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« La confiance ne se décrète pas par la seule grâce du rapport hiérarchique »

Enjeux | publié le : 28.01.2014 | ÉRIC DELON

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« La confiance ne se décrète pas par la seule grâce du rapport hiérarchique »

Crédit photo ÉRIC DELON

La performance des salariés, notamment de ceux qui sont en contact direct avec des clients, dépend largement des pratiques managériales de l’entreprise. La relation de confiance entre manager et managé, de même que la formation professionnelle, contribuent à améliorer le service.

E & C : Vous venez de participer à une enquête franco-américaine destinée à mesurer le degré de confiance entre les managers et leurs collaborateurs. Quel est le contexte de ce travail de recherche ?

Pierre-Yves Sanséau : Cette recherche a été menée par une équipe américaine et française en 2011 et 2012. L’objectif consistait à mieux comprendre et à mesurer la relation entre la formation des collaborateurs, la confiance manifestée à l’endroit de leur supérieur hiérarchique immédiat et leur performance au travail. Les données ont été récoltées auprès de 457 personnes en contact direct avec la clientèle, travaillant dans des banques du sud des États-Unis (Louisiane, Floride, Texas, Mississippi). Il est notoire que les entreprises américaines accordent une importante toute particulière à la relation client, notamment dans le domaine bancaire. Toutefois, il n’est pas rare de constater des décalages manifestes entre le niveau de service annoncé par l’entreprise et la réalité perçue par les clients américains, particulièrement exigeants dans ce domaine. Aux États-Unis, il est fréquent qu’une déception du client ou un engagement non tenu par une entreprise entraîne une plainte et un changement immédiat de fournisseur – banque, compagnie de téléphone, loueur longue durée d’automobile. La performance des salariés en contact direct avec le client résulte en grande partie de la “posture service” de la partie immergée de l’entreprise et de l’ensemble des principes et des pratiques managériales qui y sont appliqués. D’où l’intérêt de remonter en amont et de s’intéresser à l’impact et aux liens entre la formation, la confiance et la performance.

E & C : Quels sont les liens entre performance et confiance ?

P.-Y. S. : Cette étude est partie du constat d’un déficit de connaissances scientifiques dans deux domaines. D’une part par rapport aux techniques managériales utilisées pour améliorer la performance des collaborateurs en contact direct avec le client. D’autre part, sur la nature de la confiance au travail entre salariés et supérieurs hiérarchiques directs en lien avec des dimensions RH – formation notamment. L’étude souligne une très forte corrélation entre la qualité de la formation professionnelle délivrée par les banques et la performance de ces collaborateurs – connaissance des attentes et satisfaction du client, gestion du temps de travail, connaissance des produits et services délivrés, bien-être au travail. L’étude souligne par ailleurs un lien tout à fait significatif entre la perception qu’ont les salariés de leur supérieur direct et la confiance qu’ils manifestent à son endroit. La notion de perception est ici identifiée à l’intégrité – honnêteté et adéquation entre les paroles et les actes –, à la bienveillance et aux habiletés professionnelles du supérieur hiérarchique direct. L’enquête souligne également une corrélation entre la confiance manifestée par les salariés envers leur supérieur hiérarchique direct et leur performance au travail. L’explication ? Lorsque des actions de formation sont mises en place, le supérieur hiérarchique adopte alors davantage un rôle d’accompagnant qu’une posture managériale classique. Il se retrouve bien moins impliqué dans la relation supérieur hiérarchique-collaborateur.

E & C : En quoi ces constats peuvent-ils faire résonance dans le contexte français ?

P.-Y. S. : La notion de service au client à travers la performance des employés, au-delà des différences nationales – appréhension différente du service et du niveau de service, d’attente consciente et inconsciente entre les deux pays –, monte en puissance dans l’Hexagone, où le secteur des services représente déjà 70 % de l’activité, où les monopoles ont tendance à s’effilocher et où la concurrence redouble d’intensité – assurances, téléphonie, transports… De plus en plus déterminante, la relation avec le client interroge la performance des salariés en contact avec ce dernier. Comment la qualifier, la faire évoluer, la développer, la structurer au-delà des discours et des injonctions managériales convenus ?

E & C : Comment devrait-on agir dans les entreprises françaises pour augmenter la confiance entre managers et managés ?

P.-Y. S. : La notion de perception entre salariés en première ligne – face au client – et leur supérieur direct, mais aussi de confiance entre les deux parties sont à intégrer dans les réflexions et les actions managériales. La confiance ne se décrète pas par la seule grâce du rapport hiérarchique. À l’inverse, elle se bâtit à partir de notions – à la condition qu’une traduction concrète se produise sur le terrain – telles que l’intégrité, la bienveillance et la démonstration bien réelle d’habiletés professionnelles. Cette approche vertueuse devrait s’inscrire dans la durée et ne pas simplement survenir à l’occasion d’un événement traumatisant, comme c’est trop souvent le cas.

La place et le rôle du supérieur de premier niveau sont déterminants dans la performance globale de l’entreprise, notamment dans la capacité et les attitudes que manifesteront les salariés en contact direct avec le client. Le management supérieur, qui planifie et dicte, laisse souvent bien seul le supérieur de premier niveau face à ses rôles et responsabilités et ne porte que peu d’attention aux salariés. Le réflexe bien ancré en France de distinction entre ceux qui élaborent la stratégie et ceux qui l’appliquent gagnerait à être reconsidéré afin de fluidifier le management et, au final, améliorer la relation de service. Le poids des traditions managériales françaises teintées d’élitisme, distinguant ceux qui “pensent” et ceux qui “appliquent”, se ressent encore dans de trop nombreuses organisations.

Par ailleurs, l’étude souligne que la formation demeure un élément déterminant au service de la performance. Le paradoxe est cruel : les dépenses hexagonales en termes de formation professionnelle sont parmi les plus élevées au monde alors que la performance d’un grand nombre de ses entreprises est sujette à caution. De nombreuses études ont démontré que la réussite d’une formation reposait largement sur la perception par la personne formée de l’efficacité de la formation, de l’utilité de cette dernière, mais aussi de la performance du formateur en lien avec la satisfaction de la formation reçue. La confiance et, partant, la performance reposent largement sur les aspects informels du management : écoute, prise en considération, honnêteté, exemplarité, proximité, sens… Bref, tout ce qui permet à l’édifice managérial d’être considéré autrement par les principaux intéressés : les collaborateurs de premier niveau.

PARCOURS

• Pierre-Yves Sanséau est professeur senior de GRH à Grenoble École de Management. Il est membre de la chaire Mindfulness, bien-être au travail et paix économique, qui regroupe chercheurs et praticiens d’entreprise sur l’articulation slow-management et performance.

• Il est également chercheur affilié à la San Jose State University, au cœur de la Silicon Valley, en Californie, et coach professionnel certifié.

• Il est auteur de Se connaître pour mieux gérer son temps (PUG, 2012).

LECTURES

• Le manager intuitif. Vers l’entreprise collaborative, Meryem Le Saget, Dunod, 2013.

• Managers, utilisez votre intelligence organisationnelle. Le succès, une question d’attitude, Bernard Radon, Dunod, 2013.

• Manifeste pour une éducation à la paix économique, sous la direction de Raffi Duymedjian et Jean-Marc Huissoud, PUG, 2012.

Auteur

  • ÉRIC DELON