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« Le harcèlement moral est favorisé par certains types de management »

Enjeux | publié le : 04.03.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« Le harcèlement moral est favorisé par certains types de management »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Le concept de harcèlement moral, introduit en 1998 par cette psychiatre, a contribué à faire évoluer le Code du travail et à ouvrir la voie à la prise en compte de la souffrance au travail en général. Cependant, le combat contre le harcèlement au travail n’est pas encore gagné et reste un enjeu important, notamment pour les DRH.

E & C : Le harcèlement moral n’est pas seulement le fait de personnalités toxiques, mais peut aussi, selon vous, être favorisé par le type de management.

Marie-France Hirigoyen : Incontestablement, le management actuel peut induire directement ou indirectement des formes de harcèlement moral, à la fois parce qu’il tend à fragiliser les personnes et parce que certaines cultures d’entreprise et des types de management le favorisent. Sur le premier versant, le management moderne implique, au nom de la performance, une pression forte, souvent source de stress. Cependant, ce n’est pas tant la surcharge de travail, le stress quantitatif, qui met les individus en danger que le stress qualitatif, celui qui oblige éventuellement à bâcler son travail pour répondre aux objectifs, et qui prive les salariés de la satisfaction d’un travail bien fait. Cela dans un contexte où les procédures sont rigides, le management souvent lointain, voire indistinct, dans le cas de structures en réseau, où les salariés supposés autonomes sont tout simplement isolés, coupés des solidarités qui pourraient les soutenir. Par ailleurs, la nécessité pour garder son travail de devoir s’adapter coûte que coûte à l’emploi, quelles qu’en soient les exigences, tend à formater les individus de telle sorte que se perd la différence entre ce qui relève d’un comportement normal et ce qui est inacceptable. Les salariés sous emprise peuvent facilement perdre le sens de la mesure pour simplement se conformer à ce qu’ils pensent que l’on attend d’eux, voire à ce que l’on attend d’eux effectivement.

E & C : Quelles formes de management vous paraissent dangereuses et pourquoi ?

M.-F. H. : Trois types de management favorisent le harcèlement moral. Le management autoritaire, le laisser-aller et ce que j’appelle le management pervers. Le premier, centré exclusivement sur la production, se plaît à ignorer les personnes. Il s’agit d’un harcèlement vertical descendant, qui tend à se propager par imitation de la direction aux échelons subalternes. Le grand chef est le tyran dont l’exemple encourage l’apparition de “tyranneaux” sous ses ordres. Il est souvent de bon ton dans ce type d’entreprise de cultiver l’idée que, pour mériter son job, on doit être un dur, quitte à ridiculiser ceux qui montreraient le moindre signe de faiblesse. Ça peut être le cas dans la police ou chez les pompiers, par exemple, mais aussi dans le bâtiment ou la grande distribution.

Ce type de management semble progresser à la faveur de la peur qu’ont les salariés de perdre leur emploi. Plus ils en supportent, plus la tyrannie se déchaîne.

Le laisser-aller, quoiqu’apparemment opposé, produit des effets semblables, à cette différence près qu’il s’agit plutôt, alors, d’un harcèlement horizontal entre collègues. À défaut de règles claires et de définitions de poste précises, des personnalités toxiques en profitent pour maltraiter tel ou tel de leur collègue sur lequel ils réussissent à prendre l’ascendant. D’autant plus facilement que les managers ont peu de légitimité hiérarchique. Ce sont alors les plus malins ou les plus ambitieux qui tirent leur épingle du jeu.

Enfin, une troisième catégorie, le management pervers, est plus difficile à mettre en lumière bien que de plus en plus fréquent. Sous couvert de codes de déontologie impeccables, ce management utilise les gens comme de simples pions qu’il attire, exploite ou dont il se débarrasse selon les besoins du moment. L’une des manières de pousser ceux qui gênent vers la sortie est de leur fixer des objectifs inatteignables. Cela permet d’éviter un plan social et cela a donc une fonction stratégique. Ce type de management cautionne le pouvoir de petits chefs destructeurs et narcissiques, qui profitent d’une ambiance malsaine pour acquérir du pouvoir ou discréditer un collègue. Il favorise également le harcèlement horizontal, car prendre un salarié pour tête de turc sert de soupape de sécurité à l’agressivité des autres, forcément en hausse du fait des rapports de pouvoirs en jeu dans ce type d’entreprise.

E & C : Depuis la loi contre le harcèlement moral, qu’est-ce qui a changé dans l’entreprise ?

M.-F. H. : La loi a renforcé la vigilance, notamment dans les grandes entreprises, puisqu’il est fait obligation à l’employeur de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Elle a permis une prise de conscience générale des problématiques de souffrance au travail, avec notamment l’émergence, vers 2005, de la notion de risques psychosociaux, alors qu’on ne parlait auparavant que de stress. Tout le monde est bien conscient que c’est le travail, de manière générale, qui peut représenter un risque pour la santé et l’équilibre psychique des travailleurs. Par ailleurs, l’évolution de la jurisprudence a conduit à préciser et à élargir la problématique du harcèlement moral, qui était envisagée au départ dans sa seule dimension individuelle. Depuis 2009, le risque managérial lié aux méthodes d’organisation et de contrôle du travail est pris en compte. Ce n’est pas une seule personne, mais des équipes entières qui peuvent en être les victimes. Des dirigeants peuvent ainsi être mis en cause pour fait de harcèlement sur des salariés avec lesquels ils ne sont pas dans des rapports de travail personnels. Ils sont responsables d’un système toxique pour les salariés. Mais, dans le même temps, l’effet de la crise économique et la peur de perdre son emploi contribuent à durcir les conditions de travail et à repousser les limites de ce qui est supportable pour les salariés. Par ailleurs, la notion de burn-out contribue à masquer et à banaliser les situations de harcèlement, souvent moins spectaculaires.

E & C : Quels messages souhaitez-vous faire passer aux responsables des ressources humaines ?

M.-F. H. : J’aimerais dire que le combat est loin d’être gagné. Beaucoup de dirigeants et de DRH sont mal à l’aise avec le facteur humain qu’ils estiment trop compliqué à prendre en charge. La tendance, dans les grandes entreprises notamment, est d’externaliser la prévention des risques psychosociaux. Cela signifie que l’on continue d’ignorer l’importance du facteur humain dans la productivité. On sait multiplier les process pour gagner du temps et de la productivité, mais en ignorant qu’il y a des hommes derrière, qui souffrent et se démotivent. Il me semble important justement de revoir le management dans le sens de l’humain. C’est une tâche difficile, car, en la matière, tout est question de mesure et de limites. Jusqu’où écouter les salariés ? Jusqu’où prendre en compte leur situation personnelle ? À partir de quel moment refuser un comportement inacceptable ? Il y a d’autant moins de réponses toutes faites que les individus changent. Ils sont certainement aujourd’hui plus narcissiques et plus fragiles, mais c’est aussi de ces individus plus personnellement impliqués dont l’entreprise a besoin.

Le fait qu’une tâche soit complexe n’est pas une raison pour la négliger. Il y a sans doute là un vrai défi à relever pour les responsables RH : regarder comment fonctionne l’humain.

PARCOURS

• Marie-France Hirigoyen est psychiatre et psychothérapeute spécialisée dans la gestion du stress professionnel.

• Elle a développé le principe de harcèlement moral, qui sera à l’origine de l’introduction en 2002 de cette notion dans le Code du travail.

• Elle est l’auteure de deux essais : Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien (La Découverte, 1998) et Malaise dans le travail, harcèlement moral : démêler le vrai du faux (La Découverte, 2001). Elle vient de publier Le Harcèlement moral au travail (PUF, janvier 2014).

LECTURES

• Global Burn-Out, Pascal Chabot, PUF, 2013.

• La Fatigue d’être soi, Alain Ehrenberg, Odile Jacob, 1998.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX