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Lippi rétribue selon son code du vivre-ensemble

Pratiques | publié le : 04.02.2014 | VIOLETTE QUEUNIET

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Lippi rétribue selon son code du vivre-ensemble

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Autonomie des salariés et amélioration du vivre-ensemble sont les deux axes clés du management de cette PME charentaise. Depuis un an, un comité constitué de salariés volontaires revoit le système de rémunération pour le mettre en phase avec ces principes.

Chez Lippi, une entreprise de la Charente (16) fabriquant des clôtures, c’est un peu la révolution permanente depuis que les petits-fils du fondateur en ont pris les rênes en 2008. Julien et Frédéric, jeunes patrons progressistes, construisent peu à peu une organisation qui développe au maximum l’autonomie des salariés, source, selon eux, de performance pour l’entreprise. Toutes les initiatives issues du terrain sont encouragées, la communication entre services est facilitée, notamment par l’accès libre au compte Twitter de l’entreprise. Et, pour ouvrir leur champ de vision, les 300 salariés, de l’ouvrier au cadre, ont six jours de formation par an sur les réseaux sociaux, le design, la communication…

Suppression des primes

Cette vision de l’entreprise a conduit à repenser les rémunérations. Comment reconnaître et récompenser les mérites de chacun dans un système qui promeut l’intelligence collective ? D’abord en supprimant les primes individuelles, puis les primes collectives. Ces dernières ont été intégrées aux salaires. « La performance ne dépend jamais d’un seul individu ou d’une seule équipe, expose Julien Lippi. Du coup, la prime était une loterie. C’était contreproductif et ne représentait aucun intérêt pédagogique. Nous avons donc tout misé sur l’intéressement puisque, s’il y a du résultat, c’est que chacun y a contribué à part égale. » Même les commerciaux n’ont plus de primes, ce qui correspond à une nouvelle logique de relations avec les clients, axée sur le partenariat et la confiance. Mais c’est du côté des augmentations de salaires que les changements sont les plus radicaux. Tout est parti, en 2013, d’une demande du comité d’entreprise (CE) – Lippi n’a pas de syndicats –, qui avait négocié une enveloppe d’augmentation de salaire peu importante du fait d’un chiffre d’affaires en baisse. « Le CE a demandé à ce que seules les personnes les plus engagées bénéficient d’une augmentation plutôt que de procéder à un saupoudrage sur tout le monde », raconte Odile de Nantes, RRH de Lippi.

Une évaluation de type 360°

Comment évaluer l’engagement ? Les salariés eux-mêmes ont planché sur cette thématique. En l’occurrence les collaborateurs membres de trois comités mis en place à l’issue d’une démarche participative menée en 2012 sur l’avenir de Lippi à l’horizon 2017 : les comités reconnaissance, rémunération et renaissance. Ils ont travaillé sur les valeurs, produit un code du vivre-ensemble et, en concertation avec les dirigeants, dégagé quatre critères de reconnaissance : le respect des autres; la disponibilité pour les collaborateurs; la disponibilité pour les autres services et unités; l’engagement dans le lean (signaler les dysfonctionnements ; apporter, quand c’est possible, la solution soi-même).

Les salariés ont été évalués sur ces critères par leurs managers de terrain, et les managers, par la direction. Mais le comité de rémunération a souhaité aller plus loin : pourquoi les managers ne seraient-ils pas évalués sur les mêmes principes par leurs collaborateurs ? Banco ! C’est donc une évaluation de type 360° qui a été menée et qui a conditionné les augmentations.

Conséquence : ne pas dire bonjour, traduction du respect des autres, peut être sanctionné par une absence d’augmentation. La porte ouverte aux règlements de compte ? « Il est clair que cela représente des risques, admet Julien Lippi. Mais nous essayons de les limiter. Ainsi, les évaluations sont effectuées collectivement. Il n’est pas question de jouer la carrière d’une personne là-dessus. Mais c’est notre façon de fonctionner : on explique, on expérimente, on teste avec des précautions. »

Membre du comité rémunération, Rodrigue-Gatien Mafoua, par ailleurs opérateur dans l’atelier extrusion-simple torsion, estime que l’entreprise était mûre pour cette évaluation sur le comportement. « Cela a été possible parce que la politique de management a beaucoup changé. Si on l’avait fait auparavant, on aurait assisté à un carnage ! Aujourd’hui, le management est humain, on nous demande notre avis, les gens se sentent mis en valeur. Je trouve juste que les valeurs de respect soient évaluées et conditionnent la rémunération. » Quant à l’évaluation des managers par les collaborateurs, il pense qu’elle contribue à l’amélioration des comportements.

Les managers « mal notés » ont d’ailleurs fait l’objet d’un accompagnement (formation, coaching). Et Lippi entame actuellement une démarche avec l’agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) Poitou-Charentes pour repositionner le rôle des managers dans une organisation qui n’a rien de traditionnel.

Rémunération des compétences

En 2014, l’entreprise compte mettre de l’eau dans son vin. « Nous allons mieux considérer la compétence pour que le système d’évaluation soit plus robuste et plus sécurisé », prévoit Julien Lippi. Un travail sur la rémunération des compétences est d’ailleurs au programme du comité de rémunération. Se remettre en cause pour progresser fait partie du fonctionnement de l’entreprise. « La difficulté d’être innovant est de ne pas avoir de repères. Nous devons tout construire et procéder par essais-erreurs », estime le dirigeant.

Le comité rémunération a apporté également sa contribution au nouvel accord d’intéressement. Un travail mené avec le CE, qui a abouti à un abaissement du seuil de déclenchement du versement de la prime d’intéressement. « Ce travail a été l’occasion d’élargir le champ de vision des salariés, de les sensibiliser à la gestion d’entreprise et aux problématiques de rentabilité, indique Odile de Nantes. Un expert-comptable est venu expliquer les grandes lignes d’un compte de résultat, et nous avons passé un film sur les finalités de l’entreprise. » Également membre du comité de rémunération, elle s’enthousiasme de la liberté laissée aux collaborateurs : « Je retrouve ce pour quoi j’ai choisi ce métier : redonner du sens. »

Une université de l’entrepreneuriat

En association avec d’autres PME adeptes du management participatif (la biscuiterie Poult, le groupe Inov-On…), Lippi va lancer cette année une université de l’entrepreneuriat interentreprises.

Elle s’adressera aux salariés des PME partenaires. Objectif : former par l’apprentissage des entrepreneurs sur le modèle de la Team Academy, business school d’origine finlandaise consacrée à l’entrepreneuriat. Le principe étant de commencer par l’action et d’apporter ensuite la théorie correspondant à l’expérience.

« À l’issue du cursus, certains créeront une filiale, d’autres resteront dans l’entreprise mais seront plus entreprenants dans leur travail, d’autres enfin partiront pour créer leur propre entreprise, explique Julien Lippi, codirigeant de l’entreprise. Notre logique est d’enrichir les compétences de chacun. »

1 Promoteur du management participatif, Lippi a fini par supprimer les primes individuelles et collectives, y compris celles des commerciaux.

2 Un comité de rémunération a contribué à lier les augmentations de salaire au respect des valeurs de l’entreprise. Managers et collaborateurs ont été évalués à 360° avec cet objectif.

3 Mais l’entreprise poursuit sa réflexion et s’attaque cette année à la rémunération des compétences, afin de rééquilibrer son système d’évaluation.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET