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LES ENTREPRISES S’ADAPTENT AUX NOUVELLES RÈGLES

Enquête | publié le : 11.02.2014 | ÉLODIE SARFATI

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LES ENTREPRISES S’ADAPTENT AUX NOUVELLES RÈGLES

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Sécuriser les procédures, renforcer le dialogue social, faire jouer à l’État le rôle d’arbitre garant de la qualité des mesures d’accompagnement : telles étaient les ambitions du gouvernement lorsqu’il a refondu, sur la base de l’ANI du 11 janvier 2013, les procédures de PSE. Quelques mois après l’entrée en vigueur de ce nouveau cadre, comment ces changements sont-ils perçus sur le terrain ?

Deux, trois ou quatre mois. Tel est le nouvel horizon indépassable des procédures de PSE. En instaurant ces délais préfix, déterminés en fonction du nombre des postes supprimés, le législateur a fourni aux directions d’entreprise le principal élément de sécurisation. « Cela met fin en principe à l’incertitude quant au calendrier des consultations », estime Jean Martinez, avocat au cabinet CWA. « En principe », car les avocats se montrent prudents. D’une part, pour des raisons historiques : « Ce n’est pas la première fois que le législateur a prévu des délais mais, dans le passé, ceux-ci ont été ensuite annulés par la jurisprudence », rappelle l’avocat. D’autre part pour des raisons pratiques : « Il y a quand même des débordements, pointe pour sa part Emmanuelle Rivez-Domont, avocate au cabinet Jones Day. Les délais sont très courts pour tout le monde, et pas toujours réalistes lorsque l’expert du CE a des demandes extensives concernant plusieurs sociétés du groupe. Cela peut entraîner des retards conséquents dans la consultation du CE. Même si la loi prévoit que l’avis est réputé rendu à l’expiration du délai, les entreprises hésitent à faire homologuer leur plan par la Direccte dans ces conditions, pour ne pas prendre le risque d’un refus ou d’une annulation par le tribunal administratif. Mieux vaut attendre quelques semaines de plus. » Pour l’avocate, du reste, le contentieux sur les délais est amené à se développer.

Un rôle d’analyse pour la Direccte

Pourtant, les recours judiciaires semblent marquer le pas (lire l’encadré p. 24). La conséquence sans doute de l’impossibilité dans laquelle se trouvent désormais les IRP de saisir les tribunaux en cours de procédure. Mais peut-être aussi l’effet du poids renforcé de la Direccte, suggère Jean Martinez : « C’est un tiers extérieur qui peut rapprocher les points de vue et, par ses observations, créer des espaces de consensus. » Les Direccte, cependant, ne jouent pas qu’un rôle d’intermédiaire : elles interviennent très tôt dans le contenu des PSE qu’elles sont amenées à homologuer. « Elles se saisissent du fond des dossiers, analysent les mesures avec pragmatisme, et sans concession », constate Emmanuelle Rivez-Domont. Natixis en a fait l’expérience. Début janvier, la banque a dû clarifier ou modifier son projet de plan de départs volontaires (de 537 postes) sur plusieurs points, en réponse à un courrier d’observation de la Direccte Ile-de-France. Celle-ci s’interrogeant, entre autres, sur la garantie du volontariat en cas de suppression d’activité, la légalité des conditions d’éligibilité au congé de fin de carrière, et invitant Natixis à revoir à la hausse la rémunération et la durée du congé de reclassement, ou encore les aides à la formation… considérations que les entreprises ont intérêt à prendre en compte, rappelle Jean Martinez, puisqu’elles « préfigurent l’homologation ». Dans 10 % des cas, l’homologation du PSE a été refusée par l’administration. Début octobre, Norbert Dentressangle a dû revoir sa copie, notamment parce que les mesures du PSE ont été jugées insuffisantes par la Direccte Rhône-Alpes au regard des moyens du groupe. Après modifications, le PSE a été homologué un mois et demi plus tard.

Des mesures sécurisées par voie d’accord

À Chantelle, c’est l’accord collectif du plan de départs volontaires (PDV), centré sur les seniors, qui a été invalidé (lire p. 26). Un cas unique – la conclusion d’un accord majoritaire permettant en principe aux entreprises d’obtenir facilement l’aval de l’administration, puisque son contrôle ne porte alors que sur la légalité du plan. Ce qui explique sans doute en partie le nombre important de PSE ( 50 %) réglés par voie d’accord. Pour les syndicats signataires, l’accord est aussi un moyen de garantir un certain nombre de mesures, en particulier indemnitaires, puisque les Direccte n’incitent guère à gonfler les indemnités de licenciement dans les plans unilatéraux qu’elles homologuent. À Canon, l’accord a permis de sécuriser les mesures d’âge, dont l’administration n’est guère friande (lire p. 25).

Pour Christian Louis, directeur adjoint des affaires sociales et de la prévention à Air France, la loi favorise incontestablement le dialogue social. La compagnie aérienne a conclu fin novembre avec la CFDT, la CFE-CGC et FO un accord sur les mesures d’un plan de 1800 départs volontaires pour le personnel au sol, dans le cadre de la deuxième étape du plan Transform 2015. Pour autant, Christian Louis a démarré par la consultation du CE : « Les accords du plan Transform ont suscité une forte opposition de la part de certains syndicats, notamment contre les signataires. Commencer par ouvrir une négociation sur les mesures du PDV les aurait remis sous le feu des critiques. » Mais s’il a réussi à obtenir la signature des trois syndicats, c’est aussi, selon lui, parce que l’accord n’aborde pas les questions les plus délicates, comme le nombre de postes supprimés ou les catégories professionnelles touchées. C’est donc un accord partiel qui a été validé par la Direccte, qui a aussi homologué le plan sur les points exclus de l’accord.

Rares sont les accords qui, comme chez Canon, couvrent l’ensemble des sujets, y compris facultatifs, listés par la loi*. Aux laboratoires MSD aussi, l’accord signé en décembre laisse de côté les catégories et les critères d’ordre. « Nous laissons la responsabilité de ces points à la direction », tranche Claude Dagois, délégué syndical FO (signataire). À la différence d’Air France, toutefois, la négociation a eu lieu en amont des procédures. « Démarrer le chrono d’entrée paraissait délicat pour tout le monde, estime le syndicaliste. Néanmoins, c’est dommage de n’avoir pas abordé au moins le livre 2 pendant la négociation, pour pouvoir discuter en parallèle de la réorganisation et des postes supprimés. »

Privés de l’arme du TGI, les représentants du personnel ont en effet souvent le sentiment de ne plus pouvoir peser sur les choix d’organisation qui président au PSE. Or, pour Hervé Lassalle, délégué central CFDT d’Alcatel-Lucent, qui a annoncé en octobre 900 suppressions d’emplois, « la loi de sécurisation de l’emploi privilégie les débats en amont des décisions et renforce le rôle des syndicats sur les orientations stratégiques de l’entreprise. C’est pourquoi, avant de parler des mesures d’accompagnement, nous voulions connaître les justifications du plan « Shift », à l’origine du PSE ». Les conférences sociales organisées en novembre par la direction pour négocier les mesures du PSE ont donc tourné court. « Nous avons obtenu la tenue d’un comité de groupe, en présence du responsable du plan Shift, poursuit Hervé Lassalle. Les échanges nous ont permis de comprendre comment ce plan avait été construit et de faire des propositions alternatives avant d’ouvrir la consultation sur le volet social. » Celle-ci a démarré fin janvier. Sur la base non plus de 900 mais de 700 postes supprimés, qu’Alcatel-Lucent explique par une amélioration du marché.

* Outre les mesures du PSE, l’accord peut porter sur les modalités d’information-consultation du CE, la pondération des critères d’ordre et leur périmètre d’application, les catégories professionnelles, le nombre de suppressions d’emploi, le calendrier des licenciements, la mise en œuvre des mesures de reclassement.

L’ESSENTIEL

1 Depuis la loi de sécurisation de l’emploi, les PSE doivent être homologués par l’administration ou faire l’objet d’un accord collectif majoritaire, ce qui est le cas dans 50 % des situations.

2 L’intervention des Direccte conduit souvent les entreprises à adapter les mesures du plan, en privilégiant les outils de reclassement interne et externe.

3 Dans 5 % des cas, les PSE ont fait l’objet d’un recours en justice. Une décision d’homologation a été annulée en janvier par le tribunal administratif.

Des contentieux en baisse

Si Michel Sapin se réjouit d’une baisse des contentieux depuis l’application de la loi – 5 % de décisions contestées versus 30 % auparavant, selon le ministre – plusieurs PSE ont toutefois fait l’objet d’un recours en justice par les représentants du personnel, qu’il s’agisse de contester la procédure ou le niveau des mesures d’accompagnement.

Saisi par les syndicats de Ricoh et de Canon, le TGI s’est déclaré à chaque fois incompétent, ouvrant la voie dans le premier cas à l’homologation du PSE par la Direccte, dans l’autre à la signature d’un accord majoritaire. Mais les syndicats de Ricoh ne désarment pas, et ont aussi contesté l’homologation du PSE au tribunal administratif… Tout comme la CFDT et la CFTC de Norbert Dentressangle.

Chez Darty Ile-de-France, c’est la validation de l’accord majoritaire qui est portée devant le TA par la CGT. Les quelques décisions rendues par la juridiction administrative ne permettent pas pour le moment de tirer des enseignements significatifs. Une homologation a été annulée, en janvier, dans une clinique en liquidation judiciaire, pour une question de procédure liée au financement de l’expert.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI