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LES ENTREPRISES À LA PEINE

Enquête | publié le : 18.02.2014 | EMMANUEL FRANCK

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LES ENTREPRISES À LA PEINE

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Malgré les recommandations des pouvoirs publics, les entreprises sont encore peu avancées en matière de mixité hommes-femmes. Pour elles, cet enjeu est imbriqué avec ceux de la qualité de vie et de la santé au travail. La pénurie de main-d’œuvre n’est plus l’aiguillon qu’il fut avant la crise économique.

Le chantier de la mixité des métiers est lancé, mais il n’en est qu’à sa première pierre. Certes, entreprises et pouvoirs publics font preuve d’un regain d’intérêt pour la question, et les objectifs se clarifient (faire progresser l’emploi des femmes, réduire la ségrégation professionnelle), mais les échéances sont lointaines ou irréalistes, les moyens d’atteindre les objectifs ne sont pas encore en place et le contrôle des résultats est en option.

Le gouvernement a décrété 2014 « année de la mixité des métiers », et a fixé deux objectifs pour 2025, donc d’ici aux deux élections présidentielles. D’une part, annuler l’écart entre les taux d’emploi des femmes et des hommes, sachant qu’il s’est réduit en trente ans mais qu’il reste 8,5 % à combler. D’autre part, parvenir à un tiers de métiers mixtes, alors qu’actuellement, un dixième des métiers comportent entre 40 % et 60 % des deux sexes. Le gouvernement a également posé une batterie d’indicateurs qui ont « vocation à être mis à jour et rendus publics chaque année ». Il a mis en œuvre ou engagé plusieurs actions en faveur de la mixité, notamment les Territoires d’excellence, la réforme du congé parental et les ABCD de l’égalité. Chacune cible un obstacle à la mixité ou une population.

Une politique d’incitation et d’éducation

Les Territoires d’excellence (encore au stade de l’expérimentation, lire p. 24) concernent les salariés et les dirigeants de PME; le congé parental réformé (un projet de loi pour le moment) vise à impliquer les pères dans les tâches familiales; les ABCD de l’égalité ont pour objet de déconstruire, dès l’école, des stéréotypes qui, ensuite, déterminent les carrières professionnelles - assimilés à une théorie du genre, ils suscitent de vives polémiques. Aucun de ces dispositifs n’est encore opérationnel.

À la différence du quota de 20 % de femmes dans les conseils d’administration d’ici à 2014, créé par la précédente majorité, la politique en faveur de la mixité des métiers de l’actuel gouvernement concerne tous les salariés et s’appuie sur l’incitation et l’éducation. « Le vecteur de la mixité, c’est la culture, soutient Cristina Lunghi, porte-parole du club du Label égalité et fondatrice de l’association Arborus. Les lois ne fonctionnent pas tant qu’on ne sait pas à quoi elles servent. » La condition pour réaliser la mixité serait donc d’ordre sociétal, et ne dépendrait pas de la nature de l’emploi. Pour preuve, les usines roumaines Dacia appartenant à Renault, qui emploient trois fois plus d’ouvrières que les usines françaises, alors même qu’elles sont moins automatisées (lire p. 25).

Le gouvernement a également un autre intérêt à la mixité professionnelle : « Ses priorités sont l’emploi et la baisse des dépenses sociales - corollaire de la baisse du chômage », rappelle Catherine Tripon, directrice responsabilité sociale et égalité de la Fondation agir contre l’exclusion (Face).

Quelques entreprises pionnières

Les entreprises commencent tout juste à embrayer. Quelques-unes ont mis en place des pratiques en faveur de la mixité, mais elles sont rares et il ne s’agit pas encore de vraies politiques. Axa s’est ainsi doté d’une charte qui interdit les réunions matinales ou tardives, très pénalisantes pour les femmes, mais n’a aucun moyen de vérifier qu’elle est respectée (lire p. 22). Or, parmi les mesures susceptibles de favoriser l’équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle - donc la mixité -, l’encadrement des horaires de réunions est la plus attendue des salariés parents, selon un sondage de l’Observatoire de la parentalité en entreprise, réalisé en 2013.

Orange s’est fixé un objectif de 35 % de femmes dans l’encadrement supérieur d’ici à fin 2015, or elles n’en représentent actuellement que 24 %. Il reste donc deux ans à l’opérateur pour gagner 11 points. Au rythme actuel de 6 points pour les deux années précédentes, il lui faudrait quatre ans. Pour y parvenir dans le délai, Orange compte, il est vrai, sur un dispositif cohérent alliant mentorat, réseaux de femmes et quotas de candidates aux viviers de hauts potentiels (lire p. 22). Mais, en général, les entreprises sont moins avancées, à l’image de Bouygues bâtiment Île-de-France, qui travaille à sensibiliser ses managers à la mixité (lire p. 23). « Toutes ces actions fonctionnent, mais elles sont encore parcellaires, note Catherine Tripon. Il faut maintenant les généraliser. »

Pour l’heure, les PME sont très peu avancées sur la question de la mixité. « Elles ne s’y intéressent pas, constate Cristina Lunghi. Les patrons de PME abordent encore souvent la mixité avec une approche paternaliste : l’embauche d’une femme qu’ils bichonnent leur suffit. » Le dispositif gouvernemental Territoires d’excellence, lancé en 2012, cible justement les petites entreprises, y compris et surtout celles de moins de 50 salariés, qui n’ont aucune obligation légale. Fin 2013, 230 “expérimentations” avaient émergé des neuf régions estampillées “excellence”. Elles seront évaluées en octobre 2014 avant de faire l’objet d’une promotion. Il s’agit, en général, de modestes outils de communication et de sensibilisation à la mixité, à l’attention des directions ou des salariés des PME des territoires concernés.

Des outils adaptés aux PME

Le fournisseur de services Internet Claranet (111 salariés à Paris et Rennes) a gratuitement bénéficié d’un de ces outils : le Kit égalité. Cette petite application informatique lui a permis de se doter d’un rapport de situation comparé presque complet, d’un accord comprenant des objectifs d’égalité et de mixité, et d’ouvrir une réflexion sur le télétravail (lire p. 24).

Malgré les apparences, les entreprises n’ont pas attendu 2014 pour s’intéresser à la mixité. Florence Chappert, responsable projet Genre et conditions de travail à l’Anact, rappelle que, « jusqu’en 2009 environ, l’Anact a été sollicitée par des entreprises en pénurie de main-d’œuvre, qui souhaitaient intégrer des femmes dans des métiers masculins. » Cet aiguillon n’existe plus. « Pour les entreprises, l’enjeu de la mixité est désormais imbriqué avec celui de la qualité de vie au travail », analyse Florence Chappert (lire son interview p. 27). Selon elle, c’est finalement une bonne chose, « car les conditions d’emploi peu visibles des femmes, leurs parcours bloqués et leurs contraintes familiales qui ne sont pas prises en compte sont des causes structurelles d’inégalités. » En outre, coupler la question de l’égalité à celle de la santé au travail permettra de raviver l’intérêt des partenaires sociaux, estime-t-elle.

L’ESSENTIEL

1 2014 a été décrétée « année de la mixité des métiers » par les pouvoirs publics. Les objectifs, pour 2025, sont d’annuler l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes et de réduire la ségrégation professionnelle.

2 Le gouvernement a lancé plusieurs réformes et programmes, dont l’ambition est de traiter les causes de l’absence de mixité professionnelle.

3 Les entreprises recommencent tout juste à s’intéresser au sujet; quelques pionnières sont un peu plus avancées.

En savoir plus

→ Rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective : “Lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance” janvier 2014.

<www.strategie.gouv.fr>

→ Guide de l’Anact : “La mixité dans l’entreprise pour améliorer conditions de travail et performance” Anact, 2011.

<www.anact.fr>

→ Guide de la Fondation agir contre l’exclusion (Face) : “Articulation des temps de vie en entreprise. Les clés pour convaincre et agir de manière concrète” Face, novembre 2013.

<www.fondationface.org>

→ Guide de la Jardinerie de l’égalité : « La force du process en matière d’égalité », à paraître en juin 2014.

→ Analyse de la Dares : “La répartition des hommes et des femmes par métiers. Une baisse de la ségrégation depuis 30 ans”, Analyses n° 079, décembre 2013.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK