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Les entreprises rognent leur budget

Actualités | publié le : 18.02.2014 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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Budgets médians d’augmentation appliqués depuis 2001

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Le faible taux d’inflation et l’atonie du marché n’incitent guère aux largesses. Cette année, beaucoup d’entreprises devraient passer sous la barre des 2 % d’augmentation. En individualisant toujours plus. D’où l’intérêt, pour les partenaires sociaux, d’élargir la négociation.

Dans le secteur bancaire, qui amorce ses négociations annuelles obligatoires (NAO) en fin d’année et donne les premières tendances, « la situation n’est pas fameuse, convient Régis dos Santos, président national du SNB-CFE-CGC. Il y a surtout des augmentations individuelles [AI]. Et, quand la pression est trop forte, les employeurs concèdent des primes (lire l’encadré ci-contre). Les salariés sont conscients que la période est difficile. Mais ils se demandent aussi comment on parviendra à restaurer la rentabilité des banques quand certains patrons n’ont aucun état d’âme à s’augmenter de 30 % », s’indigne-t-il, rappelant « le désordre » qu’aurait provoqué l’épisode Dexia le mois dernier.

Dans les secteurs de la chimie et de l’énergie, le climat n’est guère meilleur. « Les négociations sont très difficiles, admet Marie-Hélène Gourdin, secrétaire fédérale FCE-CFDT. Dans la plupart des entreprises, il n’y a plus d’augmentations générales [AG], comme à Sanofi [qui a connu, en janvier plusieurs journées de mobilisation sur différents sites, NDLR]. Et nous n’avons jamais vu un niveau global d’augmentation aussi bas dans toutes les branches de la fédération. » Selon la secrétaire fédérale, de plus en plus de négociations se termineraient plus tôt que prévu sur une décision unilatérale de l’employeur. Tandis que d’autres employeurs n’ayant pas encore entamé les discussions attendraient d’avoir davantage de visibilité sur le coût des nouvelles dispositions liées à la complémentaire santé.

Au sein de la fédération des services CFDT, « certains groupes, par exemple dans la restauration collective, font des propositions d’augmentation en demandant des contreparties, comme l’abandon, pour les agents de maîtrise et les cadres, d’une partie de leur part variable. Ce qui n’est pas acceptable », s’irrite Christo-phe Dez, secrétaire fédéral au pôle hôtellerie, tourisme et restauration. Qui constate également le tassement des augmentations ­collectives au profit des AI : « Le phénomène s’accentue et s’étend aux catégories les plus basses. »

Les cabinets de conseil révisent leurs chiffres

« Soyons clairs, les budgets d’augmentation qui avaient été donnés par les entreprises cet été n’avaient pas été validés, et certains cabinets de conseil ont déjà révisé ces chiffres », lance Denis Falcimagne, directeur de projets, spécialiste des politiques de rémunération et avantages sociaux à Entreprise & Personnel. Aon Hewitt, l’un des premiers à s’être lancé dans cet exercice de prospective, pronostiquait, en septembre, un taux d’augmentation globale de 2,8 % pour 2014. « Quand nous avons mené notre enquête, il y avait une forme d’optimisme, rappelle Vincent Cornet, directeur de l’activité conseil en rémunération du cabinet. Les entreprises espéraient une croissance un peu plus favorable qu’aujourd’hui et tablaient sur une inflation à 1,4 %. Ce taux est finalement tombé à 0,7 % en 2013. Ce qui permet, du coup, d’engager la NAO avec des propositions plus basses que prévues. »

D’autant que le contexte n’incite guère à la largesse. « On ne perçoit aucun signe avant-coureur d’une reprise. Il est probable que beaucoup d’accords soient signés à moins de 2 %, qu’il n’y ait pas de clause de revoyure et que l’on ait davantage de PV de désaccord que les années précédentes », estime-t-il. À la lumière de sa récente enquête flash, le cabinet Altedia confirme que les budgets d’augmentation devraient effectivement avoisiner 2 % (lire Entreprise & Carrières n° 1179). Publiée le 12 février, l’enquête biannuelle* de Hay Group annonce aussi 2 % (en médiane), et ce pour toutes les catégories de salariés (dirigeants, cadres, non-cadres). Selon la société de conseil, « il s’agit du taux le plus bas observé […] depuis l’an 2000 », Hay Group parlant d’« une modération salariale comparable à celle connue après la mise en place des 35 heures » (voir l’infographie ci-contre). La taille ne fait rien à l’affaire : « De grandes entreprises auront, cette année, des budgets d’augmentation inférieurs à 2 %, ce qui constitue pour elles un changement significatif et peut les inciter à trouver des contreparties, comme le versement de complément d’intéressement, une prime ou la révision de l’abondement au PEE », avance Denis Falcimagne.

Explorer d’autres pistes

Dans ce contexte, certains syndicats haussent le ton, à l’instar de la CGT et de FO à Total, qui a essuyé, en décembre, un mouvement de grève dans plusieurs raffineries. Chez Lesieur, ce sont les salariés du site de production nordiste qui ont spontanément bloqué leur usine au vu des propositions de la direction (lire ci-contre).

Mais Philippe Burger, associé responsable rémunération et avantages sociaux chez Deloitte, l’affirme : « Les tensions restent limitées. » Du moins, selon les premiers retours des clients du cabinet de conseil  : « Les partenaires sociaux sont surtout préoccupés par la préservation de l’emploi et le développement des compétences, et s’efforcent d’être constructifs », soutient-il.

Certes, à l’heure où l’individualisation s’accentue, l’obtention d’AG demeure en tête de leurs revendications. Mais, à défaut, ils s’adaptent. « Nous organisons, pour nos mandatés, des sessions de formation sur les NAO et le pouvoir d’achat, explique Christophe Dez. Nous leur expliquons que, si ça coince au niveau des salaires, il faut ouvrir la discussion et explorer d’autres pistes : épargne salariale, cotisations employeurs aux régimes de protection sociale complémentaire, Cesu, participation aux frais de transport en province, etc. » Bref, il faut “gratter” sur tout.

* Enquête menée en janvier auprès de 370 entreprises françaises ou implantées en France.

Les derniers chiffres

→ Selon Denis Falcimagne, directeur de projets à Entreprise & Personnel, « le taux médian d’augmentation se situera entre 2,2 % et 2,4 %. Avec un premier quartile à 1,5 % et un troisième quartile - qui ne concernera que peu d’entreprises - oscillant entre 2,8 % et 3 %. Étant donné le taux d’inflation prévisionnel, les éventuelles augmentations collectives seront faibles et les entreprises seront plus sélectives au niveau des augmentations individuelles ».

→ Pour sa part, Aon Hewitt avance aujourd’hui un taux d’augmentation globale de 2,5 % (1,3 % en AG, 2,3 % en AI).

→ Hay Group observe que « le nombre d’entreprises ayant prévu de ne donner que des AG aux non-cadres est passé de 16 % en septembre 2013 à 9 % en janvier ».

DES PRIMES PAR DÉFAUT DANS LES BANQUES

À BNP Paribas, à défaut de mesures pérennes - et d’accord - la direction a finalement consenti à un complément d’intéressement de 1 000 euros par personne et à la création d’une tranche exceptionnelle d’abondement de 210 euros. À la Société générale, les salariés ne toucheront qu’une prime, variant entre 450 euros pour les rémunérations inférieures ou égales à 26 000 euros et 200 euros pour la tranche haute (jusqu’à 50 000 euros).

À Banque populaire, après deux années sans signature syndicale, quatre organisations ont validé l’accord octroyant 1 % d’AG, avec un plancher de 350 euros… à partir du 1er avril 2014. À LCL, on respire un peu mieux, la direction ayant enfin concédé cette année une AG pérenne de 500 euros brut pour les revenus allant jusqu’à 42 000 euros, et de 300 euros au-delà.

SIX JOURS DE GRÈVE CHEZ LESIEUR

À Coudekerque-Branche, dans le Nord, les 250 salariés de l’usine Lesieur ont vu rouge lorsqu’a été sifflée la fin de la NAO, le 14 janvier dernier. À l’automne, ils avaient déjà appris qu’il leur faudrait faire une croix, en 2014, sur la prime d’intéressement d’un montant oscillant entre 1000 et 1200 euros, régulièrement versée depuis des années. Une pilule d’autant plus difficile à avaler que « l’usine avait augmenté les cadences et que les lignes de production avaient tourné plein pot », explique Philippe Lavallée, secrétaire du CCE (FO). Outre une AG de 0,7 % en janvier 2014 et de 0,3 % en juillet, la direction a mis sur la table une prime de 250 euros, uniquement destinés aux ouvriers et employés. « Tout le monde s’est senti floué et les salariés de l’usine se sont spontanément mis en grève », raconte le représentant syndical FO, surpris par l’ampleur du mouvement, qui a gagné, dans une moindre mesure, les sites de Bordeaux et de Vitrolles. Le bras de fer aura duré six jours. Le 20 janvier, syndicats et direction sont parvenus à un nouvel accord octroyant une prime de 450 euros dont bénéficieront aussi les agents de maîtrise. Mais dans le même temps, l’enveloppe destinée aux augmentations individuelles a fondu, ajoute Philippe Lavallée : « Elles ne concernent plus qu’un salarié sur cinq au lieu d’un sur trois habituellement. »

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT