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« L’emploi des seniors nécessite de développer le travail soutenable »

Enjeux | publié le : 21.01.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« L’emploi des seniors nécessite de développer le travail soutenable »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

L’obligation légale de rester plus longtemps en emploi conduit à s’interroger sur la soutenabilité des conditions de travail afin qu’elles permettent aux travailleurs âgés de continuer effectivement leur activité. Si l’on sait comment rendre le travail moins éprouvant, la question demeure des conditions de la mise en place d’un travail soutenable.

E & C : Pouvez-vous préciser le lien que vous établissez entre l’allongement de la durée du travail et les conditions de travail des seniors ?

Serge Volkoff : Les conditions de vie et notamment de travail peuvent accélérer le processus physiologique du vieillissement : la presbyacousie en cas d’exposition au bruit, l’usure des vertèbres lombaires avec le port de charges lourdes ou les mauvaises postures, l’insomnie – déjà fréquente chez les femmes âgées notamment – aggravée par des horaires atypiques…

Les conditions de travail, quant à elles, tolèrent ou ne tolèrent pas les changements naturels qui tendent à se manifester avec l’âge.

Certains aspects du travail, statistiquement, posent plus de problèmes aux personnes vieillissantes qu’aux jeunes ou, plus rigoureusement, posent des problèmes à davantage de personnes âgées.

Un des problèmes majeurs rencontrés par les seniors est par exemple la difficulté à travailler dans l’urgence. Les “vieux” ne sont pas plus lents que leurs cadets si on leur permet de travailler à leur façon, mais ils résistent moins bien à une exigence permanente de précipitation. Les contraintes procédurales et de cadence ne leur laissent pas le loisir de s’organiser pour mobiliser leur expérience. L’on voit alors apparaître des problèmes de fatigue, d’anxiété, des douleurs, etc.

Si l’on prend acte de la nécessité légale de travailler plus longtemps, il semble important de s’interroger sur les conditions de travail de tous, mais particulièrement des seniors, pour que cette exigence puisse rencontrer la réalité : ce n’est pas tout de devoir cotiser plus longtemps, encore faut-il pouvoir tenir jusqu’à la retraite.

E & C : Vous avez contribué à développer l’idée de “travail soutenable”, qu’entendez-vous exactement par ces termes ?

S. V. : Les premiers à avoir introduit le concept sont une équipe de chercheurs de l’université de Stockholm sous la direction de Peter Docherty à partir de 2002. Leur livre, Creating sustainable work systems. Emerging perspectives and practice (1), avait pour objectif de favoriser le développement de la qualité de vie au travail telle qu’elle pouvait exister en Suède, par exemple, en opposition avec des formes de travail intensif caractérisant davantage les pays du sud de l’Europe.

Le projet s’inscrivait dans un contexte de convergence entre les différents systèmes de travail et de production dans les pays de l’Union européenne. Au Centre d’études de l’emploi, dans le prolongement de leur réflexion, nous entendons par travail soutenable “un système de travail biocompatible, adapté aux propriétés fonctionnelles de l’organisme et à leur évolution au fil de l’existence; ergocompatible, donc propice à l’élaboration de stratégies de travail efficientes; et sociocompatible, donc favorable à l’épanouissement dans les sphères familiale et sociale, à la maîtrise d’un projet de vie” (2). Trois aspects majeurs, donc : compatibilité avec le développement biologique des individus, ergonomie et dimension sociale. Le but étant de mettre en place des formes de travail qui ne détruisent pas les ressources humaines – en anglais : consume –, mais permettent que celles-ci se régénèrent dans l’activité, puisque le travail peut aussi contribuer au maintien de la santé physique et des compétences, quand il est accompli dans de bonnes conditions. Cela est valable pour tous les âges, bien sûr, mais a fortiori pour les seniors.

E & C : Où en sommes-nous aujourd’hui ?

S. V. : En 2000, le Conseil européen avait fixé un taux d’emploi de 50 % pour les 55-64 ans à l’horizon 2010. Ce niveau n’était pas tout à fait atteint en 2010, mais l’emploi des seniors progresse dans tous les pays d’Europe, et la poursuite de cette tendance est probable. Mais l’enquête européenne de 2010 sur les conditions de travail (3) ne fait pas apparaître de mise à l’abri de la pénibilité physique pour les plus de 55 ans. Les formes de pénibilité extrême tendent à reculer pour les hommes – on constate une décroissance progressive du port des charges lourdes –, cependant, ce n’est pas le cas pour les femmes et, dans d’autres domaines comme le bruit ou les postures fatigantes, une variation de ce type n’est perceptible qu’après 55 ou 60 ans. Par ailleurs, la dernière enquête Surveillance médicale de l’exposition aux risques professionnels (Sumer) de 2010 montre une progression de la pression temporelle au travail en constante augmentation pour tous les travailleurs – contraintes de rythme, exigence de réponse immédiate, multiplication des normes, contrôles informatisés… – ; or on a vu qu’elle était particulièrement difficile à assumer pour les seniors. La probabilité d’avoir “des cadences de travail élevées” au moins la moitié du temps recule de 15 points entre la tranche d’âge 50-54 ans et celle des plus de 60 ans. Le travail de nuit recule également à partir de 55 ans pour les deux sexes, de même que le travail alternant, qui diminue à partir de 60 ans chez les hommes et de 55 ans chez les femmes. Mais il est difficile de discerner dans ce relatif allégement des contraintes ce qui tient à l’amélioration des conditions de travail pour cette classe d’âge et ce qui tient au fait que celle-ci serait relativement à l’abri des conditions les plus pénibles parce qu’elle a évolué dans l’emploi ou parce qu’elle n’a pas pu s’y maintenir.

E & C : Comment agir pour la soutenabilité ?

S. V. : On sait ce qu’il convient de faire : limiter les horaires atypiques au strict nécessaire, reconsidérer la hâte pour réserver les traitements “en urgence” aux vraies urgences, atténuer les exigences physiques posturales en aménageant les postes de travail…

Par contre, la question du comment-faire reste pleinement d’actualité. Les solutions se situent certainement à la conjonction d’incitations par les politiques publiques – soutien financier pour les expériences antipénibilité, aide au conseil, programmes d’anticipation des reconversions appuyés sur des moyens en formation… – et d’une remise en cause de la notion de performance à court terme au profit de celle de long terme. Cela passe peut-être par la remise en question de la financiarisation de l’économie, qui exige des rendements rapides. Dans la mesure où un parallèle existe entre la soutenabilité du travail et la durée dans un poste des dirigeants qui, actuellement, sont appelés à changer de fonction tous les deux ou trois ans, il semble également que ralentir ce rythme pourrait contribuer à favoriser une vision à plus long terme de ceux dont la mission est d’organiser le travail pour les autres.

(1) Routledge, Londres, 2002.

2) À propos du “travail soutenable”. Les apports du séminaire interdisciplinaire “Emploi soutenable, carrières individuelles et protection sociale”, 2008. <cee-recherche.fr>.

(3) Enquête quinquennale de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail coordonnée par l’Institut Gallup.

PARCOURS

• Serge Volkoff est statisticien et ergonome. Il siège au Conseil d’orientation des retraites depuis sa création en 2000.

• Ex-responsable des études et statistiques sur les conditions de travail à la Dares, il a dirigé le Centre de recherches sur l’expérience, l’âge et les populations au travail (Creapt) et l’unité Âges et travail au Centre d’études de l’emploi.

• Il est auteur ou coauteur de nombreux ouvrages et articles, dont Emploi des seniors en Europe : les conditions d’un travail “soutenable” (Connaissance de l’emploi n° 106, 2013).

LECTURES

• La vie professionnelle : âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail, A.-F. Molinié, C. Gaudart, V. Pueyo, Octarès, 2012.

• Départs en retraite et “travaux pénibles”, G. Lasfargues, Rapport de recherche du CEE, n° 19, avril 2005. Téléchargeable sur : <www.cee-recherche.fr/publications/rapport-de-recherche/departs-en-retraite-et-travaux-penibles>

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX