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Forfait-jours à EDF : nouvelle tentative

Pratiques | publié le : 18.02.2014 | AURORE DOHY

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Forfait-jours à EDF : nouvelle tentative

Crédit photo AURORE DOHY

La direction d’EDF ambitionne de mettre en place un dispositif de forfait-jours pour ses cadres. À l’issue des premières consultations, les syndicats se montrent peu pressés d’abandonner l’avantageux décompte du temps de travail, en vigueur actuellement.

Les cadres d’EDF passeront-ils au forfait-jours en 2014 ? Lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale, le 3 décembre dernier, Marianne Laigneau, la DRH, n’avait pas caché la volonté du groupe de mettre le sujet sur la table des négociations, au printemps. Si l’heure et les termes de cette négociation sont encore inconnus, la direction - qui n’a pas souhaité répondre à nos questions - a déjà lancé une série de “séminaires” informels sur le sujet du temps de travail, à l’intention des organisations syndicales. Le premier, en fin d’année 2013, a été l’occasion d’un topo sur les enjeux industriels de l’entreprise. Un second devait se tenir courant février.

Empilement de réglementations

Pour l’entreprise, la question est stratégique : l’organisation actuelle, héritée d’un accord signé en 1999 dans une logique de réduction du temps de travail, aurait grand besoin d’être dépoussiérée. Outre les infractions constatées depuis plusieurs années par l’inspection du travail, concernant le repos obligatoire entre deux jours travaillés par les cadres du parc nucléaire, ce système qui rend possible une multitude de formules individuelles a abouti à un empilement des réglementations au sein du groupe. En bref, selon les termes de la DRH elle-même, « l’entreprise a besoin de plus de souplesse ».

Rendue publique en septembre, une note de quatre pages de la Cour des comptes alléguant que les « principes fondateurs » de l’organisation du travail d’EDF ne sont « plus adaptés aux enjeux industriels des entreprises » abonde en son sens : outre la faiblesse de la durée de travail annuelle dans l’entreprise - 1 548 heures en 2011, soit moins que la durée moyenne du secteur (1 570 heures) ou que la référence inscrite en droit du travail (1 607 heures) - et l’absence d’un outil fiable de décompte du temps de travail, un des principaux griefs concerne le régime des heures supplémentaires « exorbitant du droit commun ». Au lieu d’être décomptées au-delà de la durée hebdomadaire ou sur la durée d’un cycle, comme c’est la norme, celles-ci sont en effet décomptées « au-delà de l’horaire programmé sur la journée », majorées « dans des conditions plus favorables que le droit commun » et souvent effectuées dans le cadre des astreintes. En 2010, chaque agent d’EDF se serait ainsi vu payer 72 heures supplémentaires. Or, l’instauration d’un forfait-jours pour les cadres disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur activité permettrait précisément, par la suppression de la référence horaire, de limiter ces heures supplémentaires. L’enjeu est d’autant plus important pour EDF que sa population a fortement évolué depuis 1999. Inscrit dans un grand mouvement de renouvellement de ses effectifs, l’énergéticien, qui a embauché, depuis 2007, 13 000 personnes -  souvent des jeunes diplômés d’écoles d’ingénieurs ou de commerce -, compte désormais plus de 40 % de cadres.

Le groupe n’a cependant pas attendu d’être épinglé par la Cour des comptes pour s’atteler à la tâche. Mais sa tentative de doter l’accord de 1999 d’un avenant instaurant essentiellement un dispositif de forfait-jours pour les cadres a déjà une première fois tourné court en 2010, après plus d’un an de négociations, pas un syndicat n’ayant accepté d’y apposer sa signature. À l’époque, 74,3 % des 5 800 cadres - sur les 15 000 consultés - ayant répondu à une enquête diligentée par la CGT, premier syndicat de l’entreprise, avaient en effet considéré que le projet de la direction « n’amé­liorerait pas leur situation de travail et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle », et qu’il entraînait même une dégradation de leurs conditions de travail. « La direction avait alors respecté l’expression des salariés et l’accord de 1999 n’a pas été dénoncé », se souvient Laurent Langlart, porte-parole du syndicat.

Quatre ans plus tard, une seconde tentative de la part d’EDF a-t-elle une chance d’aboutir ? S’agissant de la négociation, « le chemin est étroit » avait reconnu Marianne Laigneau en décembre. « La direction donne l’impression de ne pas trop savoir par quel bout se saisir du sujet », confirme Frédéric Letty, DSC CFE-CGC. Entre l’élaboration - en cours - d’un diagnostic de l’existant et d’un audit des besoins auprès des différentes entités de l’entreprise, et l’organisation des fameux séminaires informels avec les syndicats, le groupe se donne, dans tous les cas, les moyens de déblayer le terrain. Cela suffira-t-il ?

Du côté de la CFE-CGC qui vient - effet du renouvellement de la population ou d’une inquiétude “catégorielle” ? - de ravir la place de seconde organisation syndicale de l’entreprise à la CFDT (23,25 % des suffrages contre 20,66 % aux élections de novembre dernier), le message est clair : « Notre position est la même qu’en 2010. Tant qu’EDF abordera la question du forfait-jours sous le seul angle du décompte horaire, nous n’accorderons pas notre signature, explique Frédéric Letty. Le temps de travail ne peut se traiter à l’écart des questions d’organisation, de rythme, de charge de travail et de conciliation vie personnelle/vie professionnelle. Si elle est reconnue, il faudra en outre se donner les moyens de rétribuer cette fameuse autonomie. »

Le syndicat, qui doute cependant que les cadres du parc nucléaire, dont l’activité est étroitement liée à l’outil industriel, puissent être considérés comme “autonomes” au sens du Code du travail, ajoute : « L’entreprise doit par ailleurs réaffirmer ce qu’elle attend aujourd’hui de ses cadres qui voient de plus en plus le sens de leur activité leur échapper. » De son côté, la CGT, toujours dans l’expectative, profite de ce temps d’indétermination pour relancer un sondage auprès des intéressés. Verdict dans quelques semaines.

L’ESSENTIEL

1 Les cadres d’EDF sont soumis aux mêmes horaires que les autres salariés, ce qui coûte de nombreuses heures supplémentaires à l’entreprise, selon un rapport de la Cour des comptes.

2 Afin de gagner en souplesse et de réaliser des économies, la direction aimerait mettre en place le forfait-jours pour les cadres. Les premières consultations des syndicats ont démarré.

3 Les syndicats n’y voient que des inconvénients, comme en 2010, lors d’une première tentative pour mettre en place cette organisation.

Auteur

  • AURORE DOHY