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États-UnisYAHOO ! SECOUÉ PAR LE CLASSEMENT DES SALARIÉS

Pratiques | International | publié le : 21.01.2014 | CAROLINE TALBOT

L’entreprise impose une évaluation individuelle trimestrielle des salariés. Inquiétude chez les managers, qui s’épanchent sur les blogs spécialisés en dénonçant un forced ranking… et débat dans le pays sur les effets de ce système.

La fin de l’année 2013 a offert aux commentateurs américains l’occasion d’apprécier le bilan de l’action de Marissa Mayer à la tête de Yahoo !. Un rendez-vous d’autant plus immanquable que le moteur de recherche reste un des géants de l’Internet, et qu’il était en perte de vitesse depuis plusieurs années quand elle en a pris la barre. Sans compter que la jolie jeune femme de 38 ans, que le magazine féminin Vanity Fair voit comme “la déesse geek de Yahoo !”, est une des seules patronnes à la tête d’une telle société technologique.

Mais ce sont aussi les spécialistes des ressources humaines qui ont pu commenter l’“effet Marissa Mayer”. Non contente d’avoir imposé en juin le retour au bureau des télétravailleurs (lire aussi Entreprise & Carrières n° 1153), elle a institué un système d’évaluation imposant un classement des salariés mal perçu en interne. Les chefs de service doivent s’y soumettre chaque trimestre, avec des quotas à respecter : 10 % des intéressés dépassent largement les objectifs, 25 % les dépassent, 50 % les atteignent, 10 % ne les atteignent qu’en partie et 5 % n’y parviennent pas. Ce classement a été popularisé dans les années 1980 par le Pdg de General Electric, Jack Welch, avec l’obligation de placer un certain nombre de salariés dans la catégorie des mauvais contributeurs (forced ranking), justifiant ensuite leur licenciement. Ni Marissa Mayer, ni Jackie Reses, DRH de Yahoo !, n’ont évoqué en public la nouvelle mesure. Mais les chefs de service et leurs employés se sont épanchés sur un blog de la high-tech, AllThingsD.com, pour dire combien il leur paraît difficile de suivre la directive. Et 500 à 600 personnes auraient dû quitter Yahoo ! ces derniers mois, selon les témoignages recueillis par le site spécialisé.

Négatif à long terme

Cette révolte en ligne a relancé tout un débat aux États-Unis sur les bénéfices et les inconvénients d’un tel programme. « La première année, vous coupez le bois mort, explique Brooks Holtom, professeur de management de la McDonough School of Business de l’université Georgetown. Mais si vous continuez les années d’après, les effets négatifs se font de plus en plus sentir à long terme, notamment un environnement créateur de stress, une perte du travail d’équipe et de créativité. » Une étude de l’Institute for Corporate Productivity annonce que les déçus du forced ranking se multiplient : « Deux tiers des entreprises qui l’utilisaient en 2009 l’ont abandonné deux ans plus tard ». Dernier en date, et non des moindres, le groupe Microsoft vient d’annoncer la fin du ranking dans ses bureaux, afin d’« encourager innovation et créativité ».

Or l’un des objectifs de Marissa Mayer était précisément de relancer l’innovation et l’attractivité de Yahoo !. Ses défenseurs notent qu’elle a hérité d’un groupe malade, confronté à des problèmes de productivité. Six Pdg se sont succédé en cinq ans, chacun avec un projet de relance et des embauches liées à une nouvelle stratégie. Du coup, Yahoo! est considéré en sureffectif. Mais la CEO n’aurait pas voulu d’un vaste plan de licenciement, considérant que la culture de l’entreprise n’y survivrait pas. Et elle a dû affirmer dans une séance de questions-réponses avec les salariés que le ranking ne constituait pas une restructuration silencieuse. « Il n’y a pas de classement forcé, assure aujourd’hui la direction de Yahoo !, en dépit des témoignages de managers. Pas de règle rigide sur la catégorisation des salariés. » Il y aurait donc au moins une difficulté de mise en œuvre et de communication de la mesure, qui passe moins bien que l’évaluation chez Google.

Intérêt des jeunes

Car Marissa Mayer a apporté chez Yahoo ! une partie de la culture de son ex-employeur: les repas gratuits, les bureaux ouverts, les smartphones pour tous, la réunion hebdomadaire direction- salariés pour parler sans façon… Elle a amélioré les congés de maternité, mis en œuvre des solutions de garde d’enfant. Les parkings de Yahoo !, qui se vidaient rapidement après 16 heures, sont désormais occupés bien plus tard. Et l’entreprise suscite à nouveau l’intérêt des jeunes programmeurs: le groupe reçoit 12 000 CV par semaine, 6 fois plus qu’il y a 18 mois. Bref, Yahoo ! semble revivre. Jusqu’aux prochains entretiens d’évaluation ?

Auteur

  • CAROLINE TALBOT