Le remarquable ouvrage de ce philosophe décortique ce qui, pour nombre d’entre nous, reste une impression, néanmoins susceptible d’entraîner un malaise bien réel : le sentiment d’être continuellement floué par les gens qui nous vendent nos biens de consommation, réels ou virtuels.

De 10 % d’antivolume (celui qui ne se consomme pas) dans le moindre emballage opaque à quasiment 100 % d’antivolume, d’antidurée (écart entre la durée imaginaire et la durée effective d’un produit) ou d’antiusage (celui dont on n’aura jamais besoin) pour les objets immatériels, nous passons notre temps à payer au prix fort des marchandises et des services dont la part de réalité tend à s’évanouir. Seul le leurre savamment entretenu par la publicité et le marketing, qui nous présentent comme indispensable ce que les entreprises ont besoin de nous vendre pour engranger de substantiels bénéfices, nous fait juger l’échange équitable.

Il est évident que nous n’avons pas besoin de tous ces produits pour survivre, mais avons-nous vraiment le choix de nous passer de téléphone mobile, d’Internet, de télévision, d’assurances, etc. ? Cette logique de la « ponction secrète », selon l’expression de l’auteur, avait déjà été mise en valeur par Marx, mais uniquement dans son concept de “surtravail”, ce temps de travail non payé qui constituait le principe même de l’exploitation de l’homme par l’homme. L’auteur, avec son concept de « chronophagie », généralise l’intuition de Marx. Il explique que l’existence du travailleur-consommateur, dès lors qu’il ne profite pas du système, ne peut qu’être progressivement dévorée par la logique de rentabilité coûte que coûte : à chacun de devenir rentable ou de disparaître.

Les Chronophages

Jean-Paul Galibert, éditions Lignes, 104 pages, 13 euros.