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LES RÉFÉRENDUMS S’IMPOSENT

Enquête | publié le : 14.01.2014 | EMMANUEL FRANCK

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LES RÉFÉRENDUMS S’IMPOSENT

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Avant de valider un accord de compétitivité et le recul d’acquis sociaux, les syndicats ont pris l’habitude de consulter les salariés. Ces “référendums”, sans existence légale, posent une question de fond sur le rôle des syndicats, mais aussi des questions pratiques concernant l’organisation du scrutin.

« Êtes-vous favorable à l’accord [de reconquête des marchés] ? ». « Pour préserver votre travail, êtes-vous prêts à passer aux 4 x 8 ? ». À l’image de ce qui s’est vu à Ascometal (Hauts-de-Seine), en juin dernier, ou à Goodyear (site d’Amiens-Nord) en 2008, les référendums se sont multipliés ces cinq dernières années dans les entreprises. Comme jamais sans doute depuis que les salariés ont des représentants, leur avis est directement sollicité sur leurs conditions de travail et leurs rémunérations : Sanofi (Toulouse) en janvier 2014 ; Ascometal en juin et en octobre 2013 ; Revima (Seine-Maritime) en septembre ; Faurecia (Orne) en juillet ; Walor (site de Legé, Loire-Atlantique) également en juillet, mais aussi Caterpillar par trois fois en 2009 et 2011 ; Continental (Sarreguemines) par deux fois en 2007 et 2010 ; Goodyear…

Maintien dans l’emploi

Ces référendums concernent presque toujours des questions lourdes de conséquences : les salariés sont invités à renoncer à des acquis sociaux (réduction du nombre de JRTT, flexibilité accrue, gel ou baisse des rémunérations) en échange du maintien de l’emploi ou d’engagements sur des investissements. Plus rarement, ils sont consultés sur des sujets “classiques” comme un accord salarial (Eurotunnel ; Caterpillar en 2011). À noter que le Code du travail ne prévoit de consulter les salariés que sur le repos dominical, l’intéressement et la participation et, plus généralement, en l’absence de représentants du personnel.

La pratique ne date pas d’aujourd’hui. « En 1994, Christian Blanc, Pdg d’Air France, alors en quasi-faillite, avait obtenu l’approbation des salariés pour un plan de redressement, avec l’assentiment tacite des syndicats », rappelle Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail.

La nouveauté est que ces consultations se multiplient au rythme des plans de compétitivité des entreprises. La création des accords de sécurisation de l’emploi, au mois de juin, et la multiplication des demandes de dérogation au repos dominical – faute d’accord, un référendum est obligatoire – devraient encore alimenter cette pratique. Le problème est que ces référendums n’obéissent à aucune règle et que leurs résultats sont régulièrement contestés, alors même qu’ils touchent à des sujets cruciaux et qu’ils sont voués à occuper une place de plus en plus importante.

Les syndicats et les directions espèrent en effet que la consultation des salariés va trancher un débat et que le résultat s’imposera à tous. Or, c’est loin d’être toujours le cas. D’une part parce qu’en deçà de trois quarts de votes favorables, le consensus est trop fragile pour que la mise en œuvre de l’accord ne provoque pas des tensions. Et ce d’autant plus que les salariés peuvent toujours refuser l’accord collectif et préférer le licenciement. La direction perd alors la maîtrise des départs, contrairement à un PSE, et c’est toute l’architecture du plan de compétitivité qui risque d’être mise à mal, comme à Walor et à Malhe-Behr, qui prévoit une cinquantaine d’embauches afin de compenser les licenciements de salariés qui ont refusé l’accord de sécurisation de l’emploi.

D’autre part parce que les résultats du scrutin sont régulièrement contestés. À Caterpillar, les salariés ont voté à 64 % en faveur de l’accord sur le temps de travail en 2009… mais en comptant des licenciés, qui, par définition, ne sont pas concernés par un durcissement des conditions de travail, fait remarquer la CGT (lire p. 29). Le syndicat recalcule donc que seuls 53 % des salariés ont voté pour le plan de la direction. Plus ennuyeux encore : en 2008, à Goodyear, 73 % des salariés (taux de participation : 53 %) ont voté pour les 4 x 8, mais 75 % des salariés concernés par le passage aux 4 x 8 ont voté contre, remarque SUD. Or c’est en se fondant sur cet argument que les syndicats d’Amiens-Nord se sont opposés à l’accord de compétitivité ; la direction a alors arrêté d’investir dans le site, aujourd’hui très menacé. D’où la proposition de la commission d’enquête parlementaire qui a travaillé sur le cas Goodyear et remis son rapport en décembre 2013 : seules les personnes concernées par une mesure devraient être consultées.

Conditions de vote

Le déroulement des scrutins pose également parfois question. Les salariés de Sanofi Toulouse, qui ont été consultés en juin 2013 à l’initiative de la CFDT, ne disposaient pas d’urnes, ni d’enveloppes, ni d’isoloirs, selon la CGT (lire p. 25). Quant aux salariés de Brittany Ferries, ils ont voté par SMS.

À Ascometal, les opérations de vote se sont déroulées dans des conditions démocratiques, mais la direction disposait de moyens disproportionnés, puisqu’elle a envoyé sa propagande par courrier directement chez les salariés et qu’elle a arrêté la production afin d’organiser des réunions. L’autre camp ne disposait pas de ces possibilités.

À l’évidence, ces consultations bouleversent les pratiques habituelles des entreprises en matière de dialogue social. Car les syndicats « se mettent sur le bord du chemin », pour reprendre l’expression de Bernard Vivier. À l’image de la CGT de Caterpillar, les syndicats préfèrent, dès lors qu’il s’agit de revenir sur des acquis sociaux, faire profil bas : « La CGT a ses positions, mais elle se cale sur celle des salariés : nous sommes leur outil », explique Alexis Mazza, délégué CGT de Caterpillar. Attitude modeste inhabituelle, qui s’explique par le fait que « les organisations syndicales ne sont pas faites pour négocier à la baisse, analyse Bernard Vivier. Leur métier n’est pas de faire de la cogestion ». Comment pourrait-il en être autrement, alors que, « pendant trente ans, les syndicats n’ont fait que négocier à la hausse », rappelle Thierry Heurteaux, associé du cabinet Pactes conseil. Michèle Rescourio-Gilabert, directrice de projets à Entreprise & Personnel, voit dans ces référendums la preuve que la réforme de la représentativité syndicale de 2008 n’a pas amélioré la légitimité des syndicats, alors que c’était son objectif même (lire p. 28).

L’ESSENTIEL

1 En contrepartie d’investissements et d’une préservation de l’emploi, les directions demandent de plus en plus aux salariés de renoncer à des acquis sociaux.

2 Peu préparés à assumer seuls des regressions sociales, certains syndicats préfèrent consulter les salariés préalablement à la signature d’un accord de compétitivité.

3 Ces référendums, auxquels les syndicats ont de plus en plus recours, sont en général favorables au projet de la direction, mais leurs résultats sont régulièrement contestés, faute d’un vrai cadre juridique.

Les salariés votent pour la suppression de leurs acquis

Mahle Behr, Chomarat, Caterpillar, General Motors Strasbourg, Continental Sarreguemines, Molex, Osram… Le schéma est presque toujours le même. La direction présente un plan de compétitivité ; la négociation s’engage avec les syndicats ; ces derniers – ou une partie d’entre eux – demandent une consultation ; les salariés se prononcent ; des syndicats signent l’accord (les autres ne s’y opposent pas); la nouvelle organisation se met en place.

Dans presque toutes les entreprises, les salariés acceptent de renoncer à des acquis sociaux, ou finissent par accepter, parce qu’ils savent que leur poste est menacé à moyen terme. À Ascometal, les salariés ont d’abord refusé, en juin 2013, un plan de compétitivité, avant de changer totalement d’avis au mois d’octobre, face aux imparables arguments de la direction (lire p. 24). Même refus suivi d’une acceptation à Caterpillar en 2009 et à Goodyear-Dunlop en 2007-2008. Seule exception : Revima. Les salariés du réparateur de trains d’atterrissage ont refusé, en septembre, de travailler plus (lire p. 26).

En général, les syndicats acceptent le verdict des urnes. Sauf à Goodyear Amiens-Nord, où les organisations majoritaires ont contesté le résultat du référendum et poursuivent le combat devant les juges. Et à Brittany Ferries, où la CFDT s’est opposée à l’accord sur le temps de travail pourtant ratifié par les salariés en septembre 2012.

Soutenir le plan de compétitivité n’est pas non plus une sinécure pour les syndicats. Dans l’usine d’ampoules Osram de Molsheim (Bas-Rhin), FO, qui a soutenu la consultation sur la hausse du temps de travail en 2009, a beaucoup perdu aux élections suivantes. Alors qu’à Continental Sarreguemines (p. 27), FO, le seul syndicat n’ayant pas participé au référendum enterrant les 35 heures, est arrivé en tête aux élections l’année suivante.

Le respect des engagements de la direction (investissements, emploi relativement préservé) est compliqué à vérifier : la promesse de maintien de l’emploi peut être contredite par les licenciements de salariés qui refusent l’accord collectif – sans PSE depuis la loi de sécurisation ; quant aux investissements, ils doivent être constatés sur la durée. Cependant, en se fondant sur la dizaine d’entreprises auprès desquelles nous avons enquêté, il semble que les sacrifices consentis par les salariés ne soient pas vains…

E.F.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK