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« Certains plans de départs volontaires ne tiennent pas compte du risque de chômage »

Enjeux | publié le : 25.02.2014 | ÉRIC DELON

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« Certains plans de départs volontaires ne tiennent pas compte du risque de chômage »

Crédit photo ÉRIC DELON

Depuis 2008, les plans de départs volontaires se sont multipliés dans le cadre des restructurations d’entreprise. Certains portent peu d’attention au projet professionnel des partants et font peser un risque pour les salariés, la collectivité et la protection sociale.

E & C : Quel constat tirez-vous de votre étude sur les plans de départs volontaires ?

Rémi Bourguignon : Dans le cadre de la chaire “Mutation, anticipation, innovation” de l’IAE de Paris, j’ai participé en 2010 à une étude pour le compte d’un cabinet d’expertises économiques et sociales, qui montrait que le principe du départ volontaire s’était quasiment généralisé dans les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) au plus dur de la crise financière. Nous avons eu l’intuition qu’un changement significatif était en train de se jouer dans ce domaine, d’autant qu’à l’époque, la presse commençait à évoquer des plans de départs volontaires (PDV) suscitant davantage de candidatures qu’il n’existait de postes à supprimer, y compris dans des secteurs habitués à une grande stabilité de l’emploi comme la banque, par exemple. Il nous semblait également percevoir une inflexion dans les discours managériaux en faveur d’une légitimation des restructurations. Ces discours évoquaient moins le motif économique que l’absence de licenciements contraints. Il nous a donc semblé utile, avec mon collègue Pierre Garaudel, de creuser davantage cette problématique afin de connaître les réalités que recouvrait la notion contemporaine de PDV.

E & C : Les PDV sont-ils une spécificité française ?

R. B. : Non, cette pratique se retrouve dans des pays aussi divers que la Grande-Bretagne, la Suède ou l’Espagne. Rappelons que l’utilisation du PDV a pour objectif de limiter le risque juridique lié au licenciement. En France, un salarié qui choisit d’intégrer un PDV n’a plus la possibilité de contester le motif de son licenciement. Les PDV ne sont nullement un phénomène récent, la jurisprudence sur la question s’étant construite depuis la fin des années 1980. Le phénomène nouveau, depuis ces cinq dernières années, réside dans le fait que ces PDV se développent au cœur des plans de licenciement collectif en tant que phase préalable à la notification de licenciements contraints. En la matière, la jurisprudence distingue deux cas de figure. D’une part, des PDV qui excluent tout recours au licenciement contraint. D’autre part des PDV qui prévoient une phase de volontariat avant de dresser la liste des salariés licenciés sur la base de critères sociaux comme l’âge, l’ancienneté ou la situation de famille.

E & C : En quoi la mise en place des PDV présente-t-elle des risques, et pour qui ?

R. B. : Les PDV présentent des risques pour un certain nombre d’acteurs. Du point de vue de l’entreprise, un PDV est susceptible d’encourager le départ des salariés les plus talentueux, ceux qui sont les mieux positionnés sur le marché du travail et qui retrouveront sans peine un emploi en touchant, au passage, l’indemnité de licenciement. Pour le salarié, le risque principal est de se retrouver au chômage car, si les salariés dits “employables” sont incités à partir, ils ne sont pas les seuls à se porter candidats. Des salariés insatisfaits ou dont l’emploi est fragile peuvent profiter du PDV pour quitter l’entreprise sans se soucier de leur avenir professionnel.

Par ailleurs, les PDV peuvent générer des coûts pour la collectivité. La sélection sur critères sociaux, prévue par la loi, vise à limiter le risque de chômage, puisque priorité est donnée au départ des salariés présentant une meilleure employabilité. Ce système trouve sa justification dans la recherche d’une limitation des coûts sociaux générés, car, si la restructuration d’une entreprise revient à alimenter le chômage, c’est la collectivité qui devra en assumer le coût.

Or les PDV sont ambigus de ce point de vue. S’ils favorisent le départ de salariés employables, ils sont en cohérence avec l’exigence de sauvegarde de l’emploi faite à l’entreprise. Mais si, au contraire, ils reviennent à faire partir des salariés vulnérables qui auraient été épargnés par l’application des critères, on se retrouve face à un contournement de la loi et à une aggravation mécanique du financement de la protection sociale. Certains PDV sont utilisés comme des dispositifs de préretraite “déguisés”, qui consistent à faire financer une sortie anticipée des seniors par l’assurance chômage. Dans ce cas d’espèce, il ne s’agit nullement de salariés qui surestimeraient leur employabilité et qui se feraient piéger par l’attrait de l’indemnité, mais bel et bien de salariés qui se mettent d’accord avec l’employeur “sur le dos de la collectivité”.

E & C : Est-il possible de lutter contre ces “arrangements” entre l’employeur et le salarié ?

R. B. : Il n’existe pas d’obligation légale – ni de jurisprudence – conditionnant le départ de salariés à l’existence d’un projet professionnel. Pour autant, il y a un large consensus parmi les spécialistes des restructurations pour reconnaître que cette démarche est la conséquence logique de l’exigence de sauvegarde de l’emploi. Cette dernière incite les salariés à mettre en discussion leur décision de départ et permet, en théorie, à l’entreprise de refuser les départs de salariés dépourvus de projet professionnel. Dans les PDV que nous avons étudiés, la notion de projet professionnel est définie de manière plus ou moins stricte. Les entreprises les plus exigeantes conditionnent le départ volontaire à une solution d’emploi à court terme. Le salarié doit présenter une promesse d’embauche en CDI ou CDD de plus de six mois pour pouvoir accéder au PSE. D’autres entreprises font référence à un projet “crédible” ou “sérieux” que le salarié pourra mettre en œuvre sur le moyen terme. Parfois, l’employeur et le salarié partagent le projet de rompre le contrat de travail et, dans ce cas, un “faux” projet est validé. C’est toute l’ambiguïté du PDV. Si l’entreprise se donne une définition stricte du projet professionnel, elle limite son accessibilité et ne donne pas la possibilité aux salariés d’engager une reconversion. Si elle se donne une définition large, cela ouvre la porte à l’opportunisme et rend difficile le rejet d’un projet.

E & C : Depuis juin 2013, les règles ont changé en matière de PSE. Qu’est-ce que cela implique concrètement pour les PDV ?

R. B. : La loi n’évoque pas directement la question du départ volontaire, mais il est effectivement possible que les nouvelles règles sur le PSE fassent évoluer les pratiques. Rappelons que le PSE est un acte unilatéral de l’employeur et qu’il revient au juge de statuer en cas de contestation par un salarié. Dans ce régime, l’entreprise a plutôt intérêt à maintenir le flou sur les modalités de départ volontaire en pariant sur les faibles recours juridiques. Désormais, les PSE sont validés a priori, par la négociation collective ou par l’administration. On peut s’attendre à ce que les organisations syndicales et les Direccte portent une exigence supplémentaire en matière de formalisation des conditions de départ volontaire.

PARCOURS

• Rémi Bourguignon est maître de conférences à l’IAE de Paris, où il est responsable du master RH & RSE en apprentissage.

• Ses travaux de recherche conduits au sein de la chaire Mutation anticipation innovation portent sur le syndicalisme, les relations sociales et la gestion des restructurations.

• Il est membre du comité de pilotage de l’Encyclopédie des Ressources humaines (éd. Vuibert)

LECTURES

• Sociologie des outils de gestion, Ève Chiapello et Patrick Gilbert, La Découverte, 2013.

• La SNCF en réflexion, Jean-Pierre Aubert et Alexandre Largier, L’Harmattan, 2013.

• Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises, Isaac Getz et Brian M. Carney, Fayard, 2012.

Auteur

  • ÉRIC DELON