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« L’université d’entreprise crée une promesse, à l’entreprise de la tenir »

Enjeux | publié le : 04.02.2014 | VIOLETTE QUEUNIET

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« L’université d’entreprise crée une promesse, à l’entreprise de la tenir »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Passer par une université d’entreprise est perçu par les salariés comme une reconnaissance de leurs compétences. Mais le lien avec la gestion de carrière est rarement réalisé, au risque de générer des frustrations.

E & C : Vous avez effectué une étude sur les universités d’entreprise. Ces institutions ont-elles le vent en poupe ?

Xavier Philippe : Oui. Au départ, seuls les grands groupes créaient leur université d’entreprise. Aujourd’hui, c’est aussi le cas de groupes de taille moyenne comme Clarins ou la Matmut. On observe aussi une tendance à l’ouverture, à la démocratisation. Très élitistes à leur création, réservées aux cadres dirigeants et supérieurs, notamment pour des raisons de coût, les universités s’ouvrent davantage à l’ensemble du personnel. Enfin, il y a une tendance au “diplômant”. De plus en plus, deux types de programme coexistent : les programmes courts et ceux qui mènent, généralement en une année, à un diplôme. C’est d’ailleurs pour cette raison que les universités d’entreprise travaillent souvent en partenariat avec une institution académique reconnue, grande école ou université, qui apposera sa marque sur le parcours du salarié. En France, quasiment toutes les universités d’entreprise délivrent un diplôme avec un partenaire académique.

E & C : Qu’est-ce qui distingue une université d’entreprise d’un centre de formation ?

X. P. : Avant d’être un endroit où l’on forme, l’université d’entreprise est un endroit où l’on reconnaît. À la limite, la formation est un alibi. L’université d’entreprise est une institution, en tout cas, une institution seconde, c’est-à-dire une institution à l’intérieur de l’entreprise qui permet de faire de l’entreprise une institution. Le salarié qui passe par l’université d’entreprise est reconnu. Cette reconnaissance permet d’attacher les individus à l’organisation et de la faire passer pour une institution, c’est-à-dire quelque chose qui fixe des règles, qui inclut des individus dans une certaine forme de communauté, qui permet l’intégration cognitive par l’individu de l’existence de l’entreprise comme un repère.

D’ailleurs, à la différence d’un centre de formation, l’université d’entreprise est toujours créée par la volonté d’un dirigeant. C’est ce qui lui donne son caractère institutionnel, ainsi que tout ce qui relève des rites, des cérémonies, du symbolique. Quand le dirigeant vient remettre en mains propres le diplôme avec un professeur de l’école ou de l’université partenaire, c’est extrêmement gratifiant pour les participants, et cela participe de la reconnaissance. Parce qu’elle est une institution, l’université d’entreprise est aussi l’endroit où se diffusent les valeurs de l’entreprise. Certaines universités peuvent même participer à la construction de ces valeurs.

E & C : L’université d’entreprise est-elle un outil de fidélisation ?

X. P. : L’université d’entreprise arrive à résoudre le paradoxe suivant : elle permet à des salariés d’obtenir un diplôme en partenariat avec une école ou une université prestigieuse, qui leur donne une visibilité sur le marché, mais pourtant, ils restent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été reconnus. C’est parce qu’ils étaient là qu’ils ont pu avoir ce diplôme. Prenons l’exemple de Groupama. L’université d’entreprise avait un programme nommé “Mission Manager”, en partenariat avec l’ESCP, qui a duré plus de dix ans. Sans ce programme, les bénéficiaires n’auraient jamais intégré une école de commerce de ce niveau. C’est donc un vrai levier de reconnaissance et cela crée de l’attachement. Mais cela crée aussi une promesse : les personnes qui suivent ce type de programme ont ensuite des attentes en termes de carrière.

E & C : Cette promesse de carrière se concrétise-t-elle ?

X. P. : Malheureusement, c’est loin d’être systématique. L’université d’entreprise, si elle crée une promesse, ne se charge pas de sa réalisation. Cela a pour conséquence de créer du désengagement chez les salariés. Non pas du turnover, car ils restent profondément attachés à l’organisation. Mais ils se mettent en retrait, ce qui est pire.

E & C : Que faut-il faire pour résoudre ce problème ?

X. P. : Il faut créer un lien entre l’université d’entreprise et les gestionnaires de carrière dans l’entreprise. C’est plus facile à faire dans les petites structures où, souvent, l’université est virtuelle : elle n’a pas de locaux, donc les fonctions sont partagées entre l’entreprise et l’université. Des personnes des RH s’occupent à la fois des questions de formation et de développement des carrières. Plus la structure est importante, plus l’université s’autonomise et se dégage de la question des carrières.

Il est nécessaire aussi de revoir la sélection des personnes qu’on envoie à l’université, pour qu’à chaque place en formation corresponde une possibilité de promotion, ou, en tout cas, que ce soit plus systématique. Souvent, les parcours sont très bien faits, de la sélection à la remise du diplôme ou du certificat, mais après, tout reste en suspens. Il faut qu’au bout de six mois, la question soit réglée.

Cela nécessite aussi un effort de communication. On se rend compte aujourd’hui que beaucoup de salariés arrivent en formation dans l’université d’entreprise sans comprendre exactement pourquoi ils sont là.

E & C : Selon vous, l’université d’entreprise doit-elle se réinterroger sur sa fonction ? La diffusion de valeurs et la reconnaissance par un diplôme ne suffisent-elles plus ?

X. P. : C’est moins l’université d’entreprise qui doit se réinterroger sur son action que l’entreprise. L’entreprise doit prendre conscience que, lorsqu’elle met en place un mécanisme institutionnel tel qu’une université d’entreprise, elle donne des règles, un mode de conduite aux individus. Ce n’est pas que symbolique ! Ce mode de conduite va structurer des attentes qu’il ne faudra pas décevoir. Autre recommandation : quand on met en place un diplôme, il faut faire preuve de constance. Une institution, cela s’installe dans la durée. On ne peut pas faire une promotion de diplômés et s’arrêter là.

Enfin, lorsqu’on crée une université d’entreprise, il faut réfléchir aux valeurs que l’on veut diffuser. Elles ne doivent pas être plaquées, mais correspondre vraiment à l’organisation. On retrouve trop souvent les mêmes valeurs d’une entreprise à l’autre. Innovation, qualité, partage, progrès : c’est très bien, mais le concurrent d’à côté a exactement les mêmes. Il est conseillé d’associer les salariés, tout au moins lors des premières promotions, à la définition des valeurs. Le symbolique doit être partagé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

PARCOURS

• Xavier Philippe, sociologue du travail, est professeur en GRH et sociologie du travail à Neoma Business School (école de management issue de la fusion des ESC Rouen et Reims). Il a commencé sa carrière dans la formation continue, où il a fait de l’ingénierie pédagogique.

• Il est l’auteur d’une thèse “L’Institution seconde Université d’entreprise. Une analyse de l’imaginaire organisationnel” (2012), dont il a tiré l’étude “Universités d’entreprise : objet formant non identifié” pour la chaire Nouvelles carrières de Neoma Business School.

SES LECTURES

• Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt, Pocket, 2002.

• Du côté de chez Swann, Marcel Proust, Folio Plus Classiques, 2013.

• L’Institution imaginaire de la société, Cornélius Castoriadis, Seuil, coll. Points, 1999.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET