logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

Entretien annuel : peut mieux faire !

Pratiques | publié le : 28.01.2014 | DOMITILLE ARRIVET

Image

Entretien annuel : peut mieux faire !

Crédit photo DOMITILLE ARRIVET

Dans les entreprises, la période des entretiens individuels est ouverte. Dans un contexte de pression croissante sur les performances, l’exercice mérite d’être bien préparé par les managers sous peine de s’exposer à des résultats contre-productifs.

Bien menés, les entretiens individuels qui se tiennent avec une certaine assiduité dans les entreprises françaises de tou­tes tailles ont, d’après une étude conduite en 2011 par le Centre d’analyse stratégique, un effet positif sur la motivation au travail. Cependant, ils sont à double tranchant. « Y mettre trop d’enjeu, c’est quitte ou double : je souhaite qu’on ne considère pas l’entretien d’évaluation comme la pierre angulaire de notre politique RH », assène ainsi Catherine Djunbushian, la DRH du groupe agroalimentaire Sodiaal. Pour cette femme au riche parcours professionnel, l’exercice n’est pas si simple à mener : « Durant cet entretien, le salarié et son supérieur hiérarchique doivent se dire ce qu’il s’est passé durant une année, sans toucher la personne et son estime de soi. Or, en France, on aime bien appuyer là où ça fait mal. Il faudrait au contraire appuyer là où cela fait du bien », plaide-t-elle.

Aussi, à Sodiaal, la formation des managers aux entretiens d’évaluation est inscrite à l’agenda des stages de conduite du changement, qui abordent globalement la façon de faire grandir les équipes. « Nous ne nous concentrons pas sur les outils que les managers doivent utiliser pour les entretiens, mais sur leur manière d’être. Ces entretiens d’évaluation doivent être avant tout une rencontre : le management top down, c’est fini ! », estime la DRH.

Pour autant, des outils existent et l’entretien d’évaluation respecte des règles. Histoire que les supérieurs hiérarchiques ne soient pas tentés de dépasser leur rôle. « Les abus et les comportements de petits chefs ne sont pas faciles à percevoir, mais les risques sont possibles en période de crise, lorsque les objectifs deviennent plus difficiles à atteindre. Ce sont par les signaux faibles que l’on peut les repérer : l’absentéisme, les taux d’accident du travail… », ajoute Catherine Djunbushian. Dans ce même souci d’objectivité, la DRH a déconnecté les questions de rémunérations de ces entretiens. « En effet, les années où l’entreprise n’a pas d’enveloppe pour les augmentations, la dérive pourrait consister à faire des mauvaises évaluations pour ne pas avoir à décerner d’augmentation de salaires », justifie-t-elle. Quant aux salariés, ils se préparent classiquement à l’entretien d’évaluation à partir d’un document qui leur permet de faire eux-mêmes l’état des lieux de leurs réalisations, de leurs difficultés et de leurs objectifs de progrès. Un travail utilisé comme base de discussion lors de l’entretien.

Formation spécifique

Chez le spécialiste du conseil en informatique Capgemini, l’entretien individuel est cette année renforcé, dans le but d’élargir le nombre de ses bénéficiaires. Il est en effet apparu qu’une partie des effectifs – les 16 % de salariés qui travaillent en forfait jours – n’était pas suffisamment suivie par sa hiérarchie, pour des raisons d’éloignement géographique. Il en résultait parfois une surcharge de travail. « Dans nos métiers à dominante intellectuelle, les risques sont surtout psychosociaux », reconnaît Marc Veyron, directeur des affaires sociales du groupe. L’accord sur la santé au travail que la société vient de signer prévoit une formation spécifique à la conduite de l’entretien professionnel pour les nouveaux dans l’entreprise. Quant aux “anciens”, ils sont formés lors d’un module complet sur la santé au travail. Une journée dispensée en interne par les services RH. « Cette formation comporte une première partie en e-learning destinée à mettre à niveau les connaissances de base, puis une journée en présentiel, qui porte sur la pratique, avec des mises en situation et des jeux de rôle », détaille Marc Veyron. Chez Capgemini, l’entretien professionnel, qui revêt le triple objectif de concevoir l’évolution professionnelle du salarié (10 % des effectifs sont promus chaque année), d’établir des plans de formation personnalisés et de formuler les demandes d’évolution des rémunérations en fonction de l’évaluation de la performance, les résultats, totalement informatisés, sont une compilation de l’autoévaluation faite par le salarié et des conclusions du manager. Ces données passent ensuite sous les fourches caudines d’un comité carrières qui réunit les managers opérationnels et les responsables RH.

Un modèle à bout de souffle

Mais, aujourd’hui, certaines voix s’élèvent contre les outils très cadrés de ce type. Il y a ceux qui les établissent à la légère pour en finir au plus vite avec cet exercice chronophage, ceux qui les édulcorent craignant les représailles, et ceux qui en oublient l’essentiel : la relation humaine. Pour Philippe Canonne, DRH du groupe Fnac, les outils d’évaluation ont pris une place bien trop importante dans l’exercice du management. « Alors qu’ils ont été développés pour accompagner les entretiens annuels, ils sont devenus l’objet même du travail. On déploie une énergie folle à les faire fonctionner. Un bon DRH aujourd’hui, c’est celui qui obtient un bon taux de remplissage de ses grilles d’évaluation, qui prouve que tous l’ont fait et que l’information a bien circulé en cascade. Le reste, on s’en fiche ! », s’insurge-t-il. « Ce modèle est à bout de souffle. Le monde du travail n’y croit plus. On le constate par le manque d’adhésion des salariés. Quant au management, il a perdu de sa légitimité et de son efficacité », estime ce professionnel, qui rêve d’un nouveau pacte social dans lequel salariés et entreprises redéfiniraient ce qu’ils attendent les uns des autres : d’un côté les objectifs économiques de l’entreprise, de l’autre ce que l’entreprise offre aux salariés pour se développer. Et cette nouvelle relation, selon Philippe Canonne, doit passer par un management doté de beaucoup plus d’autonomie dans la conduite des entretiens et de beaucoup plus de latitude sur les décisions qui s’ensuivent. « Ce ne sont pas les outils qu’il faut changer, ce sont les mentalités », plaide-t-il.

L’ESSENTIEL

1 L’entretien annuel d’évaluation se pratique en général avec assiduité dans les entreprises françaises. Les experts reconnaissent l’intérêt de cette rencontre formalisée entre manager et managé.

2 Encore faut-il que le manager sache conduire cet entretien. Il existe des règles à respecter afin d’éviter des dérapages pouvant conduire à l’émergence de risques psychosociaux.

3 Se conformer à la bonne utilisation de l’outil d’évaluation ne suffit pas. Il faut donner un sens à la relation entreprise-salariés. Certaines entreprises ont choisi de former leurs managers à cet exercice.

Éviter les contentieux

« Il s’agit d’être extrêmement prudent avec les entretiens d’évaluation, car, mal conduits, ils peuvent être des catalyseurs de la notion de souffrance au travail », avertit Me Marie-Hélène Bensadoun, avocate au cabinet August & Debouzy. Elle recommande tout d’abord une grande rigueur lors de la mise en place des outils d’évaluation (information ou consultation des instances CE et CHSCT, déclaration à la Cnil en cas de traitement automatisé des données), mais aussi dans leurs modes d’évaluation. « Si l’évaluation comporte un critère comportemental, celui-ci doit être exclusivement professionnel et suffisamment précisé. Si l’évaluation comprend un classement des salariés par groupes, que ce ne soit pas des quotas. »

Enfin, en cas de contentieux, l’avocat analysera si les reproches faits au salarié sont établis sur des critères objectifs et des faits concrets. Il évaluera aussi si le management a mis le salarié en mesure d’atteindre les objectifs qui lui ont été assignés. « L’entretien d’évaluation doit permettre au salarié d’évoluer.

Les tribunaux seront très sensibles au fait que l’entreprise ait donné une chance à l’employé », recommande l’avocate.

Auteur

  • DOMITILLE ARRIVET