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Les branches négocient pour assouplir les nouvelles contraintes

Pratiques | publié le : 14.01.2014 | CHRISTELLE MOREL

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Les branches négocient pour assouplir les nouvelles contraintes

Crédit photo CHRISTELLE MOREL

Depuis le 1er janvier, les entreprises doivent faire face à de nouvelles règles concernant les contrats à temps partiel. Certaines branches tentent de conclure des accords afin de pouvoir y déroger, avec plus ou moins de succès. Panorama des points sensibles de la loi et des négociations.

En France, le temps partiel concerne 18 % de l’emploi, dont la moitié de contrats inférieurs à 24 heures hebdomadaires. Une durée pourtant devenue minimale le 1er janvier à la suite de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. « C’est la fin symbolique du mi-temps », note Franck Morel, avocat associé au cabinet Barthélémy. Mais ce n’est pas la seule nouveauté : la loi de sécurisation de l’emploi modifie également les règles relatives aux heures complémentaires, ou encore aux compléments d’heures temporaires par avenant (lire l’encadré p. 16).

Plus contraignante qu’auparavant, la loi ouvre néanmoins une large porte de sortie aux employeurs qui souhaitent échapper à ces nouvelles contraintes : toutes ou presque peuvent être assouplies dans le cadre d’une négociation de branche… à condition que celle-ci aboutisse à un accord signé et étendu.

Peu d’accords signés

Pourtant, les négociations n’ont pas beaucoup avancé, malgré la date butoir du 1er janvier : quelques branches, comme les enseignes succursalistes de la chaussure, l’enseignement privé et les acteurs du lien social et familial (centres sociaux, etc.), ont signé un accord fin 2013 ; un projet d’accord de la Fédération de la propreté est ouvert à la signature jusqu’à fin janvier ; la restauration rapide annonce avoir trouvé les grandes lignes d’un accord, tandis que, dans le commerce d’habillement, la négociation a d’ores et déjà échoué. Dans le médico-social non lucratif, la CGT, FO et SUD ont fait valoir leur droit d’opposition pour l’accord signé à la fin de l’année dernière, le rendant inapplicable au 1er janvier. D’autres branches, comme celle des services à la personne, achoppent encore sur des points importants : nombre d’heures minimal par semaine, durée des coupures, etc.

Menace économique

Comment, en effet, convaincre les syndicats de déroger à la loi ? Selon Franck Morel, les fédérations « peuvent proposer d’aller au-delà des paniers de soins dans le cadre de la négociation sur la complémentaire santé qui a souvent lieu en parallèle. Et demander en contrepartie aux organisations syndicales de faire un effort sur le temps partiel ». Mais en fait, l’argument utilisé massivement par de nombreuses fédérations d’employeurs pour faire plier les syndicats est la menace économique : le surcoût des heures qu’implique la loi (heures à ajouter aux contrats pour parvenir à 24 heures et heures complémentaires majorées) ne serait pas tenable pour nombre d’entreprises, « surtout les petites, dans une période où l’activité est en régression et au moment où la TVA augmente dans notre secteur », affirme Dominique Bénézet, délégué général du Snarr, fédération de la restauration rapide. Sans compter que, sans adaptation, ces nouvelles règles seraient impraticables, selon beaucoup d’employeurs, qui affirment ne pas pouvoir proposer 24 heures à tous leurs salariés : « Dans les métiers de la garde d’enfants, seuls 5 % de nos salariés travaillent 24 heures ou plus, car beaucoup de clients n’ont besoin que de garde périscolaire, c’est-à-dire quelques heures par jour ; il est donc très difficile d’atteindre 24 heures », explique Jean-François Auclair, DRH d’O2. Cette entreprise de services à la personne a été condamnée en mai par la cour d’appel d’Angers pour avoir complété les contrats courts (de 4 à 8 heures hebdomadaires) de 267 salariés par des heures complémentaires et supplémentaires dépassant le maximum légal et sans majoration de salaire, et pour avoir instauré des horaires variables sans document permettant leur contrôle. Elle s’est pourvue en cassation.

Beaucoup de syndicats jugent quant à eux l’argument organisationnel non valable : « Les entreprises pourraient atteindre 24 heures par semaine si elles acceptaient de revoir l’organisation du travail, mais elles ne veulent pas discuter de ce sujet », regrette Kumba Duvillier, de la CFDT Services. Par exemple, explique-t-elle, les entreprises de propreté pourraient travailler avec les donneurs d’ordre afin que les heures de travail soient regroupées en journée plutôt que dispersées. D’ailleurs, « elles demandent à pouvoir mettre en œuvre le maximum d’avenants dans l’accord de branche. C’est donc qu’elles ont un potentiel d’heures pour leurs salariés qu’elles connaissent suffisamment à l’avance ».

Sur quoi se sont donc entendues les branches qui ont signé des accords ? Chacune adapte la loi à son activité. Ainsi, si toutes ont revu la durée minimale du travail, elles ne l’ont pas fait aux mêmes conditions : certaines l’ont diminuée drastiquement – deux heures minimum par semaine pour les acteurs du lien social et familial –, mais en limitant cette dérogation à certains métiers ou structures. D’autres ont limité cette baisse (20 heures hebdomadaires par exemple), mais en la généralisant à tous les salariés. Pour d’autres encore, comme l’enseignement privé, l’annualisation du temps de travail permet aux employeurs de proposer aux salariés annualisés (en l’occurrence les enseignants) de ne pas travailler du tout pendant quatre semaines par an – indispensable pendant les longs congés d’été.

Presque toutes les branches autorisent les avenants encadrant les compléments d’heures, en limitant leur nombre à 5 ou 6 par an. L’accord du commerce de la chaussure prévoit une majoration de 15 % des heures effectuées dans le cadre de ces avenants temporaires. Pourquoi 15 % ? « Nous sommes arrivés à ce taux en calculant qu’un CDD coûtait au total à une entreprise 13 % plus cher qu’un CDI, auquel il faut ajouter l’avantage qu’il y a à allonger les heures d’une personne qui fait déjà partie de l’entreprise plutôt que d’en recruter une extérieure », explique Didier Bourget, de la CFTC, dont le syndicat – majoritaire – est seul signataire de l’accord.

Et pour les employeurs dont les branches ne signeraient pas d’accord ? Une autre porte de sortie est prévue par la loi : les déro­gations possibles aux 24 heures minimales pour les étudiants, les particuliers employeurs… et surtout pour les salariés volontaires !

La solution du volontariat

Pour O2, voilà la solution en l’absence d’accord de branche éten­du. Elle reste toutefois insatisfaisante : « Recruter seulement des salariés volontaires pour travailler moins de 24 heures par semaine limite les possibilités d’embauche dans notre secteur, qui recherche pourtant des personnes expérimentées et motivées, pour lesquelles nous pouvons trouver peu à peu davantage d’heures de travail », regrette Jean-François Auclair. Cela reste toutefois praticable dans les services à la personne ainsi que dans la propreté, où les salariés cumulent souvent déjà les employeurs et donc les contrats très courts…

Pourtant, pour Franck Morel, cette solution n’est pas pérenne d’un point de vue juridique : « Et que se passe-t-il si le salarié revient sur sa décision et demande à travailler 24 heures par semaine ? On ne le sait pas. C’est une épée de Damoclès pour les employeurs. »

Et ce n’est pas la seule incertitude juridique : la loi ne précise pas si les compléments d’heures par avenant peuvent porter la durée du travail au niveau d’un temps plein. Ou s’ils sont compris dans la règle qui oblige désormais à requalifier la durée du travail en cas d’augmentation de celle-ci de deux heures ou plus sur douze semaines. Autant de points qui s’éclairciront au fur et à mesure de l’application de la loi… et des contentieux.

Les principales mesures de la loi

Durée minimale : depuis le 1er janvier 2014, les contrats à temps partiel doivent avoir une durée minimum de 24 heures par semaine. Une période de transition est prévue pour les contrats en cours jusqu’au 1er janvier 2016. Des dérogations sont possibles en cas d’accord de branche étendu.

Majoration : les heures complémentaires donnent lieu à une majoration de 10 % à compter de la première heure. Un accord de branche étendu ou un accord d’entreprise peuvent prévoir le dépassement d’un dixième de la durée contractuelle (dans la limite d’un tiers), alors rémunéré à 25 %. Un accord de branche étendu peut prévoir la réduction de cette majoration, à condition de ne pas descendre en dessous de 10 %.

Compléments d’heures : l’augmentation temporaire de l’horaire contractuel peut être autorisée par un accord de branche étendu et prend alors la forme d’un avenant au contrat de travail (8 par an maximum). Toutes les heures effectuées au-delà de ce complément d’heures doivent être majorées à 25 %.

Allongement de la durée contractuelle : le contrat de travail est modifié lorsque l’horaire moyen prévu au contrat est dépassé d’au moins 2 heures par semaine (ou équivalent mensuel). Ce dépassement doit être constaté durant 12 semaines consécutives ou pendant 12 semaines au cours d’une période de 15 semaines.

L’ESSENTIEL

1 La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 oblige notamment les entreprises à faire travailler leurs salariés à temps partiel au minimum 24 heures par semaine.

2 Certaines branches négocient de manière à adapter ces nouvelles contraintes à leur activité. Les employeurs pourront ainsi signer des avenants avec leurs salariés à temps partiel afin d’augmenter temporairement leur temps de travail.

3 Pour obtenir la signature des syndicats, les fédérations patronales de branche sont obligées de faire des concessions. Quelques négociations ont abouti, mais la plupart sont encore en cours, quand elles n’ont pas déjà échoué.

Auteur

  • CHRISTELLE MOREL