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« Le mal-être au travail est lié à l’instabilité croissante au sein des entreprises »

Enjeux | publié le : 14.01.2014 | PAULINE RABILLOUX

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« Le mal-être au travail est lié à l’instabilité croissante au sein des entreprises »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Les risques psychosociaux concernent aujourd’hui tous les salariés dans tous les secteurs d’activité. Dans les entreprises en restructuration, les “survivants” et les “exécutants” des plans sociaux sont autant concernés que les personnes licenciées. Malgré leurs obligations légales en termes de santé au travail, ces entreprises peinent à prévenir les risques.

E & C : Au-delà des emplois réputés dangereux, le travail tend à devenir nocif pour tous, pourquoi ?

Françoise Le Deist : On constate depuis quelques années une réelle augmentation des phénomènes de mal-être au travail liée à l’instabilité croissante au sein des entreprises. On demande aux individus de s’adapter de plus en plus vite à des changements massifs et permanents, sans nécessairement les accompagner. De fait, ils se sentent de plus en plus déstabilisés. Les problèmes de santé au travail sont progressivement passés des questions d’hygiène et de sécurité aux risques psychosociaux. La pénibilité au travail, corrélée à une pression psychologique et à des exigences productivistes accrues, ne cesse d’augmenter, avec deux conséquences majeures. D’abord un réel élargissement des publics susceptibles d’être affectés, les risques psychosociaux touchant toutes les catégories à tous niveaux hiérarchiques. D’autre part, un décalage important entre l’accroissement de ces nouveaux risques et leur prise en compte réelle. Les instances en charge des problématiques de santé au travail semblent le plus souvent dépassées par les problèmes rencontrés, à la fois de par leur ampleur mais aussi de par leur nature comme quand, par exemple, apparaissent des comportements de type harcèlement qu’elles ne savent pas toujours bien gérer.

E & C : Dans quelle mesure le risque est-il aggravé par les restructurations ?

F. L. D. : Du fait de la crise, d’un environnement de plus en plus concurrentiel et instable et de la financiarisation de l’économie, les entreprises doivent sans cesse s’adapter. Les fusions, acquisitions, restructurations, délocalisations sont devenues la règle. De multiples parties prenantes pèsent aussi désormais sur les entreprises et augmentent les contraintes : gestionnaires, actionnaires, syndicats, salariés mais aussi clients de plus en plus exigeants, pouvoirs publics qui renforcent les réglementations, riverains, etc. L’entreprise est une réalité beaucoup plus complexe qu’il y a seulement vingt ans. Cette complexité économique, géographique, organisationnelle transforme également la gestion managériale, qui n’est plus forcément une gestion de proximité, car la plupart des entreprises sont “éclatées” et travaillent en réseaux avec des modes de coordination plus distants. Cela s’accompagne aussi d’une retaylorisation ou d’une néotaylorisation du travail, permettant d’augmenter la productivité, d’homogénéiser les pratiques sur différents sites, d’assurer un meilleur contrôle. D’où la multiplication de procédures, de normes, de règles, qui ont pour conséquence de diminuer l’autonomie des salariés, augmentant ainsi leur malaise par rapport à un travail qu’ils jugent à la fois moins intéressant – donc moins motivant –, plus contraignant et plus stressant.

E & C : La situation n’est pourtant pas la même pour ceux qui doivent quitter l’entreprise et pour ceux qui restent ?

F. L. D. : Les restructurations, accompagnées le plus souvent de licenciements, introduisent pour tous les acteurs un facteur traumatique. Pour ceux qui doivent quitter l’entreprise, bien sûr, renvoyés vers la précarité financière et sociale, mais également pour ceux qui ont eu peur de perdre leur emploi et qui peuvent se sentir coupables par rapport à leurs anciens collègues d’avoir été épargnés. Pour ceux-ci, au stress supplémentaire du travail lié à la baisse des effectifs s’ajoute la pression psychologique de devoir être plus performants à l’avenir pour ne pas faire partie de futurs plans de licenciement. Le vocabulaire utilisé est significatif. On parle de “victimes” pour les licenciés, de “survivants” – non plus de vivants – pour ceux qui restent en poste et “d’exécutants” pour ceux qui doivent participer à la mise en œuvre de plans de licenciements. Pour ces derniers, le contrecoup aussi peut être rude : on ne les consulte que trop rarement sur les solutions à envisager quand l’entreprise rencontre des problèmes, et ils doivent le plus souvent appliquer des décisions qu’ils réprouvent. Ils sont donc pris dans un système d’injonctions paradoxales, source de culpabilité et de stress.

E & C : La médiatisation du mal-être ressenti dans les entreprises peut-elle favoriser une meilleure prise en compte du problème ?

F. L. D. : La médiatisation autour des risques psychosociaux a progressivement contraint les pouvoirs publics à prendre des mesures, notamment l’obligation faite aux entreprises d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs à travers la circulaire du 18 avril 2002 portant création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Cette loi a été renforcée par l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail du 2 juillet 2008, complété de l’arrêté du 23 avril 2009, qui propose notamment des indicateurs pour dépister le stress au travail et un cadre pour le prévenir. Ce texte précise quelques facteurs de stress à prendre en compte, comme « l’organisation et les processus de travail, les conditions et l’environnement du travail, la communication et des facteurs subjectifs ». Dès qu’un problème de stress a été identifié, obligation est faite à l’entreprise de mettre en œuvre une action pour le prévenir, l’éliminer, ou, à défaut, le réduire. Un accord a également été signé le 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, complété de l’arrêté du 23 juillet 2010 portant extension d’un accord national interprofessionnel. Mais, étant donné les conditions économiques et financières qui s’imposent aux entreprises, un risque de décalage existe entre le discours et la réalité. Tout le monde semble a priori d’accord pour réduire les risques psychosociaux, notamment le risque de suicide, mais les conditions d’organisation du travail liées au maintien de la compétitivité ne s’en trouvent pas pour autant facilitées.

E & C : Comment aider les employeurs à mieux cerner, comprendre et prévenir les maux qui affectent leurs salariés ?

F. L. D. : Il est important d’anticiper. Il s’agit donc de mettre en place des politiques de prévention qui permettent d’agir à la source. Cela va passer, par exemple, par des modes d’organisation et des méthodes de management qui minimisent les risques : amélioration des conditions de travail, mise en place de processus de coopération entre les salariés à tous les niveaux, anticipation des changements et des réorganisations au sein des différents services avec les intéressés. Un salarié impliqué en amont est plus coopératif que quelqu’un mis devant le fait accompli. Le dialogue social est l’une des clés du succès des restructurations.

PARCOURS

• Françoise le Deist est professeure en management des ressources humaines et des organisations à Toulouse Business School, responsable de la chaire santé et de deux mastères spécialisés en santé : management des structures sanitaires et sociales et management-marketing-communication des industries de santé et des biotechnologies.

• Elle est membre du conseil de surveillance de l’Agence régionale de santé de Midi-Pyrénées.

• Elle a dirigé l’ouvrage Restructurations et santé au travail : regards pluridisciplinaires (Octarès, 2013).

LECTURES

• Les nouvelles formes d’organisation du travail : entre souffrance et performance, P. Chaudat et R. Muller, L’Harmattan, 2011.

• Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Yves Clot, La Découverte, 2011.

• Travail, usure mentale, Christophe Dejours, Bayard Éditions, 2008.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX