gardes de 24 heures et de 12 heures, surtout depuis l’entrée en vigueur du nouveau décret.

Optimisation du nombre de postes

Une autre partie se joue en arrière-fond : optimiser le nombre de postes de sapeurs-pompiers selon les pics d’activité, pour s’adapter à une nouvelle donne : l’explosion des aides à la personne. « Ce n’est pas du premier secours, mais on nous appelle fréquemment pour relever une vieille dame en difficulté. Ce genre d’interventions représente 25 % à 30 % de notre travail. Nous devons nous adapter », assure le colonel Énard. Et diminuer le nombre de professionnels la nuit, où selon le colonel Énard, les sorties sont 4 à 5 fois moins nombreuses. Les sapeurs-pompiers professionnels n’en ont pas fini avec la mutation de leurs conditions de travail.

L’ESSENTIEL

1 Épinglé par la Commission européenne sur le temps de travail des pompiers professionnels, le gouvernement a dû le limiter par décret à 2 256 heures par an.

2 Le coût est important pour les services départementaux, qui devront recruter ou revoir l’organisation des gardes.

3 Les syndicats contestent les équivalences horaires et demandent que toutes les heures de garde soient rémunérées.

Dans l’Isère, l’augmentation du temps de travail fait du bruit

Un pompier qui perd un œil dans une charge de CRS, des manifestations houleuses devant la préfecture : le SDIS isérois a connu des heures tendues. Pourtant, l’Isère respecte depuis 1999 la réglementation européenne, avec 1 540 heures annuelles de travail par personne. Mais en décembre, les syndicats découvrent, au moment du vote du budget 2014, une hausse du temps de travail à 1 607 heures. L’affaire met le feu aux poudres. « Le protocole d’accord signé en 1999 dans le cadre des lois Aubry prenait en compte le travail de nuit, le week-end, les jours fériés, et la pénibilité de ce métier : les parties ont estimé que les pompiers avaient 60 heures de moins à faire qu’un agent qui n’avait pas ces contraintes », s’indigne le lieutenant Éric Martinez, président du syndicat autonome des sapeurs-pompiers. « Tout cela a été remis en cause de façon unilatérale, sans concertation. » Le colonel Hervé Énard, directeur du SDIS, voit, lui, « un simple passage à l’heure légale de travail ». Il explique : « Le SDIS a pris cette disposition car il a besoin de moyens nouveaux pour faire face à l’augmentation des interventions. Il n’a pas de recettes nouvelles, il est dans l’impossibilité de recruter. » Face à la mobilisation, le conseil d’administration du SDIS a décidé de suspendre la mesure le 27 février dernier, et a demandé une expertise extérieure.

Auteur

  • STÉPHANIE MAURICE